samedi 30 avril 2016

trouble 
every day
(1) 



"Une personne en bonne santé mentale est donc quelqu'un qui se sent suffisamment en confiance pour s'adapter à une situation à laquelle elle ne peut rien changer"(2)

quand on frappe à la porte
de
quel 
côté
se
trouve
la 
folie
?




(1) 
Une chanson de Tindersticks. 

(2)
Une définition de l'OMS, citée par Mathieu Bellahsen dans un entretien à propos de son livre La santé mentale, vers un bonheur sous contrôle, à écouter sur le blog de La vie manifeste

vendredi 29 avril 2016

Le cabinet des rêves 277

Je suis à la piscine. 
Le bassin est désert, il y a seulement le maître nageur dans l'eau, accoudé au rebord, parlant avec quelqu'un qui se trouve beaucoup plus loin. 
Au moment où je pénètre dans l'eau, je vois à quel point elle est sale, couverte de feuilles. 
Je m'aperçois aussi que le bassin est séparé en deux par des flotteurs, que l'autre moitié où se trouve le maître nageur a été partiellement nettoyée, c'est là que j'aurais dû aller nager. 
L'eau sent très fort l'eau de javel. 
Je me dépêche de traverser le bassin pour sortir : je porte mon gilet bleu et je pense qu'il va être imbibé de cette odeur. 

Rêve du 24 avril 2016

jeudi 28 avril 2016

L'effet papillon

La photo montrait des mains sur un volant. 

Les garçons : Conductortaxista.
Alberto : Si, muy bien.
Moi : Chófer.
Alberto : Si, también.
Ken : ¿Es una palabra de origen francesa?
Alberto : Si, claro
Moi : ¿Se puede decir un chófer de bus?
Alberto : ¡No! Sólo se dice para un conductor privado. (1)

Mais lorsque le conducteur m'a glissé, pendant qu'il débitait d'un voyage ma carte d'abonnement :
Tienes el espíritu de una mariposa, (2) 
même si le bus était plein, j'ai eu l'impression qu'il n'avait conduit que pour moi. 

(1)
Les garçons : Conducteur, taxi.
Alberto : Oui, très bien.
Moi : Chauffeur.
Alberto : Oui, aussi.
Ken : C'est un mot d'origine française ?
Alberto : Oui, bien sûr.
Moi : On peut dire un chauffeur de bus ?
Alberto : Non ! On le dit seulement d'un conducteur privé.

(2)
Tu as l'esprit d'un papillon

mercredi 27 avril 2016

Un sandwich en version originale

La rosette est un gros saucisson long d'origine paysanne qui tire son nom du boyau utilisé pour sa confection (la partie extrême de l'intestin de porc est appelée rosette en référence à sa couleur).
Elaborée à partir d'une matière première composée exclusivement de viande de porc, de gras de bardière, d'épices et de pointes d'ail, la rosette de Lyon a pour particularité d'être poussée dans un boyau dont le diamètre va rétrécissant.
Chaque étape de sa fabrication est contrôlée avec attention : le hâchage, le mélange gras et maigre, le calibrage en boyaux naturels. Les phases de maturation et d'affinage de la rosette de Lyon sont beaucoup plus lentes que pour les saucissons traditionnels ce qui confère au produit sa qualité.
Ingrédients :viande et gras de porc, assaisonnements, sucres (lactose, dextrose, saccharose), conservateurs : nitrate de potassium, acide ascorbique, ferments. 
Depuis la terrasse où je suis assise, je les entends parler dans ma langue et dans sa voix à elle, Sinon, regarde, il y a des sandwichs à la rosette, c'est bien aussi, non ? je reconnais ce mélange de fatigue et d'enthousiasme un peu obligé, Et puis c'est pratique, un sandwich !, qu'ont en commun les touristes, Bon allez ! On fait comme ça ! De toute façon, on va bien trouver un banc quelque part, soucieux de réussir leurs vacances. Moi, je le prends à la rosette, et toi ? Je l'entends et je me demande ce qu'elle est en train de montrer, je me demande quel nom cette spécialité charcutière qu'elle désigne comme de la rosette, porte en espagnol, je me demande, je me demande aussi : cela en change-t-il le goût de savoir le nom des aliments qu'on mange ?

mardi 26 avril 2016

Tuesday self portrait

Nous devons être seuls et abandonnés de tous si nous voulons entreprendre un travail intellectuel !

Thomas Bernhard. Béton

lundi 25 avril 2016

loin de CHEZ MOI (fragments d'insularité)

Premièrement, faites-vous à l'idée que vous êtes à la campagne et si vous voulez que votre maison soit comme une photo de La Maison de Marie-Claire, vous n'aurez du temps pour rien d'autre. Garder propre une maison entière sans l'aide de personne est une équipée digne de Don Quichotte si vous avez autre chose à faire dans la vie.
Traduction libre d'un extrait de Un hogar en Mallorca (un foyer à Majorque) de Tomás Graves.

