jeudi 30 avril 2015

NOURRITURE CONTRE LITTERATURE

Ainsi*, certains peuvent cuisiner des lentilles, du riz et moi, lire Truman Capote


*Jueves 23 Abril 2015, 11:00 - 20:00
UN LIBRO POR UN KILO DE... este es el nombre de la campaña de recogida de alimentos que se celebrará el 23 de abril. La Biblioteca Can Sales, el Centre cultural Puig de Sant Pere (asociación de vecinos del Puig de Sant Pere) y Mallorca sense fam, hemos organizado un día solidario con motivo de la celebración del Día del libro. Queremos cambiar libros por alimentos no perecederos (arroz, legumbres, latas de tomate, aceite...), después Mallorca sense fam se encargará de hacerlos llegar a las familias que más lo necesitan.
Desde las 11 h de la mañana hasta las 20:00h puedes traer tu kilo y coger un libro a cambio.
MUCHAS PERSONAS TE LO AGRADECERÁN!!!

mercredi 29 avril 2015

He dormido bien, quiero desayunar

Le fait que je devais parler une langue que je ne connaissais pas, jouait un rôle très important pour moi. Je n'étais pas gênée par l'idée préconçue des mots et je ne comprenais qu'à demi leurs signification moderne. Cela me permit d'attribuer un sens hermétique aux phrases les plus courantes.
Leonora Carrington. En bas.

Atteinte d'Alzheimer, ne me souviendrais-je plus que de Rolf und Gisela ?(1) de Richard and Kathy ?
Est-ce cela qui reste quand on a tout oublié ?
Mes cours de japonais étaient parfois aussi complexes que 
PHILIPPE : La roue se compose d'abord d'un moyeu. Ce n'est pas un jaune d'oeuf dans notre cas; ce n'est pas non plus une espèce de prune confite. Il ne s'agit pas non plus d'un noyau de fruit. Dans le cas qui nous intéresse, le moyeu est la partie centrale de la roue dans laquelle sont fixés les rais. La roue est ronde. Le moyeu et les rais sont entourés d'une jante en bois ou en métal qui en forme la périphérie. La roue tourne autour de son centre, le moyeu. C'est grâce à la roue que peut se mouvoir le véhicule. La roue est une des découvertes les plus ingénieuses de l'homme. Les Incas ne la connaissaient pas. Le paon aussi peut faire la roue en déployant les plumes de sa queue. La roue du paon ne peut pas être utilisée pour faire mouvoir l'automobile, elle lui sert seulement à se pavaner. Toutefois, il y a quelque chose de commun entre la roue de la voiture automobile et la roue du paon. Ainsi, on peut aussi bien jeter des bâtons dans la roue du paon que dans les roues de la voiture. La roue de la fortune est encore une autre sorte de roue. La roue de la fortune tourne, elle ne se voit pas. Cette dernière n'a pas de moyeu, elle n'a pas de rais, elle n'a pas de jante. Il y a aussi des personnes humaines qui font fonction de roues, c'est pour cela que l'ont dit que les plus mauvaise roue d'un chariot fait toujours le plus de bruit.
THOMAS : Je n'ai pas bien compris ta description de la roue. Sans doute est-ce parce que je ne comprends pas très bien le français. Veux-tu recommencer, s'il te plait ?
MARIE-JEANNE : Moi, j'ai compris. Fais un dessin pour Thomas.
PHILIPPE : Ce ne serait pas une leçon de français. Le dessin et la musique sont des langues universelles.
THOMAS : Il est donc préférable de prendre des leçons de musique et de dessin.
MARIE-JEANNE : Thomas, ne sois pas paresseux. C'est le français que tu dois apprendre.
 Eugène Ionesco. Exercices de conversation et de diction françaises pour étudiants américains.

