jeudi 31 juillet 2014

Chroniques casanières

de la route vers Inca
en plus de celui des autos
on entend parfois
le bruit de sabots

mardi 29 juillet 2014

Tuesday self portrait

Je trouverais plus supportable d'être toujours seul que de ne jamais pouvoir l'être.
Montaigne

lundi 28 juillet 2014

Voyage autour de ma chambre
chapitre 4 : à Paris

C'est sans doute la faute à Baudelaire, à lui et sa détestation de la Belgique, mais toujours on me mit en garde, quand je quittai le bleu de Tokyo, contre le gris et ses conséquences. Pourtant, Bruxelles n'est pas exempte de nuages, de ceux qui rendent les avenues larges et l'imagination féconde.
C'est à Paris et nulle part ailleurs dans le monde -au moment, pourtant, où Paris me sauvait de ma vie de province au bûcher-  c'est à Paris que le ciel sans nuance, bas et lourd et couvercle me mit à terre plusieurs fois, à Paris qu'il m'arriva d'être touchée par un spleen sans fond que je sentais monter des profondeurs et m'étreindre le coeur sans que je puisse lutter davantage qu'une poupée molle emplie de son. 
L'unique remède à cette nausée de moi-même et de la vie, a toujours été d'entrer dans une librairie. 

Depuis que je vis à l'étranger, "Vous êtes de Paris ?" me demandent ceux qui, de la France, ne connaissent que sa capitale. 
Mais, nul besoin d'être parisienne : ma nationalité me dispense presque de maquillage

"En avril 1999, j'ai passé quelques jours à Paris à explorer une promenade pour le Guide Time Out des promenades de Paris. Ma promenade passait par le 11ème arrondissement, où j'avais vécu de manière intermittente une grande partie des premières années 90 mais, en réalité, j'étais logé dans le 8ème chez mes amis Hervé et Mimi, rue de l'Elysée, en face du palais présidentiel. Le soir de mon arrivée, Hervé avait invité à dîner une belle jeune femme nommée Marie Roget.
Quand elle arriva, Marie s'avéra être moins belle que ne l'était Mimi mais extrêmement attractive. Elle était grande (1,80m), avait des yeux verts et sereins, des cheveux noirs et une coupe qui me paraissait -depuis mon point de vue habitué aux coiffeurs bon marché (50 roupies à Goa)- avoir coûté cher. Bien qu'elle soit habillée comme une pompiste de station spatiale -ses pantalons, fabriqués dans un tissu ultrasynthétique résistant au froid et à la chaleur consistaient en une simple succession de poches- elle avait une passion parisienne pour le débat et la conversation animée.
Quand, pendant le dîner, je me suis déclaré "totalement en faveur de l'OTAN, cent pour cent en faveur du bombardement de la Serbie", il lui a paru incroyable que "quelqu'un qui se prenait pour un intellectuel puisse dire, ou même penser, une semblable stupidité".
-Qui a dit que j'étais un intellectuel ?
-Hervé.
-Ce serait donc une plaisanterie.
Marie me plaisait même si elle fumait beaucoup, plus que Hervé et Mimi qui sont de grands fumeurs. Après le dîner, déjà ivre, j'ai renversé un verre de vin. Pendant qu'elle ramassait les miettes et les éclats de verre, Marie s'est coupé le doigt et quelques gouttes de sang ont atterri sur mes chaussures usées. Elle se lava les mains au robinet d'eau froide du lavabo et s'enveloppa le doigt d'un pansement (un geste médical mais qui faisait allusion à un possible mariage). L'atmosphère entre nous avait changé, était plus douce et nous avons décidé de nous voir le jour suivant et d'explorer les environs de ma promenade. Elle nota son numéro de téléphone sur la dernière page de mon carnet et y laissa une petite goutte de sang. Son écriture était audacieuse, sans équivoque."

Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.
Tellement adepte de Paris, Geoff Dyer y a situé une romance.