Je m'y transporte souvent, dans ces lieux


à Bunyola,

à Palma,

Mahón,

Madrid ,

à Ciutadella.
Où j'ai été chez moi plus que je ne le suis 
chez moi. 

dimanche 24 avril 2016

le dernier vendredi de l'hiver


L'aller fut volubile, le soir solennel. 


samedi 23 avril 2016

EN LISANT EN ECRIVANT

la índole
 el apego
 la caricia
 la ternura
 la añoranza
 el goce
 el alborozo
 la fruición
 el agrado
 el sosiego
 el arranque
 el arrobo
 la congoja
 el susto
 el pavor
 el estremecimiento
 el padecimiento
 el enojo
 el chasco
 el sollozo*

L'ai-je été un jour ? 
À présent, je serais incapable d'apprendre une liste de vocabulaire. 
Ma méthode d'apprentissage de l'espagnol
 pourrait porter le titre 
d'un livre de Julien Gracq

*le tempérament, l'attachement, la caresse, la tendresse, la jouissance, l'allégresse, le plaisir intense, l'agrément, le calme, l'élan, l'extase, l'angoisse, la frayeur, l'épouvante, le frémissement, la souffrance, le courroux, la déception, le sanglot

vendredi 22 avril 2016

Le cabinet des rêves 276

Je marche derrière un groupe de Japonaises habillées et maquillées de manière très sophistiquées, comme si elles allaient à une soirée de réveillon. 
Elles suivent un guide ou, du moins, une personne qui les oriente et leur conseille de faire un tour dans une boutique qui, leur dit-elle, va leur plaire
J'y entre à leur suite et je me demande comment ce genre d'endroits pourrait plaire à des Japonaises : la boutique est pleine de produits soit-disant japonais, de mauvais goût, qui peuvent séduire certains occidentaux. 
Je perds de vue les Japonaises et je vais jusqu'au fond du magasin où se trouve le gérant. 
C'est Mathieu Amalric, qui est en train d'expliquer à quelqu'un qu'il connaît qu'il est très content d'avoir trouvé ce poste : il a un contrat de début mai à fin octobre, n'a rien de spécial à faire et c'est ce qu'il lui faut. 
Tout en faisant mine de m'intéresser à certains articles, je m'arrange pour me faire remarquer de lui mais je pense : De toute façon, il me croiserait dans la rue, il ne me reconnaîtrait pas. 

Rêve du 10 avril 2016

jeudi 21 avril 2016

L'écriture ET la vie

On* disait ça des Japonais, dans le temps.
Parce que, bien avant l'invention des appareils photo numériques puis des téléphones portables, ils déclenchaient un retardateur, ils couraient devant les monuments, parce que, bien avant l'avènement des réseaux sociaux, ils photographiaient leur repas, parce que, bien avant la mode des selfies devant la Joconde, ils repartaient des musées chargés de pellicules impressionnées… On disait d'eux que, à trop vouloir la documenter, ils passaient à côté de la vie. 
Le plus souvent, mon appareil photo reste dans mon sac. Je ne possède pas de téléphone. 
Pourtant, ne dirait-on pas de moi ce que l'on disait d'eux si ma façon d'évaluer les instants selon ce je peux en raconter était aussi visible ?
(car moi aussi, je suis une prédatrice de la vie) 


*On mais moi, aussi.

mercredi 20 avril 2016

"En ancien castillan, se souvenir signifie aussi se réveiller"*

Dans l'acte d'écrire comme dans la conscience quotidienne de n'importe qui, inventer et se souvenir sont des tâches qui se ressemblent beaucoup et qui, de temps en temps, se confondent l'une avec l'autre. La mémoire est en train d'inventer de manière incessante notre passé, selon des principes de sélection et de combinaison : il est toujours déconcertant de rencontrer ces amis d'enfance qui nous racontent des détails de notre propre vie que nous avons complètement oubliés. La mémoire commune invente, sélectionne et combine et le résultat est une fiction plus ou moins déloyale aux faits qui nous sert à interpréter les péripéties hasardeuses ou inutiles du passé et lui donner la cohérence d'un destin : en chacun de nous tous, il y a un romancier caché qui écrit et réécrit tous les jours une biographie maladroite ou luxueusement romancée. 
*Antonio Muñoz Molina. Traduction libre d'un extrait (En el acto de escribir, como en la conciencia diaria de cualquiera, inventar y recordar son tareas que se parecen mucho y de vez en cuando se confunden entre sí. La memoria está inventando de manera incesante nuestro pasado, según principios de selección y combinación : por eso siempre es desconcertante el encuentro con esos amigos de la infancia que nos cuentan detalles de nuestra propia vida que nosotros hemos olvidado por completo. La memoria común inventa, selecciona y combina, y el resultado es una ficción más o menos desleal a los hechos que nos sirve para interpretar las peripecias casuales o inútiles del pasado y darle la coherencia de un destino : dentro de todos nosotros hay un novelista oculto que escribe y reescribe a diario una biografía torpe o lujosamente novelada.)
de Pura alegría.
Si les faits, me dis-je, nous dépassent et que notre vie, me dis-je, nous semble parfois un peu brouillon, il nous reste, me dis-je, une occasion de tout mettre au propre, c'est d'en soigner, me dis-je, la narration. 

