mardi 31 décembre 2013

Tuesday self portrait

L'accent se présente à la fois comme la trace d'une concession et comme un cadeau : aveu de faiblesse par le renoncement à la langue première mais offrande faite par celle-ci à la langue seconde. Car, en fait, il n'y aucune raison pour qu'une langue première s'efface devant une langue seconde, et la langue seconde aurait tort de se sentir malmenée ou offensée par un accent qui est d'abord le signe d'un désir, d'un intérêt pour elle. Toutes les langues, si différentes soient-elles, sont faites pour s'aimer et les accents projetés par les unes sur les autres prouvent que ces échanges amoureux, que ces croisements sont non seulement possibles mais féconds. Chaque langue a son économie phonologique et son autonomie, et l'on peut imaginer que chacune pourrait vivre an autarcie; mais la parole répond à une économie générale qui, sans les prévoir ni les réglementer, rend les échanges possibles sous réserve de cette taxe douanière ou de cette tolérance à l'importation qu'est l'accent.
Alain Fleischer. L'accent une langue fantôme.  

lundi 30 décembre 2013

Ma vie d'Oblomov

La position allongée n’était pour Ilia Ilitch ni nécessaire, comme pour un malade ou pour un homme qui veut dormir, ni accidentelle, comme pour une personne fatiguée, ni voluptueuse comme chez le fainéant ; c’était son état normal. Quand il était à la maison – et il y était presque toujours – il demeurait couché, et toujours dans cette chambre où nous l’avons trouvé, qui lui servait de chambre à coucher, de cabinet et de salon. Il était rare qu’il mît les pieds dans les trois autres pièces.
Ivan Gontcharov. Oblomov. 
Là, c'est le moment où, 
assise en face de la maison du gardien du port, 
je décidai de ne photographier 
que ce que je pouvais voir sans me déplacer. 

dimanche 29 décembre 2013

French kissing

Ailleurs que dans un musée -où notre oeil est si habitué à se poser sur ce qui peut être un titre, une information- nous ne l'aurions peut-être pas vue, cette plaque discrète. 
C'est ainsi que nous sommes entrés dans la salle en sachant que sa capacité d'accueil maximale était de trois cent vingt personnes. 
Et pourtant, on aurait fait procéder à une évacuation que notre visite n'aurait pu être davantage privée. 

Je suis bien sûre d'avouer tous les crimes dont on aurait envie de me rendre coupable si on m'empêchait de dormir. Mais plus vite encore je signerais n'importe laquelle des dépositions si c'était de solitude qu'on me privait. 
Et pourtant la vie sans toi, non, je ne pourrais pas. 

samedi 28 décembre 2013

Une enquête sentimentale

Savez-vous où vous voulez être enterré ou que vos cendres soient répandues ?
Avez-vous aimé/aimez-vous faire des études ?
Qu'est-ce qui a motivé le choix de votre lieu d'habitation ?
Gardez-vous en mémoire les conversations ?
Pouvez-vous toujours dire la date du jour sans hésiter ?
Avez-vous déjà volé quelque chose ?
Portez-vous toujours des vêtements de la même couleur ?
Ce que vous apprenez de la vie privée d'un artiste influence-t-il votre perception de son travail ?
Qu'y faites-vous quand vous passez une journée à la mer ?

vendredi 27 décembre 2013

Le cabinet des rêves 155


Je vais me marier bientôt et je m'aperçois que j'ai complètement oublié de me laisser pousser les cheveux. 
Je me demande s'ils seront assez longs pour les accrocher et chez qui je vais aller : 
je crains que mon ancienne coiffeuse soit davantage tentée de faire une démonstration de ses talents que de réaliser ce qui m'irait le mieux. 

Rêve du 16 octobre 2013

jeudi 26 décembre 2013

Chroniques casanières

c'était comme à Noël au studio
 ouvrir mes cartons y trouver 
les livres  jusqu'ici transportés
comme autant de cadeaux

mercredi 25 décembre 2013

La veille

Le vent, talentueux décorateur, avait suspendu des nuages à mon seul usage car c'était encore seule que j'étais sur le rivage. Loin des papiers cadeaux, des corbeilles de papillotes, des bûches au coeur glacé.  C'était presque Noël et un temps d'allégresse, un temps à rentrer et déboucher les bouteilles sans les jeter à la mer.