Vocabulaire noté :
-pensé que eras enrollada : j'ai pensé que tu étais cool
-echo un vistazo : je jette un coup d'oeil
-en un abrir y cerrar de ojos : en un clin d'oeil
-ver por el rabillo del ojo : voir du coin de l'oeil
-se moría de ganas de acostarse conmigo : elle mourait d'envie de coucher avec moi

dimanche 27 juillet 2014

No words

Tu décrétas la fin du tumulte en débranchant le téléphone avant de me rejoindre au studio. 
Tu posas ta tête sur mes genoux puis, après quelques pages, tes lunettes, sur le sol. 
Tu fermas ton livre*, tu fermas les yeux.
Moi, je ne faisais que : te regarder dormir. 
A cet instant-là, toute notre vie était comme contenue dans ton souffle lent, régulier, toute notre vie était parfaite. 
*Elle s'appelle Sei Shonagon, passe pour la plus mauvaise langue de la Cour, et écrit pour tuer le temps les riens qui composent sa vie de suivante. Selon une mode chinoise, elle s'amuse à les répartir en "Choses qui font battre le coeur", "Choses plaisantes" ou "extrêmement contrariantes". Ainsi : C'est bien plaisant dans les froides nuits d'hiver d'être ensevelie avec son amant sous une montagne de courtepointes. Le simple son d'une cloche paraît alors si étrange : comme s'il sortait du fond d'un puits
Nicolas Bouvier. Chronique japonaise

samedi 26 juillet 2014

Une enquête sentimentale

Quel est le dernier cadeau que vous ayez offert ?
Aimez-vous relever les défis ?
Savez-vous changer la couche d'un bébé ?
Avez-vous déjà écrit une lettre de rupture ?
Quelle couleur de ciel préférez-vous ?
La panique est-elle un sentiment qui vous est familier ?
Vos livres portent-ils la trace de votre lecture ?
Assistez-vous volontiers aux feux d'artifice ?
Venez-vous d'une famille où
"on se dit tout"
ou d'une famille où
"on ne se dit rien" ?
Utilisez-vous un agenda ?
Si oui, sauriez-vous vous en passer ?
ICI, des voix sentimentales 

vendredi 25 juillet 2014

Le cabinet des rêves 185

Je suis en France après être rentrée du Japon, dans un Monoprix où, à chaque caisse, il y a la queue jusqu'au bout du rayon. 
Je vois S. qui attend pour payer, une bouteille d'huile d'olive dans les bras. 
Je la regarde, lui souris. 
Elle, comme à son habitude, a une attitude ambiguë : mi "viens me voir" mi "laisse-moi tranquille" alors je n'insiste pas. 
Je vais dans le rayon gants et écharpes et en regarde une, crème, en laine. 
Je me dis qu'elle va être trop vite trop chaude pour la saison mais j'en porte une en tissu, bariolée, qui n'est pas assortie avec le reste de mes vêtements et je pense que je n'ai plus mon autre foulard, celui du Japon, qu'un de mes neveux (ils sont deux, jumeaux, et je ne parviens pas à les distinguer) a abimé à force de le porter. 
Je prends, donc, l'écharpe et me dirige vers la caisse. 
Toutes les files ont disparu car d'autres caisses ont été ouvertes de l'autre côté du magasin.
Je paye par carte et ça a l'air de poser problème. 
Même si ce n'est pas à cause de ma carte mais de la caisse, que je ne suis pas responsable du très long temps que demande la transaction, je me sens un peu coupable en voyant qu'une nouvelle file commence à se former derrière moi. 

Rêve du 6 juillet 2014

jeudi 24 juillet 2014

Chroniques casanières

ce n'est plus au réveil
que j'ai rendez-vous avec le soleil
mais le soir que je mange en
tête à tête avec le couchant

mardi 22 juillet 2014

Tuesday self portrait

-Tu sais faire la cuisine et tout ?
-Non. 
-Du tout ?
-Du tout. 
-Quoi ? Tu es bien une fille, non ?
Marie acquiesça. 
-Alors à quoi crois-tu servir si tu ne sais pas faire la cuisine ? Vous devez avoir une sacrée opinion de vous-même, mademoiselle. Attends une minute. Est-ce que tu sais faire les lits ?
-Oui. 
-Et est-ce que tu fais pipi assise ?
-Oui. 
-Bien, dit-il, considérablement radouci. Je suppose que deux sur trois ce n'est pas si mal. 
Martin Amis. D'autres gens

lundi 21 juillet 2014

Voyage autour de ma chambre
chapitre 3 : à Bali

Nous avions reçu la solennelle assurance que presque personne ne viendrait à Kyoto. C'est pourquoi nous y rencontrons tous les passagers du bateau qui nous avait amenés à Nagasaki. Et c'est aussi pourquoi nos oreilles sont constamment assaillies de la clameur des gens en train de discuter les endroits qu'il faut faire. L'Anglais est un horrible animal quand il se retrouve sur les grand-routes. De même que l'Américain, le Français ou l'Allemand. 
Rudyard Kipling. Lettres du Japon