mardi 19 avril 2016

Tuesday self portrait

Dans l'aquarium, le dernier homard se cognait paresseusement à la cloison de verre. Stacy a essuyé le comptoir, puis elle s'est lentement immobilisée devant l'aquarium. Se penchant, elle a plongé son regard dans ce qu'elle pensait être un des yeux du homard -plutôt un bouton verdâtre qu'un globe oculaire, un appendice anatomiquement absurde pour Stacy. Elle a essayé d'imaginer à quoi ressemblait l'univers du restaurant familial Noonan quand on le voyait à travers ce bouton, puis à travers les cent vingt litres d'eau trouble tout autour, et enfin à travers la lentille formée par les parois maculées d'algues. Ça doit ressembler à une planète dans le cosmos, a-t-elle pensé. Ou paraître si étranger que c'est incompréhensible, comme un de ces vieux films chinois où on ne saisit même pas l'histoire, où on ne sait pas qui est le bon et qui est le méchant. Ou même, au lieu de ressembler à un endroit réel, cet endroit peut n'apparaître que comme une idée, pour un homard. Ce qui a effrayé Stacy. 
Il doit y avoir une sorte d'échange entre les sens, s'est-elle dit, comme chez les sourds et les aveugles. Si un sens est faible, un autre doit être fort, et inversement. Les homards, raisonnait-elle, ne voient sans doute pas très bien parce qu'ils vivent dans l'obscurité du fond de la mer. Pour distinguer entre les êtres mangeables et ceux qui sont des amis, ou entre les amis et les ennemis, il leur faut une ouïe et un odorat très développés. Elle a mis son visage tout près du verre, le touchant presque du bout du nez. Le homard se balançait et s'agitait juste derrière, comme s'il s'évertuait, à l'aide de ses faibles yeux et de ses organes auditifs et olfactifs, à déterminer si Stacy était un être qui pourrait le manger, ou qu'il pouvait manger, ou avec lequel il pouvait se reproduire. La vie d'une créature dépend en très grande partie, pensa Stacy, de sa capacité à identifier avec exactitude les autres créatures. A l'intérieur de l'aquarium, mais aussi à l'extérieur. Et cette pauvre bête, avec juste ses yeux ridicules pour se guider, était paumée; entièrement, affreusement paumée. Stacy a tendu la main vers le homard, comme pour lui donner une tape affectueuse, pour le rassurer et lui montrer qu'elle n'allait pas le manger, qu'elle ne pouvait pas se reproduire avec lui et ne pouvait pas non plus lui servir de repas décent.
Russel Banks. L'ange sur le toit. 

lundi 18 avril 2016

La rencontre (fragments d'insularité)

La relation de dépendance du paysan avec le pouvoir (ou du propriétaire foncier) lui a inculqué la nécessité de dire oui à tout, y compris à ce dont il ne peut pas s'acquitter; il aura toujours le temps de trouver une excuse plus tard. Ceci va à l'encontre de l'idée de ne pas manquer à sa parole et c'est la cause de nombreux malentendus, surtout quand la langue de communication est le castillan, qui ne possède pas toutes les nuances du mot oui qui existent en majorquin. Il existe même un ouiiiiiii… qui signifie clairement non, quand la voix descend de cinq tons avant de revenir à l'original, comme la sirène d'une ambulance.
Traduction libre d'un extrait de Un hogar en Mallorca (un foyer à Majorque) de Tomás Graves.
C'est parfois seulement quand on arrive quelque part qu'on s'aperçoit que cela fait vraiment longtemps qu'on n'y est pas allé. Ainsi ce lieu de poisson dont, l'année dernière, j'étais à ce point familière qu'on m'y avait prise pour une guide touristique. Or : non. Seulement quelqu'un qui aime les toasts à la sardine ou au bacalao. Mais, après avoir commandé, j'en vis un, guide touristique, G., que je n'avais pas vu depuis l'été dernier où il avait évoqué un échange linguistique, ah bon, tu apprends le castillan ?! Eh bien, comme moi je suis en train d'apprendre le français, on va boire un café ensemble et on parle, hein ? Bon, pas maintenant parce que j'ai encore beaucoup de boulot mais en hiver, j'aurai tout le temps et il avait porté sa main à son oreille, mimant un téléphone, on s'appelle, hein ?! G., au stand voisin, buvait un verre avec un copain pendant que les touristes, ah oui, les touristes ils ont quartier libre pendant une heure du coup, moi aussi, tu vois ?! Alors, on essaie de se voir un de ces jours, hein ?!, avant que j'aie vraiment trop de boulot. En plus, cet hiver, j'ai suivi le deuxième niveau du cours de français. Bon allez, j'y retourne et il a porté sa main à son oreille, mimant un téléphone, je t'appelle bientôt, ok ?! et je l'ai regardé rejoindre son copain, G. qui n'a pas mon numéro de téléphone. 

dimanche 17 avril 2016

En dépit des anniversaires, 

il y a cela d'éternellement adolescent dans notre vie adulte
 c'est que concernant l'avenir
nous ne pouvons faire 
aucun projet
     seulement des rêves.  

samedi 16 avril 2016

Poème de table en version originale (sous-titrée)

A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.

