lundi 1 septembre 2014

Dernier voyage autour de ma chambre
chapitre 9 : en Lybie

Parfois c'est dans la rue, au marché, en entendant des gens parler. 
Je mets un petit moment avant de réaliser que si je comprends sans effort, c'est parce que…  c'est du français. 

"Aussitôt que je m'en suis rendu compte,j'ai observé un homme qui s'approchait de moi lentement.
-Salaam alaykum !
-Alaykum salaam !
Au bout de ces salutations, nous avons découvert que le français était la meilleure langue pour communiquer entre nous.
-Qu'est-ce que vous faites ici ?*
-Je suis touriste. 
Ce n'était pas la première fois que ma réponse ne suscitait pas de surprise mais plutôt une totale incompréhension.
-Touriste ?
-Oui. 
-Avec un groupe ?
-Non. 
-Et vous êtes tout seul ?
-Oui. Je suis tout seul. 
Peut-être est-ce parce que nous parlions en français mais cette question (Vous êtes tout seul ?) avait acquis ce que je suis tenté de qualifier, de manière hâtive, un caractère existentiel.
Un peu avant de voyager en Lybie, j'avais rompu avec ma fiancée. J'étais seul, j'avais passé seul une grande partie de ma vie et, selon toutes les probabilités, j'allais mourir seul. Et, évidemment, c'est parler à un autre être humain qui me l'a fait comprendre. Pendant que je m'étais promené seul, j'étais content, dans la Zone. Mais aussitôt que j'ai commencé à bavarder avec ce type, j'ai senti sur mes épaules le poids terrible de la solitude.
J'ai pris congé de mon nouvel ami et j'ai continué à marcher. Je devais être seul pour ne pas me sentir seul.
(…) J'en avais déjà assez d'être assis dans le forum, mais la perspective de rentrer à l'hôtel était encore plus triste. J'avais envie d'avoir quelqu'un avec qui parler mais, aussitôt que le désir est devenu réalité -j'ai remarqué qu'il y avait quelqu'un debout à côté de moi- j'ai désiré qu'on me laisse tranquille.
Mon nouvel ami s'appelait Ahmed et il a dit :
-Manchester United… Leeds… Arsenal… Chelsea…
-Tottenham Hotspur ? j'ai demandé
-Tottenham Hotspur, il a répété. Newcastel United… Aston Villa.
Après cette brève réactivation, il a titubé de nouveau avant de s'embarquer dans un sous-ensemble du même style de conversation.
-Dennis Bargkamp. Kanu. Viera. Gascogine… Zola.
La preuve, d'une certaine façon, de l'avènement d'une nouvelle ère aussi bien du football anglais que, par extension, du langage international des relations diplomatiques."

*en français dans le texte

Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.

Vocabulaire noté : 
-no es que nos importe un bledo : on en a rien à foutre !
-nos largamos de aqui : nous partons d'ici
-de mala gana : de mauvaise grâce
-bonachón : bon enfant
-mascar chicle : mâcher du chewing gum

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