Tandis que nous remontions la rue aux maisons basses, dont les rez-de-chaussée sont dévolus aux boutiques de souvenirs, petits supermarchés, restaurants de toutes sortes, stands de fish-spa, loueurs de voitures, loueurs de vélos, parfumeries, stands de caricaturistes, de portraitistes, de tatoueurs, boutiques de vêtements, de maillots, de chaussures, studios de maquillage, de photos à l'ancienne, il parlait de Londres -tu as fait Londres ?- et, pendant qu'il continuait de parler sans, manifestement, s'être aperçu que je ne lui avais pas répondu, je cessai de l'écouter pour penser à toutes les fois où j'étais allée à Londres, dont aucune n'aurait pu me permettre de lui répondre affirmativement car ce que je m'étais toujours contentée de faire à Londres, ainsi que, plus tard, à New York ou à Lisbonne, c'était tout simplement : y être.

Quiconque avait une chambre à louer savait ce que voulaient les touristes : une vue. Les propriétaires, pendant qu'ils ouvraient les volets pour dévoiler le vert éclatant, souriaient et disaient "Jolie vue" mais ça sonnait toujours comme un concept importé, quelque chose qui ne leur était devenu familier qu'au contact des touristes. Circle disait que c'était comme s'ils connaissaient le mot mais ne partageaient pas notre espace mental -à elle, à moi et au reste des touristes : trois pelés et un tondu- pour penser en terme de "vue". -Sinon, a continué Circle, pourquoi iraient-ils tout salir ? Jeter des cochonneries et profiter de la vue sont deux choses incompatibles. -Quand tu connais bien quelque chose, tu lui accordes souvent moins d'attention, j'ai répondu.La vue, à proprement parler, est le résultat de la séparation du plaisir et du travail. C'est comme ce passage de Jean de Florette ou Manon des Sources, quand Gérard Depardieu demande à un paysan s'il apprécie la vue. Le paysan ne sait pas ce dont il parle. Tu dois être étranger à un paysage pour le considérer comme  une vue. Cette idée de vue (ou de panorama) a été, en d'autres temps, le domaine d'une petite élite gouvernante, il est tout de suite devenu un droit bourgeois; maintenant que le voyage s'est démocratisé, la vue est à la portée de tous… sauf des gens qui travaillent à l'entretenir. 


Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.
Après en avoir disputé de nombreuses parties à Ubud, Geoff Dyer n'a jamais perdu le goût du ping-pong

Vocabulaire noté :
-tenía demasiadas ganas de ganar : j'avais trop envie de gagner
-une paliza al ping-pong : une raclée au ping-pong
-quatro gatos : trois pelés et un tondu
-alardear : crâner
-mi debilidad por la gente que cita Rilke : mon faible pour les gens qui citent Rilke

dimanche 20 juillet 2014

Wet boy (do you know what it feels like to be wet)

femme de marin, dormir sans toi pendant des mois : je ne pourrais pas
je reste sur le quai, je te regarde t'éloigner, 
nager
parfois à ton retour tu me retrouves à l'eau, tu dis que je me débrouille bien, 
pour un chat
mais le plus souvent, je suis une sirène, 
en papier

samedi 19 juillet 2014

Une enquête sentimentale

Quel son vous évoque-t-il le plus l'été ?
Une prise de conscience éthique vous a-t-elle déjà fait changer vos habitudes ?
Vous souvenez-vous de votre première nuit blanche ?
Ne pas en aimer le titre peut-il vous décourager de lire un livre ?
Quel est le meilleur souvenir de votre scolarité ?
Avez-vous l'impression de devoir fournir beaucoup d'efforts pour parvenir à ce que vous voulez obtenir ?
Préférez-vous cuisiner 
ou 
qu'on cuisine pour vous ?
Préférez-vous raconter des histoires 
ou 
qu'on vous en raconte ?
Y a-t-il une émission de radio à laquelle vous êtes fidèle depuis longtemps ?
Peut-on deviner d'où vous venez à votre accent ?
ICI, des voix sentimentales 

