samedi 28 février 2015

Une enquête sentimentale

Croisez-vous beaucoup de regards quand vous marchez
en ville ?
Savez-vous identifier l'essence des arbres ?
A quel âge avez-vous commencé à effectuer des trajets seul ?
Avez-vous toutes vos dents ?
Êtes-vous déjà resté dans une voiture pendant un lavage automatique ?
Avez-vous l'esprit pratique ?
Avez-vous déjà croisé un animal qui portait votre nom ?
Quelle est la musique sur laquelle vous avez dansé la dernière fois ?
Avez-vous déjà fait un scandale dans un magasin ?
Si ce n'est pas le cas, pourriez-vous vivre dans une ferme ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 27 février 2015

Le cabinet des rêves 216

Oui, dit Camier, au lieu de m'écouter tu ne penses qu'à me raconter ton rêve. Tu n'ignores pas cependant ce que nous avons arrêté à ce sujet : pas de récits de rêve, sous aucun prétexte. Une convention analogue nous interdit les citations. 
Samuel Beckett. Mercier et Camier
Des collégiens jouent à cache-cache sur le chemin de l'école. 
Je suis couchée dans mon lit (qui est dans la rue ? ou à proximité)
Comme je le redoutais en sachant les enfants aux alentours, l'un d'entre eux (mais il s'agit plutôt d'une grande personne) vient se coucher en travers de moi, sur mon ventre. 
Je me débats en criant pour qu'il s'en aille. 
Je cherche à l'agripper par les cheveux ou le visage.
Non seulement je ne vois rien à ce que je fais parce que je ne peux pas relever la tête mais, en plus, j'ai les mains toute molles et je n'ai aucune force. 

Rêve du 12 février 2015

jeudi 26 février 2015

La vie des pages (19)

De ce qu'ils m'ont apporté, il me reste des provisions. 
Des centaines de grammes de thé. 
Des centaines de pages. 
J'ai laissé les livres dans le sac en papier dans lequel ils ont voyagé, comme dans une bibliothèque nomade. 


mercredi 25 février 2015

L'heure universelle

Cette année-là, j'avais décidé de vivre plus longtemps, c'est pourquoi j'avais pris l'avion. 
Ne vous fatiguez pas : j'ai oublié autant de fois qu'on me l'a expliquée l'histoire des fuseaux horaires, l'équateur, tout ça, je l'oublierai toujours aussi immanquablement jusqu'à la fin de ma vie, il y a des choses comme ça, (mais beaucoup d'autres aussi -qui n'ont comme point commun que d'être logiques ou scientifiques-, comme ça : 

Premier exercice :
Factoriser les expressions suivantes à l’aide de la formule a2 +2ab+b2 =(a+b)2
  : x2 + 2x + 1 ; x2 + 4x + 4 ; 25x2 + 30x + 9 ; 9x2 + 12x + 4 
Deuxième exercice :
Factoriser les expressions suivantes à l’aide de la formule a2 -2ab+b2 =(a-b)2
  : x2 - 22x + 121 ; 36x2 - 84x + 49 ; x2 -2x +1 ; x2 -4x +4 
Troisième exercice :
Factoriser les expressions suivantes à l’aide de la formule a2 -b2 =(a-b)(a+b)
x2 - 4 ; 4x2 - 9 ; x2 - 9 ; x2 - 121 ; 1 - 49x2 ; (5x - 1)2 - (3 - 2x)2 ; (2x + 5)2 - ( x - 3)2 ; (x + 2)2 - ( 4x - 1)2
que j'ai renoncé à retenir, sans lesquelles -tant pis- je vis sans savoir dans quel sens bouger les aiguilles de l'horloge du couloir à chaque changement de saison. 
Si je ne garde aucun souvenir du voyage de ce jour-là, c'est sans doute parce qu'à l'arrivée, il était 9 heures, comme au départ même si rien, vraiment rien -pas même la/ma/notre langue- n'était pareil