et j'ai oublié quelques détails de  la deuxième leçon. 
Mais c'est encore souvent que la question これは何ですか(2) me vient en premier à l'esprit. 
(1)
Marcel a le même niveau d'allemand que le mien.
(2)
Qu’est-ce que c’est ?

mardi 28 avril 2015

Tuesday self portrait

Un matin, Don Luis me conseilla de commencer à lire. Il donna à Asegurada une liste de livres et lui dit de me conduire en ville à la librairie. J'étais calme et assez heureuse devant une telle quantité de livres parmi lesquels je pensais pouvoir choisir librement. Pourtant je dus convenir brusquement que ma main allait dans une direction opposée à celle de ma volonté et qu'elle prenait des livres dont je n'avais aucune envie. Je vis alors Asegurada debout derrière moi, figée dans son attitude d'aspirateur. Chaque fois que je sortais un livre des rayons, je consultais la liste, espérant que le titre ne s'y trouverait pas, chaque fois j'y lisais le titre de ce livre. Je la priai alors de laisser mon cerveau tranquille réclamai avec violence la liberté de ma volonté. Je fis le chemin de retour dans un grand état de rage; Asegurada restait passive, insensible, comme retirée de la scène. Don Luis apparut dans ma chambre aussitôt après mon arrivée. Je lui criai : "Je n'accepte pas votre force, à tous, contre moi je veux ma liberté d'agir et de penser; je hais et repousse vos forces hypnotiques." Il me prit par le bras et m'emmena dans un pavillon désaffecté : 
-Je suis le maître, ici. 
-Je ne suis pas propriété publique de la maison. J'ai, moi aussi, des pensées et une valeur privée. Je ne vous appartiens pas. 
Et, brusquement, je fondis en larmes.
Leonora Carrington. En bas

lundi 27 avril 2015

La fin de l'île déserte (fragments d'insularité)

Y ES SABIDO QUE CADA UNO 
LLEVA DENTRO UNA ISLA DESIERTA*

*Et on le sait que chacun porte en lui-même une île déserte

José Antonio Muñoz Rojas. Entre otros olvidos

dimanche 26 avril 2015

sabes a que me refiero

J'ai beaucoup conduit et l'herbe était verte et, toujours quand je quitte l'aéroport, j'ai pensé à la nuit de mon arrivée et à ton profil pirate pour la première fois au volant  et, du disque que tu m'avais choisi pour la route je n'en ai usé qu'une seule piste, sabes a que me refiero, et j'ai pensé à Minorque aussi et l'herbe y était verte aussi et c'était moi de profil pour la première fois, la première fois avec toi, au volant et l'île était si petite que le disque qu'on avait choisi pour la route, on a mis deux jours à en entendre la fin.


samedi 25 avril 2015

Une enquête sentimentale

Avez-vous déjà tenu dans vos bras un animal hors du commun ?
Quelle est la plus lointaine destination à laquelle vous vous soyez rendu ?
Pensez-vous qu'il peut être piégé quand vous voyez un bagage qui semble n'appartenir à personne ?
Comment allez-vous ?
Accordez-vous de l'importance à la couleur de vos aliments au moment d'élaborer votre menu ?
Vous est-il arrivé de refuser une proposition de travail ?
Si oui, pour quelle raison ?
Fleurissez-vous
souvent
rarement
jamais
votre logement 
?
Avez-vous déjà pratiqué un boycott ?
Si oui, lequel ?
A votre connaissance, une rue porte-t-elle votre nom ?
Si vous ne l'êtes-pas, pourriez-vous être gardien de prison ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 24 avril 2015

Le cabinet des rêves 224

Le soir tombe de fatigue.
Je te regarde dormir.
Je n’aimais pas bien ça, le sommeil, avant.
Le sommeil, avant, je pensais que c’était comme d’apprendre à peindre au Moyen Âge.
Rien ne te réveille, me dis-tu, mais beaucoup de choses t’empêchent de dormir.
Comme je te comprends.
Moi c’est encore autre chose.
Cette autre chose regarde le vide.
Et dans l’ennui finit par se tordre.
 Benoit Jeantet. Nos rêves sont priés de prendre une douche froide

