mardi 30 septembre 2014

Tuesday self portrait

Qui aime ne s'attache pas seulement aux "défauts" de l'être aimé, pas seulement aux tics et faiblesses d'une femme, mais aux rides de son visage, à ses grains de beauté, ses vieux vêtements et sa manière d'avancer de travers, bien plus durables et inflexibles que toute beauté. Nous l'avons appris il y a longtemps. Et pourquoi ? Si est vraie cette théorie qui dit que la sensation ne se situe pas dans la tête, qui dit que nous ressentons la présence d'une fenêtre, d'un nuage, d'un arbre, non pas dans le cerveau, mais au contraire à l'endroit même où nous les voyons, alors nous sommes à la vue de l'être aimé hors de nous-mêmes. Mais ici, et très péniblement, tendus et écartelés. Le sentiment aveuglé volette tel une nuée d'oiseaux dans l'éclat de la femme. Et comme les oiseaux cherchent un abri dans les caches feuillues des arbres, les sentiments s'enfuient dans les rides ombreuses, les gestes sans grâce et les tares qui n'ont l'air de rien du corps aimé, où ils se tapissent, bien à l'abri, dans le refuge. Et aucun passant ne devine que c'est ici, justement, dans les insuffisances, les choses blâmables, que se niche, rapide comme la flèche, l'élan amoureux du soupirant. 
Walter Benjamin. Sens unique

lundi 29 septembre 2014

"Je me souviens des jours anciens"

Le ciel bleu au-dehors ?
Le couloir long et bruissant de voix ? 
Tous ces gens en train d'attendre, comme moi, 
devant une porte numérotée et dans un ordre de passage précis ?
Qu'est-ce qui m'a ramenée si évidemment vingt-six ans auparavant ?

J'ai corné ma page (1), cinq minutes avant l'heure qui m'avait été assignée, en pensant qu'il valait mieux arrêter de lire en français, pour que ne se mélangent pas les langues, pendant l'épreuve

En 1988, j'étais sortie de la salle après avoir commenté le chagrin de Verlaine (2) sans conviction. 
En 2014, je refermai la porte munie d'une ordonnance (3) de larmes. 

(1) "Ces filles sont amantes. Il faut que tu le fasses passer." Il a levé les bras au ciel. J'ai été prise au dépourvu. Il n'y avait rien dans le texte qui laisse entendre une chose pareille. "T'as qu'à faire comme si c'était une de tes petites copines." Tony et moi nous sommes lancés dans un échange animé qui s'est achevé sur un éclat de rire incrédule de sa part. "Tu te piques pas et t'es pas lesbienne. Mais qu'est-ce que tu fabriques en réalité ?"
Patti Smith. Just kids

(2) Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits ! 
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !

(3) VISCOFRESH 1% es un colirio en solución en envases unidosis de 0,4 ml. Se presenta en envases que contiene 5, 10, 20, 30 y 90 unidosis.
VISCOFRESH 1% trata los síntomas de ojo seco.


dimanche 28 septembre 2014

WAVE

la lumière change et les sensations
qu'on range au placard comme des habits de saison 
les vagues qui nous privèrent
du rocher plat confirmèrent 
qu'il s'agissait de notre dernier bain de mer
mais tu pratiques* 
d'autres jeux d'eau
en transportant partout tes pinceaux. 
*je te cite : J'aime bien le côté aquatique

samedi 27 septembre 2014

Une enquête sentimentale

Portez-vous du parfum ?
Avez-vous déjà changé de trottoir afin d'éviter de saluer quelqu'un ?
Vous est-il arrivé de vous couper les cheveux vous-même ?
Á quelle forme d'art êtes-vous le plus sensible ?
Dans votre vie quotidienne, que faites-vous le plus  :
parler
ou
vous taire
?
Qu'est-ce qui favorise votre concentration ?
En ce moment, quelle émotion ressentez-vous le plus souvent ?
Faites-vous beaucoup de projets ?
Avez-vous découvert tôt vos aptitudes, vos talents ?
Quand vous vous posez une question, 
en cherchez-vous 
toujours
souvent
rarement
la réponse ? 