mardi 24 décembre 2013

Tuesday self portrait

Ils s'arrêtèrent à un autre carrefour. Le haut-parleur d'une boutique déversait sur eux la voix niaise d'un ténor chantant Je rêve d'un Noël tout blanc sur un ton d'espérance affligée. Et Stanley, abandonnant ses compagnons à cet assaut lugubre, descendit du trottoir comme s'il avait été poussé par Cherubini, les trompettes, le fracas des cuivres : le cor retentit, et il évita de justesse l'énorme automobile silencieuse conduite par une dame fragile, accrochée comme une sculpture gothique au volant qui lui arrivait tout juste au menton. 
(...) Un homme qui tournait le dos à la boutique déclara : 
-Il ne neigera pas, il fait trop chaud pour qu'il neige... 
Et Otto, levant les yeux vers l'endroit que regardait l'homme, vers le ciel du nord au-dessus des immeubles, s'aperçut qu'il ne tremblait pas de froid, mais qu'il tremblait simplement. Et il entendit Max qui disait : 
-Tu voudrais que tout le monde soit comme toi, voilà ta difficulté, Stanley. 
-Je voudrais que tout le monde soit comme je voudrais être, répondit Stanley. 
William Gaddis. Les Reconnaissances.

lundi 23 décembre 2013

L'échange

Ce qui se passe dans les romans est sans importance, on l'oublie une fois qu'ils sont finis. Ce sont les possibilités et les idées qu'ils nous inoculent et nous apportent à travers leurs cas imaginaires qui sont intéressantes, on s'en souvient plus nettement que des événements réels et on en tient compte.
Javier Marias. Comme les amours
J'ai converti les heures de lecture en heures de ciel, d'air, de mer, de bleu, de pique-nique, d'amour. 
Jamais depuis longtemps je n'avais ainsi pensé Je n'ai pas le temps de lire sans, pour autant, le regretter.

dimanche 22 décembre 2013

(...) et après y avoir rangé le raisin, le chou -tes dernières mortes- tu en as fermé la porte en disant que ce n'était plus un frigo mais : une morgue. 

samedi 21 décembre 2013

Une enquête sentimentale

Souhaitez-vous parfois la mort de quelqu'un ?
Avez-vous une méthode pour vous endormir ?
A-t-on déjà dit de vous que vous étiez irresponsable ?
Eprouvez-vous 
souvent
 parfois
 jamais 
l'envie de faire l'autruche ?
Possédez-vous des enregistrements de votre voix ?
Pratiquez-vous une activité créative ?
Si vous déménagiez demain, auriez-vous à transporter 
3 m3
15 m3
30 m3 et plus
?
Avez-vous l'esprit décisionnaire ?
Avez-vous déjà été transporté en ambulance ?
Parvenez-vous facilement à donner un âge aux personnes que vous rencontrez ? 

vendredi 20 décembre 2013

Le cabinet des rêves 154


Un employé de Sixt vient chez nous pour que je paye la location de voiture.
On explique que M. a déjà payé, que c'était convenu entre nous, que je ne vais pas repayer la même somme.
Avant de partir, il nous demande de nous rendre sur le site internet de la société pour répondre à un sondage : il s'agit d'entourer nos réponses pour exprimer notre satisfaction, directement sur l'écran.
On s'aperçoit, quand on le fait, qu'il y a des traces sur mon ordinateur : apparemment, quelqu'un a déjà répondu à cette enquête ou une autre similaire.

Rêve du 18 décembre 2013

jeudi 19 décembre 2013

Chroniques casanières


les pièces de la maison
petit à petit changent de nom
la pièce Dark Vador et celle que maintenant on dit
être la chambre des ennemis

mercredi 18 décembre 2013

une traversée en solitaire

Pour décrire Barcares où j'avais passé quelques heures
 j'aurais pu dire qu'il n'y en avait pas un. 
Et pourtant, je n'y avais croisé que ça : 
des chats. 

mardi 17 décembre 2013

Tuesday self portrait

C'étaient eux deux qui m'allaient bien, les deux ensemble. Je ne les regardais pas avec jalousie, pas du tout, mais avec le soulagement de constater que dans la vie réelle on pouvait rencontrer ce qui, à mon sens, devait être un couple parfait. 
(...) C'était comme s'ils avaient pris l'habitude de s'accorder une pause ensemble, avant de se rendre chacun à son travail. Un petit moment à eux, pour ne pas se défaire l'un de l'autre en pleine effervescence, et pouvoir bavarder avec animation, je me demandais de quoi ils parlaient ou ce qu'ils se racontaient -comment ils avaient tant de choses à se dire, s'ils se couchaient et se levaient ensemble et partageaient leurs pensées et ce qui leur arrivait-, leur conversation ne me parvenait que fragmentée, ou par mots isolés. Une fois je l'entendis qui l'appelait "princesse".
Javier Marias. Comme les amours

lundi 16 décembre 2013

Standing

Jeune, oui, je parlais de mon dentiste, mon fleuriste, mon caviste. 
Plus maintenant.
Mais l'autre jour, en le reconnaissant à sa casquette et sa veste de sport rouge dans le parc où, munie de mon café portatif, je venais d'entrer, je me surpris à penser de cet homme qu'il était mon chauffeur. 