Poema de mesa

Hoy -tostadas con tomate, café- estoy en la pastelería de la calle Blanquerna
escribiendo una redacción -¿Qué sería un mundo sin internet?- para una clase de español 
donde no podré ir. 
Estar en un café a la hora del desayuno trabajando para una clase
me recuerda mucho mi vida en Tokio. 
También allí aprendía una lengua. 
Tres veces a la semana iba al café más cerca de la escuela
para hacer los deberes antes de la clase. 
Una taza de té caliente o un vaso con hielo -aún no bebía café-
sentada en la barra en frente de la calle
estudiaba intentando no mirar demasiado a
los peatones de la avenida de Takadanobaba. 
Allá, en esta epoca me llamaban グウエン さん*.
Diez minutos antes del empiezo, veía a la profesora por la ventana
pasando deprisa  y siempre me sonreía, agitando la mano. 
Ella pensaba -me lo había dicho-
que yo tuviese suerte
que estuviese libre -extranjera, viviendo 
en una gran ciudad sin sentir ningún miedo-
y ella tenía razón : lo estaba. 
Ella habría querido ser yo 
sin embargo
yo como todo el mundo
a veces habría querido no ser yo. 

*pronunciar "Gwen San"


Aujourd'hui -toasts à la tomate, café- je suis à la pâtisserie de la rue Blanquerna
écrivant une rédaction -que serait un monde sans internet ?- pour un cours d'espagnol
où je ne pourrai pas aller.
Être dans un café à l'heure du petit déjeuner, travaillant pour un cours
me rappelle beaucoup ma vie à Tokyo.
Là-bas aussi, j'apprenais une langue.
Trois fois par semaine, j'allais au café le plus proche de l'école
pour faire mes devoirs avant le cours.
Une tasse de thé chaud ou un verre, avec glaçons -je ne buvais pas encore de café-
assise au comptoir face à la rue
j'étudiais, essayant de ne pas trop regarder
les passants de l'avenue de Takadanobaba.
Là-bas, à cette époque, on m'appelait グウエン さん*.
Dix minutes avant le début, je voyais la prof, par la fenêtre,
passant rapidement et elle me souriait toujours, agitant la main.
Elle pensait -elle me l'avait dit-
que j'avais de la chance
que j'étais libre -étrangère vivant
dans une grande ville sans avoir peur-
et elle avait raison : je l'étais.
Elle aurait voulu être moi
cependant que
moi, comme tout le monde,
j'aurais voulu parfois ne pas être moi.

*Prononcer "Gwen San"

vendredi 15 avril 2016

Le cabinet des rêves 275

Je vois J.M. s'apprêter à sortir. 
Il porte des vêtements originaux et je l'en complimente  en même temps que je lui fais remarquer que son pantalon -un jogging gris- est vraiment trop vieux et qu'il devrait renoncer à le porter. 
Il le déroule sur ses chevilles (il avait fait des revers et le portait avec des chaussettes blanches). 
Il compte s'en aller tout de suite mais je lui montre les assiettes que j'ai en main : la vaisselle qu'il doit laver avant ! 

Rêve du 31 mars 2016

jeudi 14 avril 2016

En compagnie d'Onetti

Il y a des écrivains dont je ne lis pas les livres mais dont le point de vue sur leur métier ou sur leurs lectures m'intéresse. C'est ainsi que j'ai lu Pura alegría (Pure joie) de Antonio Muñoz Molina, livre dans lequel il parle de la fiction (1), de sa formation de lecteur, de la mémoire et du passé, de Juan Carlos Onetti. 

Aux personnages de Onetti, comme aux personnes réelles, on peut appliquer directement l'avis de Pascal selon lequel personne ne peut vivre de manière stable dans le présent. Tout le monde habite dans un mélange de temps, un carrefour d'expectatives et de souvenirs qui se confondent dans le présent et qui, de nombreuses fois, le défigurent ou l'effacent. En ce sens, on pourrait dire que le jeu de l'affirmation et de la négation du présent est l'un des organes vitaux de la narration de Onetti, en écho avec son autre jeu préféré, celui de l'affirmation et de la négation du réel. De là que les faits, dans les contes, ne se présentent quasiment jamais avec une ambition ou un apparence d'objectivité, d'événements neutres auxquels le lecteur assiste avec aussi peu d'intermédiaire qu'à la vie qu'il a en face de lui : dans les contes, il y a presque toujours quelqu'un qui raconte ou quelqu'un qui se souvient et les mécanismes de la mémoire, de la parole, de l'invention involontaire, de l'ignorance partielle, de la pure défiguration du temps, sont une partie de la matière racontée. 
Traduction libre (2)

Onetti, donc. Une nuit de chien, en français (3), dans ma bibliothèque, je le commençai sur le champ. 

Weiss avait dit au téléphone : 

-Il paraît qu'il y a un billet pour vous. Rien de sûr. Un garçon d'en haut, il sait qui vous êtes. Au First and Last, vous connaissez ? D'accorce, ce soir à neuf heures. Bonne chance, c'est tout. Envoyez-nous des cartes postales, vous savez, celles avec vue sur une baie, qui disent "Les beautés du monde." Au revoir. 

  
Juan Carlos Onetti. Une nuit de chien.