ICI, des voix sentimentales

vendredi 26 septembre 2014

Le cabinet des rêves 194

J'ai un chien et j'habite à proximité de la mer. 
Tous les matins, je vais faire courir mon chien après une balle dans un espace où la végétation est très dense : comme un maquis, et qui me sépare de la plage. 
Tous les matins, J.P. m'y rejoint. 
Un matin, il ne vient pas et je constate que mon chien, à force d'avoir couru dans tous ces végétaux, les a aplatis : il n'en reste plus et la mer est maintenant bien visible. 

Rêve du 30 août 2014

jeudi 25 septembre 2014

Complément d'enquête

Mes jours n'étaient pas (tous) tendres mais j'ai décidé il y a 8 ans qu'il n'en passerait plus aucun sans que j'en garde une trace. 
Couleurs de ciel, humeurs des rues, mots qui comptent, rêves édifiants, voyages imaginaires, petits cailloux ou pierres à mon édifice. Pour ne jamais oublier qui j'étais, décider qui je serai. 


et vous ? qu'en faites-vous, du temps qui passe ?

mercredi 24 septembre 2014

"LEER ES UNA FORMA DE VIVIR" *

Des livres sont éparpillés, dans la maison, ont des dates de 
retour, glissées entre leurs pages. 
Comme des dates de péremption. 
Pourtant, ce que je lis ne se périme 
pas : me nourrit. 
*"Lire est un mode de vie"
Rosa Montero. La loca de la casa.

mardi 23 septembre 2014

Tuesday self portrait

Je me suis regardée dans le miroir au-dessus du lavabo. J'ai réalisé que je n'avais pas changé de coupe de cheveux depuis mon adolescence. Je me suis assise par terre et j'ai étalé les quelques magazines de rock qui étaient en ma possession. En général, je les achetais pour y récupérer toutes les nouvelles photos de Bob Dylan, mais cette fois-ci, ce n'était pas lui que je cherchais. J'ai découpé toutes les photos de Keith Richards que j'ai pu trouver. Je les ai étudiées un petit moment, puis j'ai sorti mes instruments et, à grands coups de cisailles, j'ai fait mes adieux à l'ère folk. Après quoi je me suis fait un shampooing dans la salle de bains du palier et j'ai secoué mes cheveux pour les sécher. C'était une expérience libératrice. 
A son retour, Robert a été surpris mais content. "Qu'est-ce qui t'a pris ?" s'est-il exclamé. J'ai répondu d'un simple haussement d'épaules. Mais quand on est retournés au Max's, ma coupe de cheveux a fait sensation, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'en revenais pas de l'effet produit. J'étais toujours la même personne, mais mon statut social s'est élevé d'un coup. Ma coupe à la Keith Richards déliait automatiquement les langues. Ça m'a fait penser aux filles que je connaissais au lycée. Elles rêvaient de devenir chanteuses mais finissaient coiffeuses. Aucune de ces deux vocations ne m'attirait particulièrement, mais dans les semaines suivantes j'allais couper les cheveux de beaucoup de gens et chanter à La MaMa. 
Patti Smith. Just kids

lundi 22 septembre 2014

Une chambre à moi (1)

Depuis longtemps, je n'avais pas ouvert la boîte de Mamy et le bruit du couvercle m'a emmenée ailleurs alors même que passaient des gens, dans la rue, qui parlaient fort comme chez eux, qui m'ont semblé être chez moi
Je dis encore chez toi. Je dis aussi chez nous. Chez vous, parfois. 

Je garde une trace de mon grand appartement (2) dans la mémoire de mon appareil photo comme un foyer nomade, portatif, permanent.  
Et je me demande parfois : qui dort dans cette chambre, depuis qu'elle n'est plus à moi

(1) "Si Mrs. Seton et sa mère, et la mère de sa mère avaient appris le grand art de gagner de l'argent, si elles avaient, comme leurs pères et leurs grands-pères, fait des legs destinés à la création de chaires ou de maîtrises de conférences, et de prix, et de bourses affectées à une personne de leur propre sexe, nous aurions pu dîner seules ici, de façon très acceptable, avec un perdreau et une bouteille de vin; nous aurions pu, sans pour cela faire preuve d'une confiance exagérée, escompter une vie agréable et honorable à l'abri d'une profession généreusement rétribuée. Nous aurions pu explorer ou écrire; flâner à travers les lieux les plus vénérables de cette terre; rester en contemplation, assises sur les marches du Parthénon, ou nous rendre à dix heures au bureau, puis rentrer tranquillement chez nous à quatre heures et demie pour écrire un petit poème."
Virginia Woolf. Une chambre à soi

