jeudi 7 mai 2015

Chronologie du hasard


Javier Cánaves est né à Palma en 1973 mais cela, je l'ai appris un peu plus tard.

Un jour à Caritas, j'avais acheté de la poésie. En rentrant, j'avais posé ça là. Un soir, un peu plus tard, j'en avais lu quelques pages. La poésie a cela de bien que, même dans notre langue maternelle, elle nous échappe quelquefois. On a une excuse naturelle.

Un autre jour, un peu plus tard, j'avais lu un article, dans une revue, sur un écrivain majorquin. J'avais noté son nom dans mon carnet dont certaines pages ressemblent à un annuaire, les numéros de téléphone en moins. Quand même, il me disait quelque chose, ce nom-là.

Un autre soir, un peu plus tard, j'ai vu que, oui, le recueil de poésie était de lui.

Un jour, un peu plus tard, c'était à Barcares et j'avais dû lire Las cosas que se pierden (1) deux fois car, la première, il n'avait écouté que ma voix.

Un jour, un peu plus tard, j'ai emprunté Al sur de todo mapa (2) mais, trois jours plus tard, j'ai vu La historia que no pude o no supe escribir sur le présentoir et c'est celui-là que j'ai lu.
Le narrateur du roman relate une histoire de jeunesse, une histoire d'amour, qui s'est passée sur l'île de Fuerteventura, avec sa partenaire de travail, Alicia, une drôle de fille, cette Alicia, aux paroles énigmatiques, qui partit travailler ailleurs, un jour et, ce jour-là, partit, aussi, de la vie du narrateur. A son absence, il ne s'habitue pas. L'oublier, ça, il ne peut pas. Alors il la cherche et ne la trouve pas. Un jour, dans le rayon poésie d'une librairie de Madrid, il prend un livre au hasard "au hasard ou peut-être que c'est son titre qui m'attira. La historia que no pude o no supe escribir." Il le feuillette et lit un poème qui raconte, mot pour mot, son histoire avec Alicia. A une exception près : dans le poème, elle s'appelle Laura. Pour tenter de retrouver sa chimère, il part à la recherche de l'auteur, un certain Jaime Castell, né à Palma en 1973.

Quelques jours plus tard, dans le bus pour Palma où j'allais rendre les deux livres, la touriste qui monta devant moi portait sur l'épaule un sac à l'inscription Fuerteventura. Il me restait la durée du trajet pour lire Al sur de todo mapa. Je l'ouvris au hasard et je lus :

LAURA SUEñA FLAMENCOS
                                                Para Aïda 
A Laura la desvela un sueño con flamencos
y baja hastial el jardín donde sabe que duermen.
¿ Dónde queda el hechizo que la luna tejió ?
Laura agoniza y bebe la tregua de los plátanos,
la humedad de las piedras, pero todo se vuelve
escarcha en sus pulmones, y busca una plegaria
en los charcos de plata que alumbran el camino.
Laura sabe que el miedo fue la liebre y el fuego,
el tormento y la dicha, pero cómo evocar
-sin arriesgar el alma- esos días en Cardiff.
Laura guarda en su puño, apretado con fuerza,
una última carta, y deja que sus pasos
la lleven hasta el mar. Cuando amanezca, Laura
será un hueco y el nombre de un poema y la fecha
que consigo quién sabe para cuando y por qué.
Cuando llegue el momento de juntar lo que fuimos
tu nombre hará temblar mi voz en algún punto.
También me desveló, la noche en que te fuiste,
un sueño con flamencos.  

(1)
Las cosas que se pierden (Les choses qui se perdent) est un poème extrait du recueil Al fin has conseguido que odie el blues (Finalement, tu as réussi à ce que je déteste le blues) publié par les éditions Hiperión en 2003.

(2)
Al sur de todo mapa (Au sud de n'importe quelle carte) a été publié par Hiperión en 2001.

(3)
La historia que no pude o no supe escribir (L'histoire que je n'ai pas pu ou pas su écrire) est un roman publié par les éditions Baile del Sol en 2009.

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