Quelques jours plus tard, dans le bus le matin, j'écoutai une autre conférence à propos de Onetti, cette fois par Mario Vargas Llosa. (4)
À la bibliothèque, passant devant son nom, j'ouvris au hasard un de ses livres avant de me rendre compte qu'il était justement consacré à Onetti. 

Le thème de la fiction et la vie est une constante qui, depuis des temps lointains, apparait dans la littérature et, en plus du Quichotte et de Madame Bovary, beaucoup d'autres l'ont recréé et exploré de mille manières différentes. Mais peut-être qu'il n'apparaît chez aucun autre auteur moderne avec autant de force et d'originalité que dans les romans et les contes de Juan Carlos Onetti, une oeuvre dont, sans trop exagérer, nous pourrions dire qu'elle est presque intégralement conçue pour montrer la manière subtile et dense dont, à côté de la vraie vie, les êtres humains ont construit une vie parallèle, de mots et d'images aussi faux que persuasifs, où aller se réfugier pour échapper aux désastres et aux limitations que la vie comme elle est oppose à leur liberté et leurs rêves. Traduction libre (5).

Sur le présentoir des dvd, je pris un film (6) que je n'aurais jamais remarqué quelques jours avant. (7)

(1)
Une partie des chapitres du livre sont adaptés de conférences qu'il a prononcées à la fondation Juan March en 1991 et qui sont à écouter ICI

(2)
A los personajes de Onetti, igual que a personas reales, se les puede aplicar aquel dictamen de Pascal según el cual nadie vive de manera estable en el presente. Todo el mundo habita tiempos mezclados, una encrucijada de expectativas y recuerdos que se confunden en el ahora mismo y que muchas veces o lo desfiguran o lo borran. En este sentido, podría decirse que el juego de la afirmación y la negación del presente es uno de los nervios vitales de la narrativa de Onetti, en correspondencia con su otro juego más querido, el de la afirmación y la negación de lo real. De ahí que los hechos, en los cuentos, casi nunca se presenten con una ambición o una apariencia de objetividad, de sucesos neutrales que el lector presencia tan sin mediación como la vida que tiene frente à sí : dentro de los cuentos casi siempre hay alguien que cuenta o alguien que recuerda y los mecanismos de la memoria, de la palabra, de la invención involuntaria, de la ignorancia parcial, de la pura desfiguración del tiempo, son una parte de la materia contada. 
Sueños realizados : invitación a los relatos de Juan Carlos Onetti in Pura Alegría de Antonio Muñoz Molina.

(3)
Traduction Louis Jolicoeur.

(4)
À écouter ICI. (Aux alentours de 42', Vargas Llosa évoque savoureusement la rencontre de Onetti avec des poètes beatniks -Allen Ginsberg entre autres) 

(5)
El tema de la ficción y la vida es una constante que, desde tiempos remotos, aparve en literatura y, ademas de el Quijote y Madame Bovary, muchas otras lo han recreado y explorado de mil maneras diferentes. Pero acaso en ningún otro autor moderno aparezca con tanta fuerza y originalidad como en las novelas y los cuentos de Juan Carlos Onetti, una obra que, sin exagerar demasiado, podríamos decir está casi íntegramente concebida para mostrar la sutil y frondosa manera como, junto a la vida verdadera, los seres humanos hemos venido construyendo una vida paralela, de palabras e imágenes tan mentirosas como persuasivas, donde ir a refugiarnos para escapar de los desastres y limitaciones que a nuestra libertad y a nuestros sueños opone la vida tal como es. 
Mario Vargas Llosa. El viaje a la ficción
(6)
Un film uruguayen de Pablo Dotta. 
"Le Montevideo des années 90 est visité par une Française qui suit les traces de l'écrivain lauréat, Juan Carlos Onetti et les événements fragmentaires d'une histoire nationale énigmatique. Elle est cherche à trouver des photos du jour où le président Baltasar Brum se suicida en présence de la presse et d'un Zeppelin survolant la ville, dans les années 30. Un photographe tente de l'aider et, ensemble, ils se voient mêlés à une mystérieuse intrigue. Est-il possible d'inventer les images d'un pays sans mémoire ?"
source : Filmaffinity

(7)
À moins, ne puis-je jamais m'empêcher de penser, qu'il n'ait pas été mis à la portée de mon regard par hasard. 

mercredi 13 avril 2016

Sur la porte par où l'on entre dans la bibliothèque, il est écrit en caractères grecs "Pharmacie de l'âme" (1)

Aussi, je franchis l'entrée de la bibliothèque avec la certitude d'y trouver un remède. 
Au bout du bout, la nostalgie de l'ordre, le désir de symétrie. Un peu la même chose que Enrique, mon beau-frère, qui durant ses séjours à la maison s'impose la tâche de lire les livres de la dernière étagère de ma bibliothèque de gauche à droite et de haut en bas; impossible de résister à la tentation de marier les commencements, celui du jour et celui de l'année. 