(2) celle, aussi, d'un train où j'ai passé onze heures à l'aller, onze heures au retour, où je me suis sentie si bien.













dimanche 21 septembre 2014

Supersymmetry

Les vues du rêve sont une prière. Les vues du rêve représentent ton mal. Les vues du rêve naissent sous la terre entre tes jambes. Les vues du rêve sont l'oeuvre de celui qui souffla les rêves et la science des rêves. Les vues du rêve nous mangent crus dans le creux du cou. Lave ton cou et fais de beaux rêves. 
Antoine Brea. Roman dormant
Le récit de nos rêves jumeaux rend nos réveils incrédules.
C'est à croire que nos inconscients se donnent la main la nuit 
 comme nous le jour.

samedi 20 septembre 2014

Une enquête sentimentale

Savez-vous manger avec des baguettes ?
Y a-t-il plus de choses que vous voudriez 
retenir
ou 
 oublier 
?
Aimez-vous plaire ?
Dans votre vie quotidienne, passez-vous davantage de temps
immobile
ou
en mouvement 
?
Imaginez-vous
souvent
rarement
jamais
le pire
 ?
Avez-vous (déjà eu) envie de faire de la politique ?
Gardez-vous un bon souvenir de votre première expérience sexuelle ?
Quelle est votre ville préférée dans le monde ?
Exercez-vous une profession dont vous entendez souvent dire du mal ?
Notez-vous des extraits des livres que vous lisez ?

ICI, des voix sentimentales

vendredi 19 septembre 2014

Le cabinet des rêves 193

Je suis à l'étranger (où ? dans une situation linguistique étrangère, en tout cas), dans une rue à proximité d'un salon de beauté francophone fréquenté par des expatriées Françaises. 
Une esthéticienne, à qui je n'ai rien demandé, s'approche de moi et examine mon décolleté d'un air catastrophé. 
Elle me dit que je devrais consulter un médecin chirurgien, que lui seul pourrait agir dans cette situation. 
Je lui signale que je n'ai pas besoin de ses conseils que je n'ai même pas sollicités et que, par ailleurs, je ne pense pas que l'état de ma peau soit si désastreux. 
Elle insiste. 
Une altercation suit : je ne supporte pas qu'elle me parle sur ce ton et elle, elle prend à partie les personnes autour. 

Rêve du 4 septembre 2014

jeudi 18 septembre 2014

La perfusion

m'ont délestée de deux billets
mais m'ont aussi offert une nouvelle dose de
VILLE


mercredi 17 septembre 2014

Anatomie de la mémoire

Qu'est-ce qui fait (re)venir nos souvenirs ?
Dans cette aurore gallicéenne, précocement évincée du sommeil, pourquoi ai-je pensé à Delphine A. ? 
Et même, plus précisément : à la chambre de Delphine A. ?
Plus encore que la façade cossue de la villa financée par son dentiste de père, c'est sa chambre qui avait achevé de me convaincre que nous n'étions pas de la même classe. 
Et même, plus précisément : sa table de chevet. 
Pourquoi cette tablette en verre, somme toute assez laide, m'était-elle apparue autrement plus chic que tous les meubles hétéroclites et sans style qui peuplaient mon univers de l'époque ? 
Si Delphine A. était venue chez moi, elle n'aurait, quant à elle, pas attribué le fatras de ma chambre à du mauvais goût mais elle y aurait peut-être vu une autre manifestation de ma personnalité qui lui faisait affirmer prophétiquement et sans que je comprenne pourquoi : "Toi, tu seras philosophe". 