Je rentre à la maison ou, plutôt, là où nous logeons. 
C'est une maison très vaste : un long couloir dessert de nombreuses pièces au rez-de-chaussée. 
De loin, je vois un chien et, pensant que c'est le petit blanc, je veux le mettre dehors et le poursuis pendant qu'il court. 
Quand je le rejoins enfin, dans un recoin du couloir, je m'aperçois que ce n'est pas lui mais un tout petit chiot, qu'il y en a un deuxième et qu'ils sont près du cadavre d'un troisième chien, plus grand, un boxer (je crois). 
Je prends les deux chiots, les glisse dans l'encolure de mon pull et sors dans le but de les montrer à M.
En chemin -au bout du couloir de la maison qui aboutit à un chenil- je croise N. et lui demande si elle et J. ont l'intention de reprendre un chien. 
Au moment où je lui pose la question, j'ai la certitude de la lui avoir déjà posée. 
Dehors, il pleut, la plage est trempée, je me demande où est M.

Rêve du 18 mars 2015

jeudi 23 avril 2015

mercredi 22 avril 2015

Le monde se divise en trois catégories de personnes

-Celles qui n'ont jamais de feu sur elles. 
-Celles qui égarent leur briquet aussi fréquemment qu'elles s'approprient celui d'autrui, qui ignorent donc comment elles sont entrées en possession de celui qu'elles prêtent d'autant plus volontiers ou qu'elles abandonnent tout aussi distraitement. 
-Et moi. 

Moi qui pourrais raconter :

-où/quand/comment j'ai acquis le briquet rose qui ne cessa d'être le mien que très récemment.
-la couleur des yeux de celui qui l'utilisa en essayant de me faire croire que je lui sauvais la vie. 
-pourquoi ma mère m'a laissé celui dont j'avais négocié le prêt au serveur que je soupçonne de m'avoir précisé Hasta mañana juste pour avoir le plaisir, le lendemain, de le lui offrir au moment où elle venait le lui rendre.

mardi 21 avril 2015

Tuesday self portrait

A veces, al recordar, me digo que no siempre fue un fantasma y para reforzar esta afirmación enumero algunos hechos que podrían probar su condición de no-fantasma (aunque, una vez enumerados, me doy cuenta de su inutilidad, de que aquellos hechos no prueban nada en absoluto). Por ejemplo, en su habitación siempre había esas pastillas de chocolate rellenas de menta llamadas After Eight, tubos de Pringles Original y salsa de queso marca Fiesta (le encantaba mojar las Pringles en aquella salsa), cacahuetes dulces y gominas de todo tipo. ¿ Entiende lo que quiero decir ? Este tipo de cosas son las típicas que no se asocian a los fantasmas, pero si uno piensa en el asunto con detenimiento se da cuenta de su error porque, ¿ qué persona podría alimentarse de estas porquerías ? 

Parfois, en me souvenant, je me dis qu'elle n'a pas toujours été un fantôme et, pour renforcer cette affirmation, j'énumère quelques faits qui pourraient prouver sa condition de non-fantôme (bien que, une fois énumérés, je me rends compte de leur inutilité, que ces faits ne prouvent absolument rien). Par exemple : il y avait toujours dans sa chambre ces chocolats fourrés à la menthe appelés After Eight, des tubes de Pringles Original et de la sauce de fromage de la marque Fiesta (elle adorait tremper les Pringles dans cette sauce), des cacahuètes sucrées et des bonbons de toutes sortes. Vous voyez ce que je veux dire ? Ce genre de choses qu'on n'associe habituellement pas aux fantômes, mais si on pense soigneusement à ce sujet, on s'aperçoit de son erreur parce que quelle personne pourrait se nourrir de ces cochonneries ?
Javier Cánaves. La historia que no pude o no supe escribir

lundi 20 avril 2015

L'esprit de famille (fragments d'insularité)