Comme fatigué, si je pense aux dernières semaines et au peu de jours qui restent jusqu'à ce que je parte. Ce qui nous vient de l'extérieur, imposé, a l'inconvénient de nous épargner les décisions; nous attendons, simplement, et c'est démoralisant. Mener une vie sans événements extérieurs paraît être la condition indispensable si on veut prendre des décisions d'ordre moral. C'est pourquoi la mort, qui nous est toujours imposée, est si démoralisante. 
La joie de contrôler les faits -"facilité, bonheur sans tache". 
Malheureusement, dans le pays des faits, on finit toujours par arriver dans une province rebelle et les indigènes nous y attendent, équipés de lances mortelles.  

Traduction libre d'un extrait (2) du Journal de Jaime Gil de Biedma. 

(1) 
Sobre la puerta donde se entra a la sala de biblioteca, está escrito en caracteres griegos "Farmacia del alma"

Antoni Marí. Libro de ausencias

(2)
En el fondo del fondo la nostalgia del orden, el deseo de simetría. Un poco lo mismo que Enrique, mi cuñado, que durante sus estancias en casa se ha impuesto la tarea de leer los libros del armario extremo de mi biblioteca de izquierda a derecha y de arriba abajo; imposible resistir a la tentación de casar los dos comienzos, el del diario y el del año. 

Algo cansado, si pienso en las últimas semanas y en los pocos días que aún quedan hasta que me marche. Lo que nos viene de fuera, dictado, tiene el inconveniente de ahorrarnos decisiones; estamos a la espera, simplemente, y eso desmoraliza. Llevar una vida sin acontecimientos exteriores parece una condición indispensable si se pretende tomar dicciones de orden moral. Así la muerte, que siempre nos viene impuesta, desmoraliza tanto. 
La felicidad de controlar los hechos -"facilidad, felicidad sin tacha". 
Lamentablemente, en el país de los hechos siempre se acaba llegando a una provincia rebelde y allí los nativos nos esperan, erizados de azagayas mortíferas. 
Jaime Gil de Biedma. Diario. Retrato del artista en 1956. Las islas de Circe. 

mardi 12 avril 2016

Tuesday self portrait

Ossorio souffla la fumée de sa pipe et en huma l'air chaud tout en espionnant le visage de Martins. "Il ne se rappelle pas, pensa-t-il, qu'il y a quelques heures je lui ai dit qu'ils avaient eu la Caporale. Il fait bien, c'est sans importance. Je suis mort. Nous choisirons une date prudente et efficace pour le début de ma mort. Combien de temps faudra-t-il entre le premier et le dernier jour ? La valeur d'un homme peut se mesurer directement par le temps d'ont il a besoin, à partir du début de sa mort, pour accepter sa mort comme n'importe quelle tâche dans une journée de travail."
 Juan Carlos Onetti. Une nuit de chien

lundi 11 avril 2016

Sur un air de Raymond Queneau* (fragments d'insularité)



Un jour vers midi, au sous-sol de la bibliothèque Can Sales, devant la section philosophie, une femme aux cheveux paille qui sentait le tabac me bouscula sans s'excuser en s'approchant des étagères. Elle brandit tout à coup en ma direction un papier portant une cote qu'elle ne parvenait pas à trouver. Je l'accompagnai jusqu'au rayon correct qu'elle quitta rapidement et les mains vides pour retourner au premier étage. 
Quatre heures plus tard, je la revis à une terrasse, en grande conversation avec une jeune fille brune qui aurait pu être sa fille. Elle serrait à deux mains l'échancrure de sa veste contre elle pour tenter de se réchauffer. 
*Un jour vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d'un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84), j'aperçus un personnage au cou fort long qui portait un feutre mou entouré d'un galon tressé au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à coup son voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les pieds chaque fois qu'il montait ou descendait des voyageurs. Il abandonna d'ailleurs rapidement la discussion pour se jeter sur une place devenue libre. Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare en grande conversation avec un ami qui lui conseillait de diminuer l'échancrure de sonpardessus en en faisant remonter le bouton supérieur par quelque tailleur compétent.
Raymond Queneau. Exercices de style.  

dimanche 10 avril 2016

Ce que j'aime, 

quand tu fais mon portrait (1) 
c'est faire le tien.

(1)












samedi 9 avril 2016

Mes séances de lutte

Attends ! 
J'ai quelque chose pour toi !
 m'a dit Elena 
Ce n'est pas grand-chose mais j'ai pensé à toi en Inde ! 

1) À de nombreuses reprises, j'avais, moi aussi, pensé à elle. Mais c'était pour souhaiter que, au contraire, elle nous oublie, tous !, que ce mois de novembre soit pour elle un vrai mois de vacances loin de l'île. 

2) Je suis toujours curieuse de voir ce qui a fait penser à moi une personne et, avant que Elena revienne de son arrière-boutique où était le souvenir qu'elle me destinait, aucune idée de ce qu'il pouvait être ne m'est venue à l'esprit, vraiment : aucune. 

3) Mais c'était un moment agréable, cette petite attente. Avoir le temps de me demander ce qui, en moi, avait pu inspirer Elena, qui n'est pas une de mes proches. Et cette absence totale d'idée, qui rendait tout possible. 

4) Un cahier ! 