Quand me (re)venaient ce genre de souvenirs-là, avant, je me demandais ce qu'il leur restait de moi, aux gens et si, d'ailleurs, ils se souvenaient de moi, parfois. 
Maintenant je sais que oui, c'est arrivé : au moins une fois. C'est d'ailleurs pourquoi j'habite là. 

mardi 16 septembre 2014

Tuesday self portrait (sentimental)

Heureuse d'être ce que j'étais, ce jour-là, profondément heureuse -l'institut de massage, ma robe très courte, la vie en général. 
Jean Rhys. Rive gauche
(à moi aussi, il arrive d'être sentimentale et c'est : ICI)

lundi 15 septembre 2014

El retiro

Nous avons marché à travers, oui : traversé le parc del Retiro, croisant des amoureux, de vieilles personnes et des sportifs, oui : beaucoup de sportifs, dépassant des groupes assis dans l'herbe mais des enfants : peu, des enfants presque pas comme si l'heure était adulte, comme si les enfants étaient tous restés sur le parvis du musée de la Reine Sofia, des nuées d'enfants émiettant leur goûter ou tapant dans une balle, comme si aucun enfant de la ville n'était au parc del Retiro dont nous avons atteint le coeur, loin du tumulte et des avenues, loin des voitures et loin des gens car : nous étions moins d'une dizaine, visiteurs et gardiens y compris, au Palais Velazquez, devant les toiles de Kerry James Marshall.

En ville, c'est pourtant hors des parcs que je me sens retirée mais plutôt dans ces cafés internationaux où chacun ne donne à connaître de soi que son prénom -le vrai ? un emprunté ?- inscrit sur son gobelet, où les cheese-cakes, les sandwichs entamés attendent que les mains se libèrent des claviers ou des pages, car : des livres s'ouvrent, des ordinateurs, et les visages abandonnent le monde, les yeux se tournent vers l'intérieur,  oui : dans ces cafés uniformisés, nous sommes en retraite de la ville, de la vie, dans une communauté improvisée, toujours renouvelée, une communauté imaginée. 
Premièrement, il faut l'émergence de la métropole moderne, "la fréquentation des villes énormes" comme dit Baudelaire. La ville c'est la condition de la discrétion : parce que dans les villages ou les petites villes, tout ce qui est caché est toujours su; et dans les déserts, on est simplement solitaire -la question de la discrétion ne se pose pas.
Deuxièmement, il faut l'amour de la foule qui peuple les grandes villes, la passion de la multitude pensée à la fois comme "immense réservoir d'électricité", source d'énergie et d'imprévu inépuisable, et comme seul espoir de pouvoir vivre une "solitude peuplée", c'est-à-dire ni un splendide isolement orgueilleux et vite stérile, ni un esseulement tout aussi stérile, mais un état de communication dissymétrique dans lequel on ne cesse de voir sans être vu et d'être vu sans voir : seule la foule, la masse à la fois indifférenciée pour qui ne sait pas voir et invraisemblablement différenciée pour qui sait voir, est la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté à laquelle on peut alternativement et se donner et se reprendre.
Pierre Zaoui. La discrétion ou l'art de disparaître.

dimanche 14 septembre 2014

Somewhere not here

En ce premier avril, nous avions tourné le dos à la ville, sauté dans un train comme on éclate de rire, sans autre préméditation qu'un sachet de petites provisions : très tôt tu connus mon tempérament écureuil. 
Le bleu était une couleur froide (1), Ostende nous le rappela, qui nous gela les doigts pendant que nous embrasser gerça nos lèvres. 
Cette autre fois, c'est l'île que nous quittions, où le bleu est chaud quand il colore la mer (2) et la ville était notre destination. Partir avait été tout aussi facile même s'il ne s'agissait pas d'une improvisation. A ton bagage, tu avais ajouté un pinceau, sorti dans l'avion (3) mais le mien contenait les mêmes fruits, d'une autre saison. 

A peine revenus, nous rêvons à de prochaines expéditions. Passées, futures, nos saisons ont des noms de destinations.  

(1)












(2)











(3)

samedi 13 septembre 2014

Une enquête sentimentale

Savez-vous reconnaître quelqu'un à son parfum ?
Vivez-vous là où vous le souhaitez ?
Que vous évoque le bleu ?
Gardez-vous longtemps vos vêtements après leur acquisition ?
Avez-vous déjà eu envie de "disparaître" ?
Dans quel domaine exercez-vous le plus votre imagination ?
Où vous arrive-t-il de vous sentir dépaysé ?
Avez-vous déjà égaré quelque chose auquel vous teniez beaucoup ?
Par quel artiste -toute époque confondue- aimeriez-vous avoir votre portrait ?
Vous est-il arrivé d'éprouver une grande frayeur en mer ?