vendredi 18 juillet 2014

Le cabinet des rêves 184

Rêve de la reproduction en noir et blanc, dans un vieux livre, d'une peinture qui me fait pleurer : c'est quelque chose comme une clairière, un espace ras de campagne; y sont couchés, de chaque côté d'une ligne de partage dont je ne me souviens plus si elle est une simple rainure de la terre ou de la toile, un objet ou une réflexion de la lune qui doit éclairer la scène, les corps d'un homme et d'une femme dans lesquels, inertes, toute la lumière du tableau s'est logée; à l'avant-plan, les regardant et marchant vers eux, deux squelettes se tiennent par la main. 
Hervé Guibert. Le mausolée des amants
Une femme vient déposer devant chez moi -dans le jardin, je la vois par la fenêtre- une demi-douzaine de bébés, dans des couffins, pour que je les garde.  
Ils sont très jeunes, en train de peler d'un petit duvet de nouveaux-nés. 
Elle s'apprête à repartir sans être entrée, sans m'avoir donné la moindre consigne. 
Je lui fais remarquer que ce n'est pas si simple : Ce ne sont pas des petits chats !

Rêve du 13 juillet 2014

jeudi 17 juillet 2014

Chroniques casanières

l'escalier ne fut pas un suffisant
terrain de jeu
pour l'enfant
chargé de le repeindre en bleu

mercredi 16 juillet 2014

là, c'est le jour où j'ai laissé dans le livre que je rendais à la bibliothèque le ticket de caisse de mon passé qui m'avait servi de marque-page


AD Delhaize
Porte de Hal
N° Entreprise 0433 352 844

16/03/13  12:34

4KG ORANGES                3,65
POIS CHICHES                 0,67
TOFU BIO                         1,65


TOTA(A)L                         5,97

Num'ro Carte : 041-3xxxx27 82 0015
Num'ro Terminal : 4464
No. Transaction : 516

BANCONTACT               5,97
RENDU/TERUG              0,00

TELLEMENT PLUS POUR VOTRE ARGENT
LES OEUFS DE PÂQUES SONT ARRIVéS
DANS VOTRE MAGASIN
NOUS VOUS SOUHAITONS DE JOYEUSE
FÊTE DE PÂQUES
A TRèS VITE

Sur le comptoir il y avait un hortensia bleu dans un pot, devant l'horloge qui sonnait neuf heures. L'horloge avait un son fêlé, humide, un son noyé; c'est un son que les horloges n'ont jamais, mais ceux qui les entendent ont l'impression que c'est un son fêlé, humide, noyé. Il y a des choses que l'on entend comme on entend les horloges : l'amour, les cheveux blancs, la séparation, l'oubli. Toutes les choses faites de silence et d'oubli, comme la terre et le sang.
-Dis donc, si on allait au Bruxelles...
Blai Bonet. La mer.


mardi 15 juillet 2014

Tuesday self portrait

Bien qu'il ne se fût rien passé de particulier, il avait suffisamment vécu de choses pour être assuré du lendemain. Pour aujourd'hui, il n'avait plus besoin de rien : ni de voir ni de parler ni surtout d'apprendre quelque chose de nouveau. Se reposer, fermer les yeux, ne plus prêter l'oreille; ne rien faire d'autre que respirer. 
Peter Handke. Après-midi d'un écrivain