Vous n'allez pas dire le contraire ?, on est bien d'accord que les jours d'aéroport ne comptent pas vraiment, hein ? Alors donc c'était le dernier jour que ma mère passait sur l'île. 
Eh bien c'est ce jour-là, avant d'aller voir la mer encore une fois, après notre rendez-vous au marché, avant la fin de notre tasse de café en terrasse, que ma mère, oui : ma mère, qui m'a conçue là
 fait naître ici
m'a dit que, tout de même, si on avait pensé qu'un jour j'habiterais sur une île.

dimanche 19 avril 2015

Et maintenant ?

, j'ai dit en rentrant. 
Et là, tu m'as fait une proposition que je ne pouvais pas refuser. 

samedi 18 avril 2015

Une enquête sentimentale

Êtes-vous davantage sévère ou indulgent vis à vis de la personne que vous étiez "avant" ?
Avez-vous une race de chiens préférée ?
Avez-vous rédigé un testament ?
Avez-vous déjà commis une gaffe en pensant qu'on ne comprenait pas votre langue ?
Pour quelle destination avez-vous pris le train la dernière fois ?
Avez-vous déjà perdu connaissance ?
Si oui, à quelle occasion ?
Vos soirées obéissent-elles à un rituel particulier ?
Y a-t-il un motif précis qui vous donne envie de gagner au loto ?
Dans quel domaine donnez-vous le meilleur de vous-même ?
Fermez les yeux. 
Quelle image vous vient à l'esprit ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 17 avril 2015

Le cabinet des rêves 223

Je suis chez B.J. qui m'épile les jambes avec un épilateur électrique. 
Pendant ce temps, je m'endors et, à mon réveil, il me le confirme : Tu t'es endormie !
Quand je sors, j'éprouve une sensation de menace dans la rue. 
Je sais que sa femme est partie à Nantes pour 48 heures et je me demande comment elle peut se permettre de se payer ce genre de voyage en train, au dernier moment : quand j'habitais à Tours, je n'avais jamais assez d'argent pour le faire. 
Cependant, je la vois dans la rue et elle me dit -bien que je ne la connaisse pas- qu'elle n'était, finalement, pas à Nantes, que c'était un prétexte pour prendre l'air. 
Je comprends que son couple ne va pas très bien. 
Elle et moi remontons dans l'appartement. 
Dans la cuisine, alors que nous venons d'arriver, nous entendons des coups frappés de l'autre côté du mur et un mélange de gravats et de terre sort de deux placards en hauteur. 
J'en suis effrayée : je pense que des terroristes nous ont suivies. 
Elle est beaucoup plus calme que moi à ce sujet-là mais énervée malgré tout : elle pense que c'est un voisin qui est la cause de tout cela. 

Rêve du 20 mars 2015

jeudi 16 avril 2015

No hay nada más parecido a un sueño, nada más similar al hecho de contemplar la lluvia, que un viaje al pasado, al propio pasado.*

*Il n'y a rien de plus ressemblant à un rêve, rien de plus semblable au fait de contempler la pluie qu'un voyage dans le passé, dans son propre passé. 
Javier Cánaves. La historia que no pude o no supe escribir
Je continue à les remplir, 
mes carnets. 
Alors que j'aime si peu le relire, 
mon passé. 
Alors pourquoi ?
Je ne sais pas. 

mercredi 15 avril 2015

Toda la vida

Tu le sais, toi, je lui ai dit, ce que ça signifie : 
une limitation à 60 pour toute la vie ?