5) On ne sait pas toujours bien ce qu'on fait quand on commence à écrire dans un nouveau cahier. Je veux dire : on n'a pas toujours un projet précis, on commence une phrase qui devient un texte qui se poursuit jusqu'à la page suivante sans savoir si cela se reproduira, si on est en mesure ou pas de décider que cela se reproduise. 

6) Ce n'est donc qu'après en avoir écrites quelques unes que je décidai de consacrer ce cahier à des rédactions en espagnol. Et ce n'est qu'après avoir dépassé le feuillet central que je lui trouvai un titre : 

7) MI CUADERNO DE LUCHA (Mon carnet de lutte). J'ajoutais un sous-titre : contra el invierno y contra la lengua (contre l'hiver et contre la langue), ainsi qu'une citation de Antoni Marí, en exergue : 
"Tal vez poner nombre a las cosas apacigüe el desconcierto, pensé." ("Peut-être que mettre un nom sur les choses apaise la perplexité, ai-je pensé") 

8) Ce cahier offert par Elena ne possède, à première vue, aucun trait folklorique évoquant l'Inde au point qu'on pourrait le croire être un produit manufacturé made in China. On peut, cependant, découvrir à la dernière page un indice de sa provenance : écrit en anglais, un petit historique du cricket en Inde ainsi que le vocabulaire d'arbitrage de ce jeu. 

9) Quant à la page de garde, elle comporte un Myself memorandum dont certaines catégories provoquent ma perplexité. 

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vendredi 8 avril 2016

Le cabinet des rêves 274

M. et moi sommes cachés dans une maison (chez des inconnus, je crois) tandis qu'à l'extérieur, des gens font quelque chose de menaçant avec leurs portables. Ils vaporisent une substance (?) qui, à force, peut tuer. 
Au moment où je ferme un volet de la maison, j'en reçois sur les jambes mais je m'estime heureuse parce que mon agresseur n'a fait que passer dans la rue, n'a pas cherché à entrer. 
C'est ce que nous devons espérer : que personne n'entre dans la maison pour nous tuer. 
Nous sommes assez nombreux, adultes et enfants, réunis dans une pièce. 
Quelqu'un arrive alors de l'extérieur, ouvre tous les volets que j'avais clos en me disant que c'était toxique, que c'était en les maintenant fermés qu'on courait le plus grand risque. 
Je suis inquiète parce que M. a décidé de sortir alors qu'on ne sait pas quelle est la situation à l'extérieur mais il revient peu après et, entre temps, on a appris que c'était plus sécurisé. 

Rêve du 31 mars 2016

jeudi 7 avril 2016

Poème de table en version originale (sous-titrée*)

A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.

Poema SIN mesa

Hoy he pedido
Un americano 
para llevar
al mercado del olivar
en la tienda de café
para quedarme
al sol en el parque
donde estoy sentada, donde
puedo dedicarme
a recordarme
algunos otros lugares donde
ya me tomé un café. 
En Madrid por la mañana
o la semana pasada
en Ciutadella. 
Eran las ocho y media
al mercado estaba en una mesa.
Unica extranjera
comí un bocadillo a la tortilla
(francesa) 
y luego escribí un sueño
en mi cuaderno. 
Cuando miré
de nuevo la calle
te vi
a ti. 
Habías salido de la cama
caminabas allá
hacia mí. 
Te sonreí.

*
Aujourd'hui j'ai demandé 
un café allongé 
à emporter
au marché de l'olivar
à la boutique de café
pour rester
au soleil dans le parc
où je suis assise, où 
je peux me consacrer 
à me rappeler 
de certains autres endroits
où j'ai déjà pris un café. 
A Madrid le matin
ou la semaine passée 
à Ciutadella. 
Il était huit heures et demi, 
au marché j'étais à une table. 
Seule étrangère, 
j'ai mangé un sandwich à l'omelette 
(française)
puis j'ai écrit mon rêve 
dans mon carnet. 
Quand j'ai regardé 
de nouveau la rue
je t'ai vu, 
toi. 
Tu avais quitté le lit
tu marchais, là-bas, 
vers moi. 
Je t'ai souri.

mercredi 6 avril 2016

La répétition générale

La mer était proche lorsque nous les avons croisés. Nous en venions, ils y allaient, couple avec chien dont le chien, pendant que nous parlions, continua.
On pourrait croire que les tout petits endroits, que de vivre au bout d'une partie du monde, nous fait croiser souvent les mêmes gens mais non, même pas.
Ainsi, cette scène de nous et eux, avant le jour dont je parle, ne s'était déroulée qu'une fois et sans chien, en septembre 2013, quand j'étais encore sourde et muette en espagnol.
La vie n'est plus la même qu'en ce temps-là.
La mienne, du moins : je compris tout ce qui se dit, on entendit ma voix.
La leur, davantage : en trois mois tout avait changé, soudainement.
La sienne, surtout : de quotidienne, la mer lui était devenue épisodique, ses jours étaient continentaux et citadins. 
Sa nature enthousiaste le fit conclure sur les bienfaits d'une telle expérience mais il avait hâte du déménagement qui le dispenserait du voyage en train, chaque matin, à l'heure où chacun regrette son lit et n'est pas disponible pour autrui et il utilisa les mots avec lesquels, souvent, les provinciaux qualifient l'attitude des heures de pointe des métros. 
Parfaitement bilingue, j'aurais compati tout autant : ce n'est pas la grammaire qui m'aurait aidée à faire comprendre que c'est justement cette heure-là qui me manque, quand les villes se réveillent et s'organisent, que chacun rejoint sa place pour le ballet de la journée dans le décor qui vient d'être nettoyé, cette heure urbaine qui fait croire que chaque jour peut être autre alors qu'il commence comme le précédent. 