dimanche 15 décembre 2013

Ma ligne de chance

J'avais déjà entendu Rezvani mais c'était avant toi. Et quand il avait parlé de ses femmes, je m'étais sentie aussi jalouse que si jamais je n'avais été aimée. 
Hier c'est sa voix, une nouvelle fois, que j'avais dans les oreilles pendant que je couvrais d'enduit les murs.
Mais maintenant je suis dans ta vie et tu es là en bas dans l'atelier quand je suis dans mon studio, en haut de l'escalier. 

samedi 14 décembre 2013

Une enquête sentimentale

Visitez-vous volontiers les zoos ?
Avez-vous des opinions tranchées ?
Quelle est la dernière photo que vous ayez prise ?
De quelle manière avez-vous récemment suscité l'admiration de quelqu'un ?
Sauteriez-vous en parachute ?
Faites-vous un grand usage des nouvelles technologies ?
Avez-vous déjà participé à une émission de télévision ?
Assistez-vous plus souvent à des mariages ou à des enterrements ?
Quel voyage vous a-t-il le plus marqué ?



vendredi 13 décembre 2013

Le cabinet des rêves 153

Je suis chez moi à B., c'est dimanche je fais des gâteaux que je compte envoyer à G. mais je change d'avis.
E. passe me voir et je les lui fais manger.
Il fait beau. Je décide d'aller au Canada, essentiellement pour voir L.
J'y arrive et je commence à prendre des photos dans un champ (je photographie des détails, pas le champ en lui-même) et, aussitôt, une voix s'élève d'un haut parleur : c'est Monsanto qui m'interdit de prendre des photos.
Je monte dans un bus à impériale et je passe devant l'université de L. 
Justement elle est là, assise sur les marches de l'entrée avec des amies. 
Le bus passe une première fois, elle ne me voit pas. Au 2ème passage, si ! 
Elle n'en revient pas de me voir là !
On se retrouve chez Ch. et M. 
Par la fenêtre, je peux voir la mer et elle est très belle et bleue.
De nombreux invités sont installés autour de plusieurs tables. 
B. est au bout d'une d'elles, il me réserve un accueil indifférent. 
J'ai un gros chien sur les genoux (grand mais élégant). A un moment, il monte sur la table mais redescend aussitôt en faisant comme si personne n'avait pu le voir faire. 
L. me montre à moi et à quelqu'un d'autre, une photo de F. et nous donne de ses nouvelles.
Je n'ai rien dit à personne de ce voyage. 
J'explique à Ch. que je compte prendre un aller-retour en avion même si je n'ai pas fait l'aller.

Rêve du 6 décembre 2013

jeudi 12 décembre 2013

Chroniques casanières


certaines nuits 
nous sommes trois dans le lit
toi moi lui
ce sommeil qui nous fuit

mercredi 11 décembre 2013

L'hiver

C'est comme cette fois où je suis rentrée en disant On dirait l'été ! mais l'été d'ailleurs car sans Mlle Chanel, mes joues auraient rosi à coup sûr. Quant à mes lèvres... 
C'était un jour à dénuder ses bras, un jour à je ne vous dis que ça. 

Les déménagements forcent à redécouvrir les saisons. 
Ici l'hiver est vert printemps et les agneaux poussent dans les champs. 

mardi 10 décembre 2013

Tuesday self portrait

Sur les conseils (ou l'ordre ?) de Picasso, elle reprend sans fin le même motif de nature morte : un pot d'aspidistra posé sur une table à côté d'un réveille-matin. Les couleurs sont vert émeraude pour les longues feuilles de la plante, rouge brique pour le pot, blanc pour le cadran du réveille-matin dont les aiguilles sont aussi figurées, marron pour le plateau de la table. Le fond est gris, modulé par des hachures noires. Selon les toiles, les bords du pot et le cadran du réveille-matin sont courbes ou carrés. Le dessin des feuilles et les couleurs austères présentent aussi d'infimes variations. Austérité qui cadre avec la façon dont elle s'habille chez (ou plutôt dont elle est habillée par) ce grand couturier au nom méditerranéen (Balenciaga) et au style dépouillé, rigoureux (Espagne noire).
Claude Simon. Le jardin des plantes.

lundi 9 décembre 2013

seuls, alone

J'étais en avance et assise à la droite de la femme aux bottes longues, au manteau cintré, à la gauche de l'homme au chapeau, au journal ouvert sur l'Ukraine, sur le monde. 
Et je sentais presque leur chaleur, notre chaleur d'humains indifférents, inconnus.
Et plus tôt aussi, sur la rambla bruissante de l'excitation des fins de semaine et dans les rues aux terrasses joyeuses, les gens. 
Je regardais par la vitrine la cliente aux cheveux aluminium et son sourire dans le reflet. Mais les fesses du coiffeur, oui aussi. Et pourquoi à ce moment-là ? Mais c'est à ce moment-là que j'ai pensé à ce que je ne voyais pas. Tout ce qu'ils avaient, ces gens, ce qu'ils avaient en eux de mémoire ou d'oubli, d'enthousiasme ou de lassitude, d'espoirs mais aussi de désamours. 