lundi 14 juillet 2014

Voyage autour de ma chambre
chapitre 2 : au Cambodge

"La traduction nous apprend que nous avons une langue maternelle mais que nous ne la voyons que depuis le dehors. Je crois qu'il faut au moins deux langues pour comprendre que c'est une langue que l'on parle. Je crois qu'il ne faut pas parler au moins deux langues mais il faut flairer, connaître d'une manière ou d'une autre au moins deux langues pour comprendre que, soi-même, c'est une langue que l'on parle et non pas un logos universel et, à moins de ça, il n'y a pas d'autre, pas de véritablement autre.  Donc, traduire, c'est percevoir au moins deux langues.
(...) On sait qu'on a une langue plus maternelle qu'une autre parce qu'on en pratique plusieurs, parce qu'on en lit plusieurs. Cela rejoint ce que Derrida disait : "plus d'une langue" et cette déterritorialisation, ce rapport à l'extérieur qu'on projette ou qu'on fait réagir sur le dedans, voilà ce qui compte dans l'éducation. La traduction c'est, véritablement, la pratique de la modification d'une langue par l'autre, ce que Jaufre Rudel, un trouvère, exprimait par : "c'est l'auberge du lointain" -c'est un titre d'Antoine Berman, magnifique auteur sur la traduction. L'interaction, cette ouverture, cette ouverture inventive d'une langue à l'autre, c'est : l'auberge du lointain. Voilà. La traduction nous apprend cela."
Barbara Cassin. La leçon inaugurale du forum Le Monde Le Mans 2014 est à écouter ICI.  
Cette lecture me fait garder la chambre car, au cours de cette excursion immobile, le dictionnaire est mon guide. 
Je sais que ce voyage ne sera pas achevé à la fin du livre, que ce voyage est infini mais je voudrais, malgré tout, rester touriste de cette langue, en rester dépaysée afin de me préserver de lapluieetdubeautemps des terrasses, de continuer à pouvoir ouvrir un livre, pouvoir remplir mes carnets à proximité d'une télévision allumée, je voudrais garder du temps de cerveau disponible, luxe de la vie à l'étranger. 
"Je vous aurais bien montré des photos mais malheureusement, je n'en ai aucune. Ni même d'appareil. Circle en a un et elle a pris quelques photos mais, honnêtement, elle ne valent pas le papier Kodak sur lequel elles sont tirées. Circle sait beaucoup de choses -jouer du piano et du violon- mais elle ne connait rien en photographie, pas même les bases, pas même ce que je sais. Elle fait face au soleil, se place à la lumière quand elle photographie une zone à l'ombre. Elle l'explique très simplement. 

-Si je vois quelque chose qui me plait, je le prends en photo. 
-Sans tenir compte de la lumière ni de la position du soleil ?
-Non. 
-Ni de la distance à laquelle se trouve ce que tu veux photographier ?
-Non. 
-D'où les motifs si récurrents dans ton oeuvre : le sujet flou, la photo qui ne montre rien...
Malgré mes sarcasmes décourageants, Circle a pris quelques photos de Angkor, surtout de moi : flou sous les racines des arbres qui tombent comme des gouttes de cire sur les murs de Ta Prohm, clignant des yeux près des visages de pierre de Bayon, surexposé comme un albinos à Preah Kahn... Aucune d'elle ne mérite une seconde vision et la majorité même pas une première. Non sans raison, Circle mettait ça sur le dos de mon attitude négative. Chaque fois que je la voyais sortir son appareil, je lui disais quelque chose du style : "Eve Arnold a une commande" ou "Ah, je vois que nous allons revivre un moment indécisif". Ce qui est sûr, c'est que ces moments étaient peu nombreux et espacés; il se peut que Circle ait pris plus de photos que moi, mais comparativement au reste des touristes, elle est restée, comme je le dis ingénieusement, "bien en-deça de Parr". Ce qui, aux yeux de tels visiteurs-photographes, nous changeait en citoyens de seconde classe. (...) Nous appartenions à la caste la plus basse des touristes : les invisibles. Comme tels, nous avions souvent à attendre que les groupes entiers prennent leurs photos avant de marcher, de nous asseoir ou même de regarder. A un certain niveau, comme nous n'avons pas photographié Angkor, nous n'y sommes pas vraiment allés." 

Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.
Geoff Dyer, même s'il ne la pratique pas, s'intéresse à la photographie au point d'avoir écrit un livre qui lui est consacrée : The ongoing moment.

Vocabulaire noté : 
-me daba miedo la esquistosiomiasis : j'avais peur de la schistosomiase
-un hombre muy quisquillosos : un homme très pointilleux
-charlar : bavarder
-aliviar la angustia : soulager l'angoisse
-una pedigüeña : une mendiante