mardi 14 avril 2015

Tuesday self portrait

Mon père était fort conscient qu'un homme qui passe ses journées enfermé dans une salle avec toujours les mêmes peintures, pendant des heures chaque matin et quelques après-midi assis sur sa petite chaise sans autre chose à faire que de surveiller les visiteurs et regarder les toiles (même les mots croisés leur sont interdits), pouvait devenir fou et représenter une menace, ou nourrir une haine mortelle envers les toiles en question. C'est pour cela qu'il s'est personnellement occupé, pendant toutes ses années de Prado, de changer chaque mois l'affectation des gardiens, pour qu'au moins ils ne voient les mêmes toiles que pendant trente jours et que leur haine s'apaise, ou change d'objet avant qu'il ne soit trop tard. 
(…)
"Eh bien, Mateu, il vous plait si peu ?
-J'en ai marre de cette grosse", répondit Mateu. Il ne supportait pas Sophonisbe. "Je ne peux pas la voir avec ses perles", ajouta-t-il (il est vrai qu'Artémise est grosse et porte des perles autour du cou et au front sur le Rembrandt). "La petite servante qui remplit sa coupe a l'air plus jolie, mais il n'y a pas moyen de bien voir sa figure."
Mon père ne put éviter une réponse narquoise, c'est-à-dire, étonnée et logique : 
"Eh oui, dit-il, il a été peint comme ça, la grosse de face, bien sûr, et la servante de dos."
Le pyromane Mateu éteignait de temps à autre son briquet quelques secondes, mais sans l'écarter de la toile, puis il le rallumait et recommençait à chauffer le Rembrandt. Il ne regardait pas Ranz. 
"Voilà ce qui ne va pas, dit-il : Qu'il ait été peint de cette façon pour toujours et qu'on ne puisse pas savoir ce qui se passe, vous voyez, monsieur Ranz, il n'y a pas moyen de voir la figure de la fille ni de savoir ce que fabrique la vieille du fond, on ne voit que la grosse avec ses deux colliers qui n'en finit pas de prendre la coupe. Qu'elle l'avale, bordel, que je puisse voir la fille si elle se retourne !"
Javier Marias. Un coeur si blanc

lundi 13 avril 2015

Le voyage paradoxal (fragments d'insularité)


Il y avait cela d'étrange, dans le fait d'entamer ce voyage, c'était d'être en train de quitter l'île pour arriver, deux heures plus tard, sur une autre qu'il faudrait quitter, deux jours plus tard, pour revenir sur la nôtre qui serait devenue, à son tour, autre. 

dimanche 12 avril 2015

La vie des autres

Sur le bateau du retour
, un soir, aussi, où on avait pris un verre à l'hôtel
, tout le temps, en fait. 
Sur le bateau du retour, donc, la femme, là, qui me tournait le dos, était sur ton dessin mais c'était l'homme, plus loin, l'homme face à la mer, dans une position qui, quand j'ai regardé ton carnet, m'a rappelé celle de la sculpture de Borja
, c'était l'homme, au centre de ton dessin. 
Et cette femme, donc, sur le bateau du retour, qui me tournait le dos, parlait d'une voix basse et un peu inquiète à son téléphone. 
Sur sa table une canette de bière, une petite bouteille de vin, un grand paquet de chips m'avaient fait croire qu'elle attendait quelqu'un mais non et, ensuite je t'ai dit, j'en aurais mis ma main à couper qu'il s'agissait d'un chagrin.  
Et hier, encore, sur le banc au parc, une Allemande à peine assise près de son mari qui l'attendait et qui s'est relevée pour se diriger droit vers toi et te demander si tu étais bien celui qu'elle pensait mais non tu n'étais pas celui-là, était-ce vraiment son mari ?, mais, sinon, qui ? c'était la question que nous nous posions, de notre côté. 
Et le soir où on prenait un verre à l'hôtel, donc, le soir où pas une table n'avait échappé à nos suppositions, nos paris familiers et où j'avais regretté, en me levant, de ne pas pouvoir aller leur demander, à ces gens : est-ce bien cela, votre histoire ?, ce soir-là, tu m'avais dit Mais c'est comme au cinéma, quand la fin du film est ouverte ! et rien que ça, ça m'avait consolée. 
Car, tout le temps, nous imaginons, nous brodons, nous développons, sans jamais savoir. 
Et cette femme, sur le bateau du retour, je n'ai pas vu son visage et, bien avant l'entrée au port, sans cesser de me tourner le dos, elle est partie et je pensais ne jamais la revoir et pourtant. 
Et pourtant je l'ai reconnue, son dos, elle, quand elle a serré dans les siens l'homme qui la serrait dans ses bras, qui souriait, qui l'embrassait, qu'elle embrassait. 
Ils sont montés dans la voiture décapotée sur le parking du port, ils allaient bien ensemble, j'ai trouvé. 
Toutes ces histoires, je ne jure plus de rien, j'ai mes deux mains.  