mardi 5 avril 2016

Tuesday self portrait

La description est sans doute la figure la plus représentative des formes du voyage. Décrire est faire voir et voir, savoir et faire savoir, objectifs du voyage depuis l'Antiquité. 
(…) Du fait de sa condition de peintre, Fromentin s'interroge en permanence sur le procédé qu'il suit pour décrire. Qu'est-ce qui surgit avant qu'il le perçoive : le mécanisme, la pensée qui engendre l'image ou la forme qui la provoque : "Ce sont des enfants qui jouent au soleil ? Ou une place au soleil sur laquelle jouent des enfants ?" 
Traduction libre d'un extrait de El sentido del viaje (Le sens du voyage) de Patricia Almarcegui. 

lundi 4 avril 2016

La vie sans elle (fragments d'insularité)

C'est sa liseuse qui m'a renseignée sur sa nationalité. Sa peau laiteuse, certes, aurait pu aussi mais on les trouve ailleurs également, ces peaux-là, plus au nord encore, ces peaux jolies sous la pluie, que le soleil vite flétrit. 
Certains voyages en bus renseignent presque autant qu'un interrogatoire de police. 
L'intérieur de son sac à main m'a dit tout l'ordre, toute la méthode qui manquent au mien qui, pourtant, a en commun avec le sien mini-parapluie, crème pour les mains. 
Au paysage par la vitre s'est substitué celui de son appartement que j'ai imaginé, fermé à clef. 
Les rideaux tirés, un cardigan sur le dossier du fauteuil, la table de la cuisine nettoyée des miettes de son dernier petit déjeuner, la vaisselle depuis longtemps sèche dans l'égouttoir, le frigo presque vide sur lequel elle aimantera quelques photos du voyage qu'elle est en train de faire, les cris de la récréation de l'école d'en face car, pendant qu'elle est ma voisine dans le bus qui traverse l'île, la vie continue, chez elle mais sans elle. 

dimanche 3 avril 2016

SOUS LES COUVERTURES

En grec, "retour" se dit nostos. Algos signifie "souffrance". La nostalgie est, donc, la souffrance causée par le désir inaccompli de revenir. La majorité des européens peuvent utiliser, pour exprimer cette notion fondamentale, un mot d'origine grecque (nostalgie) mais aussi d'autres mots qui prennent leurs racines sont dans la langue nationale : en espagnol, on dit "añoranza"; en portugais, saudade
(…) En espagnol, regret ("añoranza") vient du verbe "añorar", qui vient, lui, du catalan enyorar, dérivé du verbe latin ignorare (ignorer, ne rien savoir). A la lumière de cette étymologie, la nostalgie nous apparait comme la douleur de l'ignorance.
Milan Kundera. L'ignorance

Trois ans après le début de tout, c'était une intimité encore inédite que de nous échanger au milieu des vacances les livres que nous venions de finir de lire et de parler des personnages comme de personnes réelles croisées en voyage. 

Ce qui gênait Anita, en Julio, c'est qu'il lui avait changé son amie :
Tu m'as changé mon amie. Elle n'était pas comme ça.
Et toi, tu as toujours été comme ça ?
Comment comme ça ?
Comme ça, comme tu es.
Emilia intervint, conciliatrice et compréhensive. Quel sens il y a à être avec quelqu'un s'il ne te change pas la vie ?
Alejandro Zambra. Bonsai

samedi 2 avril 2016

"Sans la poésie pour nous sauver, nous serions des morts vivants"*

Ce soir-là, nous aurions aimé avoir été encore plus nombreux dans la salle. 
Le cinéma espagnol est tellement rare qu'il donne à ses spectateurs l'impression d'être des clandestins. 

*in L'académie des muses, un film de José Luis Guerin.

vendredi 1 avril 2016

Le cabinet des rêves 273

F.M. descend d'un bus où il signe des albums, le temps d'une pause. 
Il sort un paquet de cigarettes et nous interpelle, E. et moi, qui sommes assis côte à côte à une table. 
-C'est la dernière que je fume, après j'arrête ! Il m'en reste une, vous la voulez ? Enfin, sans doute pas toi : tu n'as pas une tête à fumer ! 
C'est à moi qu'il a dit cela et il est surpris que ce soit le contraire : E. qui a cessé de fumer et moi qui accepte sa proposition. 
Il s'agit de cigarettes très longues et torsadée comme le sont certains cigares. 

Plus tard, je lui demande non pas une dédicace mais qu'il réalise pour moi un tee-shirt comme celui que je suis en train de porter, dans un tissu à pois. 
J'ai une idée très précise de ce que je veux mais la négligence avec laquelle il prend ma commande me laisse douter du résultat que je vais obtenir. 

Rêve du 14 mars 2016