dimanche 13 juillet 2014

Come sunday

Je ne voyage pas : je déménage.
Lille-Bruxelles, en passant par Tokyo, il fallut un camion. 
Bruxelles-ici, en passant par Lisbonne, une voiture y suffit. 
Certains matins, à la Linière, bien avant la nécessité des cartons, des dons, je m'éveillais avec, au plus profond, ce besoin d'épure, de vide quand bien même ce que j'éprouvais tant le désir de jeter était invisible aux yeux, était en boîte. 
Lettres d'amour, de désamour, de non-amour, j'aurais aimé les déposer entre les mains de ceux que je voyais, à la fin du marché aux puces, ramasser comme je le faisais aussi parfois : vieilles photos, anciennes enveloppes, vies de papier invendues et vouées aux pavés, déposer entre leurs mains les traces de moi trop souvent déménagées en leur souhaitant la plus inspirée des libertés pour inventer à ces écritures un nouveau destin, inventer à mes anciennes amours, mes jeunes amitiés une autre fin. 
J'ai jeté beaucoup de lettres et les tiennes, quelques semaines sans doute avant que tu viennes sonner à ma porte, que signaient les mots d'amour que jamais pourtant, adolescents, nous n'avions prononcés, qui décrivaient les ambiances plus longuement que le manque que, lui, je connaissais pour éprouver le même. 

J'ai inauguré un carnet dans lequel je dessine avec la nonchalance de celle qui n'en attend rien, je laisse venir les traits que m'inspirent les scènes domestiques, les fenêtres ouvertes, le sommeil animal et toi, toi sans les mains. 
Quant aux ambiances, c'est toi qui en es toujours le spécialiste. 

samedi 12 juillet 2014

Une enquête sentimentale

A-t-on déjà contrôlé votre identité dans la rue sans vous dire pour quelle raison ?
Si vous n'en avez pas, auriez-vous aimé avoir une jumelle ou un jumeau ?
Vous arrive-t-il de porter des tee-shirts marqués du nom d'une ville que vous avez visitée ?
Avez-vous l'impression qu'on sollicite davantage votre compagnie, votre amitié, que vous celle des autres ?
Si vous ne l'êtes pas, pourriez-vous être sportif de haut niveau ?
Préférez-vous aller au cinéma l'été ou l'hiver ?
Avez-vous plusieurs prénoms ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement
jamais 
de claquer une porte pour manifester votre colère ?
Lorsque vous écoutez un disque, est-ce en respectant l'ordre des morceaux ou en lecture aléatoire ?
Un membre de votre famille ayant participé à un conflit armé vous en a-t-il fait le récit ?

ICI, des voix sentimentales 

vendredi 11 juillet 2014

Le cabinet des rêves 183

Je fais des courses dans un hypermarché.
Il est très tard -plus tard, je saurai qu'il est 5 heures du matin et que je suis en train de faire une insomnie- j'ai un panier -vide- au bras et j'aperçois S., dans un rayon, de loin.
J'hésite à aller la saluer mais, finalement, j'y vais.
Elle n'a l'air étonné ni de me voir dans ce magasin -comme si, elle aussi, m'avait vue avant que je l'aborde- ni de me revoir après si longtemps.
Assis dans son caddie : son deuxième enfant que je n'ai jamais vu. Un petit garçon aussi sublime que l'est sa fille aînée. Mais aussi ses deux chats : un chaton et sa mère, très beaux eux aussi. 
Un peu plus loin : son mari avec lequel elle vient chez moi sans que nous passions à la caisse ni ne sortions nulle part, comme si le magasin communiquait directement avec chez moi. 

Je vois M. sortir du salon, les yeux battus et c'est là que je me souviens que nous étions en pleine insomnie, lui et moi, et que je suis sortie faire les courses pour cette raison. 
Le mari me demande si j'ai un sac poubelle. Je regarde dans sa direction et m'aperçois qu'il a l'intention de se débarrasser chez nous d'un vieux yucca très encombrant. 
Je leur dis que ça ne va pas être possible, ils semblent le comprendre, partent sur-le-champ mais sans dire au-revoir, ce qui me fait craindre qu'ils vont revenir et c'est le cas. 
S., manifestement pour se faire pardonner d'avoir été aussi sans-gêne -mais en l'étant encore plus- revient, chargée de guirlandes et de décorations de toutes sortes qu'elle dépose un peu partout avant de secouer ce qui ressemble à une bouteille. 
Je crie : Non ! Non ! Non ! 
mais elle persiste dans son geste et il sort du goulot une dizaine de figurines de Schtroumpfs disposés en cercle au centre de la table. 
J'en prends un en main, je suis horrifiée. 
S., au contraire, s'extasie. 