Puis je suis descendue prendre le bus qui allait me ramener chez moi, là où l'île est déserte. 

dimanche 8 décembre 2013

ISLAND LIFE

C'est le jour où tu m'as dit qu'il m'arrivait d'arrêter de respirer pendant que je dormais (1), le jour où nous nous sommes allongés sur le ponton au milieu de l'eau, le jour où nous avons parlé de noyade mais aussi d'avenir (2), le jour où nos pieds étaient nus et nos bouches jointes (3). C'est le jour où mon col était orange et les agrumes de l'hôtel mûrs, le jour où tu m'as dit mais alors c'est écrire un blog qui t'a changée comme ça (4). C'est le lendemain du jour où tu m'avais fait remarquer (5) qu'avoir passé tant de temps de notre jeunesse seuls dans des forêts, avoir tant aimé ça, ne jamais avoir eu peur de rien (6) et surtout pas de la solitude n'avait sans doute pas compté pour rien dans ce que nous étions devenus. C'est le troisième jour de suite où tu as dit de ces heures de sandwich, de paresse et de soleil qu'elles nous ressemblaient vraiment. 

(1) et j'ai pensé à cette autre nuit où tu avais mesuré mon rythme cardiaque, quand je ne t'avais pas encore dit que je t'aimais.
(2) et quand tu évoques tes projets pour la prochaine décennie, je m'y vois aussi.
(3) mais ça, c'est délicieusement quotidien. 
(4) et j'ai répondu que non, pas vraiment, non. D'autres choses : oui. Et notamment d'avoir vu s'effacer des mois d'archives photographiées.
(5) et, étonnamment, je n'y avais jamais pensé.
(6) enfin si, tout de même, en tout cas moi : les chiens des chasseurs et les serpents mais jamais de m'égarer trop gravement ou... d'ailleurs, qu'est-ce qu'on aurait bien pu redouter ? 

samedi 7 décembre 2013

Une enquête sentimentale

Vivez-vous avec quelqu'un qui vous prend en photo ?
Votre rire est-il bruyant ?
Quel plat cuisinez-vous le plus souvent en ce moment ?
Exprimez-vous des souhaits de cadeaux à votre entourage aux environs de Noël ?
Quand, pour la dernière fois, avez-vous vécu un décalage horaire ?
Qu'est-ce qui vous donne l'impression de rajeunir ?
Votre peau supporte-t-elle bien le soleil ?
Attendez-vous avec impatience la retraite ?
Conservez-vous les lettres ou les cartes que vous recevez ? 
Avez-vous déjà montré à votre coiffeur la photo d'une célébrité en guise de modèle pour votre coupe ?

vendredi 6 décembre 2013

Le cabinet des rêves 152

Je marche dans la rue avec M.
Nous sommes enlacés, joyeux, tranquilles. 
Par-dessus mon épaule, j'aperçois L. qui nous voit et qui change de trottoir pour être sûr de nous éviter. 

Rêve du 1er novembre 2013

jeudi 5 décembre 2013

Chroniques casanières

moi au soleil sur la terrasse
lui à la fenêtre me faisant face
nos conversations sont sans fin sans témoins
toujours je me réjouis de l'absence de voisins

mercredi 4 décembre 2013

en casa

A la vue des palmiers, j'ai cherché à me souvenir ce qui 
ailleurs
me faisait penser
Je suis de retour.

mardi 3 décembre 2013

Tuesday self portrait

"Du reste, continua Mme de Cambremer, j'ai horreur des couchers de soleil, c'est romantique, c'est opéra".

Marcel Proust. La recherche du temps perdu

lundi 2 décembre 2013

Ma vie de province

J'ai noté tout cela. Un jour de grande patience, je pourrais les compter les fois où j'ai pris le train pour quitter O. en direction de la capitale, les fois où je suivais des yeux la voie parallèle de l'aérotrain jusqu'à sa brutale interrupt...

dimanche 1 décembre 2013

Blue lips

Et même quand je ne suis pas là
tu sais m'inventer auprès de toi.