samedi 11 avril 2015

Une enquête sentimentale

Quelle est la dernière chose que vous ayez louée ?
Enfant, avez-vous régulièrement passé vos étés au même endroit ?
Avez-vous, le plus récemment, reçu ou écrit une carte postale ?
Préférez-vous les photos couleurs ou noir et blanc ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement
jamais 
d'aller au restaurant ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement 
jamais 
d'aller seul au restaurant ?
Avez-vous déjà reçu une crotte d'oiseau sur vous ?
Vous est-il arrivé de vivre une histoire d'amour à distance ?
Avez-vous aimé aller à l'école ?
Et vous ? Avez-vous une question sentimentale à me poser ?

ICI, des voix sentimentales

vendredi 10 avril 2015

Le cabinet des rêves 222

M. et moi sommes avec O., S. et sa femme. 
Je crois que c'est Noël parce que O. est très content de pouvoir, pour une fois (sic), faire des cadeaux. 
Il est très volubile et très excité. 
Il me donne un tout petit paquet qui contient un mini-crayon (crayon de papier à une extrémité, stylo bille à l'autre), accroché à une chaîne. 
Cela me fait très plaisir et je le félicite pour son choix. 
Plus tard, nous sommes à table. 
La femme de S. est, non seulement, silencieuse mais, en plus, elle a l'air de ne pas apprécier d'être là. 
Je lui pose des questions pour la dérider mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée car elle se retrouve à évoquer de mauvais souvenirs de vacances. 

Rêve du 18 mars 2015

jeudi 9 avril 2015

LA VACANCE

La première chose que j'ai faite en arrivant à Sitges fut un tour sous les palmiers de son incomparable promenade maritime. Ensuite, un bon apéritif au soleil, à la terrasse de chez Gustavo, sans hâte : vin blanc et beaucoup de moules préparées là comme nulle part ailleurs. Total, quand ce fut l'heure de manger, je n'avais pas la moindre faim. De plus, je n'ai jamais supporté de me plier à la routine des horaires, comme si la vie était une espèce de guide de chemin de fer. Mais les gens aiment cela, vivre comme en accord avec un guide de chemin de fer et quand c'est mieux d'être à la plage, ils vont manger, ce qui fait que la plage se retrouve à moitié déserte, ce qui est encore plus agréable. 
Extrait librement traduit de Investigaciones y conjeturas de Claudio Mendoza de Luis Goytisolo. 
Pas l'heure du réveil, pas davantage celle du coucher, pas le nombre de kilomètres marchés, à peine la nature des paysages traversés, pas les heures consacrées à l'écriture, à la peinture, encore moins celles passées à discuter, à lire, à répondre au courrier, à s'aimer. 
non, ce qui distingue le temps de nos vacances du reste de notre vie, c'est uniquement le nombre d'heures passées à manger. 

mercredi 8 avril 2015

Avancer masqué

Les jours qui suivirent sa mort, le petit blanc décréta que, dorénavant, le chat, ce serait lui.
Il voulut se coucher sur le canapé.
Pour rentrer, il se fit autant prier.
Sur nos genoux, il tenta de grimper.
Il n'y a que chez Marivaux que les domestiques parviennent à se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas.
Le petit chien, trop inconstant pour conserver un déguisement, ne put s'empêcher, à nouveau, de caracoler comme un poney un jour de fête nationale et redevint un va-nu-pied avant même de réussir à nous faire croire qu'il saurait tout régenter.