ICI, des voix sentimentales

vendredi 12 septembre 2014

Le cabinet des rêves 192

Une tradition populaire voit d'un mauvais oeil le fait de raconter ses rêves le matin, à jeun. Effectivement, l'homme réveillé reste encore, dans cet état, sous l'emprise du rêve. La toilette, en effet, amène seulement à la lumière la surface du corps, et ses fonctions motrices visibles, alors que dans les couches les plus profondes, pendant l'ablution matinale, le gris crépuscule du rêve persiste, et s'immisce même dans la solitude de la première heure de veille. Qui rechigne à l'effleurement du jour, soit par peur des hommes, soit par désir de méditation intime, ne souhaite pas manger et dédaigne le petit-déjeuner. De cette façon, il évite la rupture entre le monde de la nuit et le monde du jour. Une précaution qui se justifie seulement par la consommation du rêve dans un intense travail matutinal, sinon en prière, mais qui conduit autrement à un désordre des rythmes de la vie. Dans cet état, le compte-rendu du rêve est fatal, car l'homme, encore à moitié impliqué dans l'univers onirique, le trahit par ses mots et doit s'attendre à sa vengeance. Pour le dire en langage moderne : il se trahit lui-même. Il se défait de la protection de la naïveté onirique, et il se livre en évoquant les histoires dont il a rêvé, sans supériorité aucune. Car ce n'est que de l'autre rive, dans la luminosité du jour, que l'on appelle le rêve, grâce à un souvenir supérieur. Cet au-delà du rêve n'est atteignable que par une purification, analogue à l'ablution, et qui lui est portant entièrement différente. Elle passe par l'estomac. L'homme à jeun parle du rêve comme s'il parlait pour s'extirper de son sommeil. 
Walter Benjamin. Sens unique.

E. m'annonce qu'il a obtenu son permis de conduire.
Il me raconte que l'employé était tellement content pour lui qu'il lui a demandé de leur laisser une photo. Alors, il lui a donné un cliché sur lequel il est en train de conduire.
Tu sais : la photo où on te voit un peu dans le rétroviseur central. Je voulais te le dire : que tu es toi aussi en photo là-bas.

Rêve du 15 août 2014

jeudi 11 septembre 2014

La lección de memoria*

Le Prado à Madrid est un lieu de rencontre unique. Les galeries sont comme des rues, pleines de vivants (ceux qui visitent) et de morts (ceux qui ont été peints).
Mais les morts n'ont pas disparu, le "présent" dans lequel ils ont été peints, le présent inventé par leurs peintres, est aussi vivant et habité que l'instant présent. Parfois même plus vivant. Les habitants de ces moments peints se mélangent aux visiteurs du soir et, ensemble, les morts et les vivants transforment les galeries en ramblas.
John Berger. Le carnet de Bento.
Le XXIème siècle n'entre pas au Prado. Dans les mains des visiteurs : des plans, des carnets, des guides… du papier, parfois : rien. Ce sont les yeux qui se souviennent. 


*La lección de memoria est un tableau de Ignacio Pinazo

mercredi 10 septembre 2014

...

puis, il fallut laisser la ville en ville
et revenir sur l'île. 

mardi 9 septembre 2014

Tuesday self portrait

Charlie había empezado a pensar en inglés aproximadamente a los dos años de llegar a Manhattan y desde entonces no había pensado gran cosa. Ni siquiera se dio cuenta de cómo ni por qué empezó a pensar en un idioma distinto al suyo. Simplemente sucedió. Al principio se trataba de reacciones automáticas. Palabras que le salían de la cabeza sin darse cuenta. Shit, damm it, mother fucker. Insultos. Ladridos. Al poco se dio cuenta de que lo pensaba todo en un idioma extranjero y que incluso su madre hablaba en esa extraña lengua en el mundo impreciso de sus recuerdos. 
Ray Loriga. El hombre que inventó Manhattan
Charlie avait commencé à penser en anglais deux ans après son arrivée à Manhattan et, depuis, il n'avait pas pensé grand chose. Il ne se rendit même pas compte de comment ou pourquoi il avait commencé à penser dans une langue différente de la sienne. Simplement, ça arriva. Au début, il s'agissait de réactions automatiques. De mots qui sortaient de sa tête sans qu'il s'en rende compte. Shitdamm itmother fucker. Des insultes. Des aboiements. Bientôt, il se rendit compte qu'il pensait tout dans une langue étrangère et que même sa mère parlait dans cette langue étrange du monde imprécis de ses souvenirs. 
Il s'agit ici d'une traduction libre.
El hombre que inventó Manhattan a été traduit en français par Marie Flouriot et publié par les Allusifs.