Je réussis à la congédier et lui dis au-revoir devant sa voiture. 
Les chats ne sont plus là mais, à la place, il y a deux jeunes filles, mal à l'aise devant moi. 
Faire la bise à l'une d'elle est vraiment compliqué tellement elle ne sait pas comment se tenir, tellement elle est raide. 
Je lui dis : Ce n'est pas facile de t'embrasser parce que... tu as un nez ! 
Je sais que c'est une phrase ridicule mais il ne m'est venu à l'esprit que cela pour ne pas la complexer en évoquant son maintien. 

Pour rentrer chez nous, je passe par l'arrière de la maison, longe des tas de bois alignés et pense en soupirant : C'est vrai que ça va être l'hiver

Rêve du 9 juillet 2014

jeudi 10 juillet 2014

Chroniques casanières

le coq voisin pour le faire
taire
le cuisiner s'il le fallait
je le ferais

mercredi 9 juillet 2014

Là, c'est le jour où j'ai lu un vers de W.H. Auden :"A home, the centre where the three or four things that happen to a man do happen",

dans le livre de Geoff Dyer, Yoga para los que pasan del yoga, où j'ai été intriguée par le titre du poème , Detective story, où j'ai voulu le lire in extenso et où je l'ai trouvé cité par un Anglais qui a vécu au Japon avant d'emménager à Bruxelles.




















Detective story
 
For who is ever quite without his landscape,
The straggling village street, the house in trees,
All near the church, or else the gloomy town house,
The one with the Corinthian pillars, or
The tiny workmanlike flat: in any case
A home, the centre where the three or four things
that happen to a man do happen? Yes,
Who cannot draw the map of his life, shade in
The little station where he meets his loves
And says good-bye continually, and mark the spot
Where the body of his happiness was first discovered?
An unknown tramp? A rich man? An enigma always
And with a buried past but when the truth,
The truth about our happiness comes out
How much it owed to blackmail and philandering.
The rest’s traditional. All goes to plan:
The feud between the local common sense
And that exasperating brilliant intuition
That’s always on the spot by chance before us;
All goes to plan, both lying and confession,
Down to the thrilling final chase, the kill.
Yet on the last page just a lingering doubt:
That verdict, was it just? The judge’s nerves,
That clue, that protestation from the gallows,
And our own smile… why yes…
But time is always killed. Someone must pay for
Our loss of happiness, our happiness itself.
 
W.H. Auden





mardi 8 juillet 2014

Tuesday self portrait

On imagine mal un roman davantage ennuyeux, c'est une tristesse de voir encore des enfants le lire. La vision du monde de Robinson réside exclusivement dans la propriété, jamais on n'a vu de propriétaire si moralisant. La recréation mythique du monde à partir de l'île déserte a fait place à la recomposition de la vie quotidienne bourgeoise à partir d'un capital. Tout est tiré du bateau, rien n'est inventé, tout est appliqué péniblement sur l'île. Le temps n'est que le temps nécessaire au capital pour rendre un bénéfice à l'issue d'un travail. Et la fonction providentielle de Dieu, c'est de garantir le revenu. Le compagnon de Robinson n'est pas Eve, mais Vendredi, docile au travail, heureux d'être esclave, trop vite dégoûté de l'anthropophagie. Tout lecteur sain rêverait de le voir enfin manger Robinson. 
Gilles Deleuze. Causes et raisons des îles désertes

lundi 7 juillet 2014

Voyage autour de ma chambre
chapitre 1 : à la Nouvelle Orléans


Pour cela, il vaudrait mieux demander à mes voisins de terrasse, ceux-là oui, ou les autres, un peu plus loin : vous voyez ? ceux qui ont poussé les verres et les tasses pour déplier la carte, qui consultent leur guide. 
Parce que moi : non. 
Ne comptez pas sur moi pour vous raconter l'île : je n'en connais que les variations autour du bleu du ciel et de la mer, que je vois par la fenêtre de mon studio. 
Pour le reste : non. 
Car je ne déteste rien tant que devoir emplir un sac, porter une valise, espérer pouvoir attraper ma correspondance. 
Car je n'aime rien tant que rester immobile pendant qu'on me raconte les voyages que je ne ferai pas. 
Alors. Alors, j'emplis de français les marges de nouvelles traduites de l'anglais dans une langue que je ne parle pas. 
Mettez Geoff Dyer dans n'importe quel endroit du monde, il le couvrira d'un léger voile de nostalgie, parlera de trains de marchandises qu'on laisse passer à regret, de premiers baisers sur fond de tapage de Mardi Gras, de revolvers qu'on garde dans la boîte à gants de la voiture davantage pour pouvoir se faire sauter la cervelle qu'en cas de réelle menace.  