mardi 7 avril 2015

Tuesday self portrait

Ne laisse passer aucune pensée incognito et tiens ton carnet de notes avec autant de rigueur que les autorités tiennent les registres des étrangers.
Walter Benjamin 

lundi 6 avril 2015

L'exotisme (fragments d'insularité)

C'est le printemps et je suis dans la cour et je bois un café et je lis un roman de Patrick Modiano en espagnol.
Il fait froid à Paris, on joue au flipper rue Dante, on marche sur les quais, des livres sous le bras, on respire de l'éther, on prend le métro avec une valise qui ne nous appartient pas, on gagne de l'argent, parfois, dans les casinos de province, on vit sans y attacher beaucoup d'importance, il fait froid à Paris mais bientôt on s'en ira : à Majorque. 

dimanche 5 avril 2015

Le conte de fée

Y a-t-il une femme ?
une seule femme ? 
qui s'est entendu dire
ah la la ! je crains que ce soit une histoire de courroie de distribution/ hélas il n'y a rien à faire, croyez-moi, c'est le joint de culasse/ je vous annonce que nous venons de péter une durite/ la transmission ne répond plus/ça, j'en suis sûr, c'est le culbuteur/ mon garagiste a pourtant changé la crémaillère la semaine dernière, il va m'entendre celui-là !/ enfin, vous l'avez bien vu par vous-même : le réservoir était plein il n'y a même pas cinquante kilomètres
etc.
suivi de
Oh mais regardez ! cette clairière a l'air tout ce qu'il y a de plus charmant/ je n'ai pas trouvé de roue de secours mais du champagne frais/ en revanche, je suis très satisfait de la commande de l'inclinaison des sièges, je vous montre ?/ en plus de ça, le réseau ne passe pas, ici, il vaut mieux nous préparer à une longue attente, un peu de musique ?/ par un heureux hasard, je devais porter à ma grand-mère un pot de beurre et du pain frais, vous voulez bien attraper le panier sur le siège arrière ?/ mon chien est mort mais j'ai encore son plaid, il sera parfait pour profiter de ce joli coin d'herbe
etc. 
sans savoir quelle scène était en train de se jouer ?
Il y avait la mer à côté, à photographier, la première fois. 
 Malgré l'heure tardive, tu trouvas sans trop de mal un garçon musclé pour t'aider à pousser la voiture dans le parking de l'aéroport, la deuxième fois. 
Pas de fleurs des champs écrasées, de miettes répandues, de vêtements froissés à rassembler, la troisième fois. 
Mais trois quarts d'heure d'une tranquille attente à regarder la nuit tomber sur toute une vie de quartier, à trier sur mon appareil les photos prises la veille, à se taire, à parler, à s'embrasser, 
etc.
Pas de vitres électriques, pas d'alarme signalant que les feux sont restés allumés, pas de chauffage, pas de produit nettoyant pour le pare-brise. 
Quand d'autres lustrent leur intérieur cuir pour faire le coup de la panne, toi, tu me fais le coup de la citrouille. 

samedi 4 avril 2015

Une enquête sentimentale

A quoi êtes-vous le plus sensible, dans un film : au scénario ou à la mise en scène ?
Quel est le plus récent conseil que vous ayez reçu ?
Quel rapport entretenez-vous avec l'argent ?
Vous est-il arrivé de devenir ami avec une personne que vous avez commencé par ne pas apprécier ?
Avez-vous déjà écouté un disque sur un phonographe ?
Cela vous coûte-t-il de demander un service ?
Depuis combien de temps habitez-vous dans votre logement actuel ?
Quelle est la manière la plus originale dont vous ayez fait connaissance avec quelqu'un ?
Mangez-vous 
souvent
rarement
jamais 
des bonbons 
?
Qu'allez-vous faire après avoir répondu à cette enquête ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 3 avril 2015