lundi 8 septembre 2014

Chien manqué


La Belle pourrait être chef de meute, chef des brigands,
elle réquisitionne les literies, régente nos genoux, passe ses troupes en revue dans la cour, intimide le petit, tyrannise le gros.
Gréviste de la propreté sans revendication, elle exige ensuite des coups de langue d'autrui. 
La Belle nous regarde tous de haut, prend des airs de princesse mais je suis persuadée que c'est un chien, déguisé. 

dimanche 7 septembre 2014

GO

Tout était prévu pour faire de ce voyage quelque chose comme l'intervalle nécessaire entre la fin d'un livre et le moment où l'on coupe les pages d'un nouveau. Un no man's land où nous soignons nos blessures et où nous refaisons provision d'hydrates de carbone, de graisses et de réserves morales pour un nouveau plongeon dans le calendrier.
Julio Cortázar. Les gagnants.
Tout fut décidé, réservé en quelques instants, il y a longtemps.
Horaires, hôtel… tout fut oublié, immédiatement.
Mais depuis tout ce temps
et jusqu'à maintenant
la seule évocation de ce voyage nous servit de talisman. 

samedi 6 septembre 2014

Une enquête sentimentale

Exercez-vous une profession qui vous faisait rêver, enfant ?
Aimez-vous les massages ?
Faites-vous des sudokus ?
Avez-vous déjà eu un oeil au beurre noir ?
Dans votre vie quotidienne, de quoi vous offrez-vous le luxe ?
Faites-vous
souvent
rarement
jamais
du vélo 
?
Votre famille sait-elle constater vos changements 
ou
vous voit-elle toujours comme "avant" 
?
Notez-vous les rêves dont vous vous souvenez à votre réveil ?
De quel appareil ménager auriez-vous le plus de mal à vous passer ?
Exprimez-vous facilement vos sentiments ?

ICI, des voix sentimentales

vendredi 5 septembre 2014

Le cabinet des rêves 191


Je prends le petit déjeuner avec une famille : les parents et deux enfants.
Je me lève et vais regarder une pile de courrier : je me souviens que la mère m'a écrit une lettre au dos de l'enveloppe de laquelle elle précisait leur destination de vacances. Je sais que je suis sensée savoir ça et je ne veux pas sembler l'avoir oublié au moment où je vais leur en parler.
Je relis : Cette année, nous irons en Corse, maintenant que les garçons sont assez grands pour s'en souvenir, ça en vaut la peine.

Je me sers de lait de soja et l'homme me demande de lui en ajouter dans son verre pour, ainsi, le mélanger au lait qu'il y a déjà mis. Je lui demande ce qu'il y a d'autre : Des dattes découpées, je fais toujours ça.
Je pense : C'est ça que je devrais faire, mélanger des dattes à mes céréales mais pas celles-là ! -c'est un mélange avec des fruits et des biscuits, pas le genre de céréales que je mange d'habitude.
Je demande : Et vous partez où, alors, finalement, en vacances ?
La femme explique qu'ils vont partir chez ses parents, comme d'habitude, et que peut-être, mais rien n'est moins sûr, ils partiront aussi à (elle cite un nom qui a une consonance corse). Mais il faut qu'elle demande son avis à F.

Rêve du 15 août 2014

jeudi 4 septembre 2014

Nos vies inconscientes

En rêve, je marchais dans une piscine. Nous étions de plus en plus nombreux, à marcher dans l'eau, tous habillés et nous saluant, conversant quand nous rencontrions une personne de notre connaissance. Comme dans la rue.
Et le lendemain matin, j'ai pensé C'était comme prendre un bain de foule.
Nous avons tous une autre vie, la nuit. Et tous aussi le même talent de création pour générer des fictions qui nous surprennent d'autant plus que, éveillés, nous n'avons pas toujours autant d'imagination, autant d'art de la répartie, encore moins d'intuition. (1)

Nous avons parfois d'autres vies, dans des nuits étrangères. Car, comme nous rêvons des autres, ils rêvent de nous, aussi. Ceux dont nous partageons la vie (2), ceux que nous connaissons à peine (3). Ceux qui ne nous le disent pas, aussi. 