"Dans les films, quand un homme s'installe dans une nouvelle ville -y compris s'il vient d'accomplir une longue peine de prison pour avoir tué son épouse- il ne tarde pas à faire la connaissance d'une femme à la caisse du supermarché ou au Croissant d'Or, où il a pris son petit déjeuner lors de son premier matin à la  Nouvelle Orléans. Bien que je ne connaisse aucune des serveuses au Croissant d'Or, établissement bien nommé, je continuai à y prendre mon petit déjeuner tous les jours parce qu'on y servait les meilleurs croissants aux amandes que j'eusse jamais goûtés (que j'aie jamais goûtés). Parfois, il pleuvait pendant des jours et des jours, la pluie la plus dense que j'eusse jamais vue de ma vie (ensuite, j'en ai vu des pires), mais, malgré la pluie, je ne manquais jamais un petit déjeuner au Croissant d'Or, en partie pour l'excellent café et les croissants mais, surtout, parce que cette visite devint une partie de la routine de mes jours."

Le livre de Geoff DyerYoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.
Depuis quelques temps, Geoff Dyer s'est vu obligé de moins manger de croissants aux amandes.

Vocabulaire noté :
-los chorizos : les voleurs
-nos colocábamos : nous nous sommes drogués
-me jodió la vida : ça m'a ruiné la vie
-si intentan joderme tres tíos : si trois mecs essaient de me baiser
-empezaba à disfrutarlo : je commençais à l'apprécier
-no me apetecía tanta molestia : je n'avais pas envie de tant souffrir

dimanche 6 juillet 2014

sunny weather

dans la cour
,arrosant les fleurs,
tu tournais le dos
aux peintures rupestres
que tu avais tracées
sans le savoir 

samedi 5 juillet 2014

Une enquête sentimentale

Connaissez-vous des tours de magie ?
Dites-vous 
souvent
rarement
jamais 
Je n'ai pas à me plaindre ! 
?
Quel genre de bruit fait votre réveil ?
Avez-vous déjà été recontacté par une personne de votre passé ?
Si oui, avez-vous donné suite à sa tentative ?
Y a-t-il une langue que vous aimeriez particulièrement savoir parler ?
Prenez-vous des douches ou des bains ?
Vous êtes-vous déjà reconnu dans une peinture ou une photo dont vous n'étiez pas du tout le modèle ?
Avez-vous du goût pour le secret ? 
Avez-vous déjà pleuré en lisant un livre ?
ICI, des voix sentimentales 
(et merci à Chantal Pelletier pour la sienne)

vendredi 4 juillet 2014

Le cabinet des rêves 182

Sachant que son mari est mort, je vais voir K. pour tenter de la distraire un peu de sa peine. 
Je lui propose de m'accompagner (ou ?). 
Elle est avec sa mère (ou celle de B. ?), regarde la télévision toute la journée, refuse ma proposition en me disant que Non, ça va, la mort de B. n'est pas un problème
Je me récrie : je ne la pense pas sincère. 

Rêve du 2 juillet 2014

jeudi 3 juillet 2014

Chroniques casanières

c'était déjà 
la main de K.
accrochée

mardi 1 juillet 2014

Tuesday self portrait

Cette ébauche squelettique de ma journée demanderait à être rehaussée de toutes sortes de couleurs variées. Aujourd'hui il faisait gris et venteux sur le chemin; hier, un temps généreux et dégagé : soleil jaune inondant les blés et chaleur dans la vallée. Ces deux jours diffèrent énormément; tous deux sont parmi les plus heureux de ma vie, c'est-à-dire parmi ces jours heureux qui se confondent, mûrs, suaves, pleins de santé; le pain quotidien, car rien d'étrange ni d'extravagant n'est survenu; simplement la journée s'est déroulée tout droit, harmonieusement, selon ce que la vie peut offrir de meilleur dans un pays comme celui-ci; ce qui me fait souhaiter d'en obtenir encore beaucoup d'autres semblables : des mois entiers ! 
Virginia Woolf. Journal. Jeudi 22 août 1929

C'est à Tokyo que j'ai commencé à lire le Journal de Virginia Woolf. Le thé infusait, je tournais quelques pages... l'heure devenait anglaise.