Le cabinet des rêves 221

Ce devait être là le véritable but de son incarcération : il fallait lui faire oublier son rêve. Cet interrogatoire harassant, jour et nuit, l'interminable procès-verbal, la quête de prétendues précisions sur une de ces visions qui, par nature, ne peuvent jamais être précises, jusqu'à ce que le rêve se désagrège et finisse par se dissoudre irrémédiablement dans la mémoire de son auteur ; Autant dire un lavage de cerveau, pensa Mark-Alem. Ou un dérêve, si l'on peut se permettre un pareil néologisme, de la même façon qu'on dit déplacement comme antonyme de placement, déraison comme contraire de raison. 
Ismaël Kadaré. Le palais des rêves
L'employée du consulat (de quel pays ?), sans que je sache pourquoi (à aucun moment elle ne consulte mon CV ou cherche à me rencontrer pour un entretien) me propose de remplacer une enseignante absente. 
Sans que je sache pourquoi non plus, j'accepte et me retrouve dans une classe dont les élèves font tous, seuls ou à plusieurs, un sketch pour se présenter et me permettre de retenir leurs prénoms. 
Alors que plusieurs d'entre eux ont déjà fait leur spectacle dans un désordre et un brouhaha fatigants, je m'aperçois que, malgré cela, je suis bien incapable de les nommer. 
Une élève arrive en retard et je l'entends demander à une autre qui je suis, pourquoi on parle français en classe et ce qu'il s'y passe. 
J'apprends, grâce à leur conversation, qu'il s'agit d'un cours de science-éco qui, d'habitude, se déroule en anglais et dont certains élèves craignent que le programme ne soit pas bouclé pendant l'année. 
Je me sens totalement incompétente dans cette situation sans, pour autant, paniquer ou être vraiment inquiète : ce n'est pas moi qui ai demandé à être là, je ne me sens responsable de rien. 

Plus tard, je vois E. et, comme je lui dis qu'un des élèves m'a indiqué où il stockait sa réserve d'herbe et m'a invitée à me servir si j'en avais envie, il me suggère d'en profiter et de le faire. 
J'essaie de prendre une dose le plus discrètement possible : je n'ai pas envie que l'élève s'en aperçoive et, en plus, la cachette est à portée de vue du consulat. 
E. prépare un joint que nous fumons -moi à peine- près d'un lotissement dont les maisons sont dévolues aux enseignants de l'école. 

Rêve du 16 février 2015

jeudi 2 avril 2015

Sans regret

Un jour, on était arrivés trop tard pour voir 
alors, on avait vu 
Un autre jour, on est arrivés trop tard pour voir 
alors, on a vu 

mercredi 1 avril 2015

Fantômes anciens


Je dirais pas souvent, pas rarement non plus, occasionnellement plutôt, enfin, ça dépendait des moments. 
Je savais bien que c'était pas eux, que je voyais, et j'aurais pas toujours su dire à quoi ça tenait mais parfois si : à une silhouette, un port de tête, un sourire et, parfois aussi, j'y passais un bon bout de la journée, à chercher à qui j'avais pensé : voyons ? un client ? une vendeuse du marché ? un collègue d'un autre rayon ? un élève ? une stagiaire ? c'était soit : évident, immédiat, soit : long, fastidieux. Mais toujours je savais les resituer dans mon passé proche ou lointain. 
Bien sûr que c'était pas eux, c'était jamais eux : je croisais des milliers de personnes exclusivement asiatiques et c'est en elles que j'en reconnaissais d'autres, qui l'étaient pas du tout. 
Tu vois ce que je veux dire, hein ?
Et ben maintenant, ça m'arrive plus jamais.