(1) Elle me dit être son "inconsciente", S. et j'aimerais tellement l'être vraiment.
(2) "Nous sommes dans une salle de cinéma. Tu es assise deux rangs derrière moi. Quand on se regarde, on se sourit."
(3) Dans le rêve de J., je décline en souriant sa proposition de l'accompagner voir le "grand rocher" et je me replonge dans mon livre, sur la terrasse où j'ai installé une serviette de plage vert pomme.

mercredi 3 septembre 2014

L'anniversaire du paradis

On s'étonnera toujours que l'Angleterre soit peuplée, l'homme ne peut vivre sur une île qu'en oubliant ce qu'elle représente. Les îles sont d'avant l'homme ou pour après. 
Gilles Deleuze. Causes et raisons des îles désertes
J'ai été à bonne école pourtant, mais j'ai la même maladresse au bout d'un an qu'au commencement, je me sens débutante -et pour longtemps- en insularité. 

mardi 2 septembre 2014

Tuesday self portrait

                              
De même qu'il y a une positivité de l'anonymat qui confère un certain "confort" à nos relations sociales et urbaines, il existe une valeur sociale de l'évitement et de l'esquive des autres, ce que Goffman a nommé "l'inattention civique".
Bruce Bégout. Lieu commun. 

lundi 1 septembre 2014

Dernier voyage autour de ma chambre
chapitre 9 : en Lybie

Parfois c'est dans la rue, au marché, en entendant des gens parler. 
Je mets un petit moment avant de réaliser que si je comprends sans effort, c'est parce que…  c'est du français. 

"Aussitôt que je m'en suis rendu compte,j'ai observé un homme qui s'approchait de moi lentement.
-Salaam alaykum !
-Alaykum salaam !
Au bout de ces salutations, nous avons découvert que le français était la meilleure langue pour communiquer entre nous.
-Qu'est-ce que vous faites ici ?*
-Je suis touriste. 
Ce n'était pas la première fois que ma réponse ne suscitait pas de surprise mais plutôt une totale incompréhension.
-Touriste ?
-Oui. 
-Avec un groupe ?
-Non. 
-Et vous êtes tout seul ?
-Oui. Je suis tout seul. 
Peut-être est-ce parce que nous parlions en français mais cette question (Vous êtes tout seul ?) avait acquis ce que je suis tenté de qualifier, de manière hâtive, un caractère existentiel.
Un peu avant de voyager en Lybie, j'avais rompu avec ma fiancée. J'étais seul, j'avais passé seul une grande partie de ma vie et, selon toutes les probabilités, j'allais mourir seul. Et, évidemment, c'est parler à un autre être humain qui me l'a fait comprendre. Pendant que je m'étais promené seul, j'étais content, dans la Zone. Mais aussitôt que j'ai commencé à bavarder avec ce type, j'ai senti sur mes épaules le poids terrible de la solitude.
J'ai pris congé de mon nouvel ami et j'ai continué à marcher. Je devais être seul pour ne pas me sentir seul.
(…) J'en avais déjà assez d'être assis dans le forum, mais la perspective de rentrer à l'hôtel était encore plus triste. J'avais envie d'avoir quelqu'un avec qui parler mais, aussitôt que le désir est devenu réalité -j'ai remarqué qu'il y avait quelqu'un debout à côté de moi- j'ai désiré qu'on me laisse tranquille.
Mon nouvel ami s'appelait Ahmed et il a dit :
-Manchester United… Leeds… Arsenal… Chelsea…
-Tottenham Hotspur ? j'ai demandé
-Tottenham Hotspur, il a répété. Newcastel United… Aston Villa.
Après cette brève réactivation, il a titubé de nouveau avant de s'embarquer dans un sous-ensemble du même style de conversation.
-Dennis Bargkamp. Kanu. Viera. Gascogine… Zola.
La preuve, d'une certaine façon, de l'avènement d'une nouvelle ère aussi bien du football anglais que, par extension, du langage international des relations diplomatiques."

*en français dans le texte

Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.

Vocabulaire noté : 
-no es que nos importe un bledo : on en a rien à foutre !
-nos largamos de aqui : nous partons d'ici
-de mala gana : de mauvaise grâce
-bonachón : bon enfant
-mascar chicle : mâcher du chewing gum