C'est une dizaine de jours plus tard que je choisis, avant de quitter le MET et pour me rappeler de tout 

(
ou au moins de cela : 
-les vétérans de guerre dans leurs kiosques à hamburgers
-le soleil de septembre
-les grappes de touristes 
mais aussi l'hésitation : 
-descendre jusqu'à downtown
-en métro, en bus ou en passant par Central Park
ou bien :
-rentrer chez moi
ou bien :
-continuer jusqu'à l'East River
) une montre à la boutique qui, invariablement, quand je la porte, retarde doucement, progressivement, jusqu'à indiquer son heure d'origine. 

mardi 24 février 2015

Tuesday self portrait

-Tu sais quel est ton problème ?
Elle est assise sur le sol, buvant du thé et regardant ses photos. Moi, je suis debout au milieu de la chambre, buvant une bière. Evidemment je ne sais pas quel est mon problème. 
-Ton problème c'est que tu es quelqu'un sur qui on ne peut pas compter. Tu n'es pas sur les photos. 
-Quelles photos ?
-Peu importe quelles photos parce que tu n'es sur aucune. Sur les photos je suis seule. Comme s'il s'agissait seulement de mes voyages. 
Je regarde les photos répandues sur le sol et, effectivement, il semble que je ne suis sur aucune. 
-Cherche un peu. Je me souviens que tu as pris une photo de moi à Hanoi. Elle doit être quelque part. Et dans l'avion. Tu m'as photographié dans l'avion. Je suis sûr de ça.
-Elle est là -dit-elle-, j'ai une photo de toi, dormant dans un avion. C'est tout. C'est comme si j'avais toujours voyagé seule. 
-Mais tu n'as pas voyagé seule. Je suis ici même si je ne suis pas sur les photos. 
-Tu es ici, en effet, mais : pourquoi tu n'es pas sur les photos ? Tu y as déjà pensé ?
-Je n'aime pas les photos. 
-Tu aimes les miennes. 
-Les tiennes, oui. Je n'aime pas les photos de moi. 
-C'est ça, le problème, tu comprends, maintenant ?
-Non. 
-Ton problème c'est que d'ici quelques années, tu pourras tout nier, parce que tu n'auras pas laissé de preuves. Et ça me fait douter de la foi que tu as, maintenant, en nous. 
-Il y a quelque chose qui m'échappe. 
-Quoi ?
-Eh bien, en réalité, tout. Tu veux me prendre en photo ?
-Je ne veux pas te prendre en photo. Je veux que tu sois sur les photos. Je veux que tu cesses de lutter pour ne pas être dessus. Je veux te voir à côté de moi, à Tokyo, dans un tas d'années. 
On n'a pas encore petit déjeuné. Elle est sur le sol à regarder ses photos. Moi je reste debout à boire de la bière. Je ne sais toujours pas quel est mon problème mais je suppose que je ne voudrais pas être à Tokyo d'ici un tas d'années. Je suppose que dans un tas d'années, je voudrais être n'importe où ailleurs. 
 Traduction libre d'un extrait de Tokyo ya no nos quiere de Ray Loriga. 
-¿ Sabes cuál es tu problema ?
Ella está sentada en el suelo, bebiendo té y mirando sus fotos. Yo estoy de pie en medio de la habitación, bebiendo cerveza. Por supuesto no sé cuál es mi problema.
-Tu problema es que no eres alguien con quien se pueda contar. No estás en las fotos.
-¿ Qué fotos ?
-No importa qué fotos porque no estás en ninguna. En las fotos sólo estoy yo. Como si éstos, fueran sólo mis viajes.
Miro las fotos extendidas en el suelo y efectivamente no parece que esté en ninguna.
-Busca un poco. Recuerdo que en Hanoi me hiciste una foto. Debe de estar por algún lado. Y en el avión. Me hiciste una foto en el avión. De eso estoy seguro.
-Aquí está -dice ella-, tengo una foto tuya, dormido en un avión. Eso es todo. Es como si estuviera viajando sola.
-Pero no estás viajando sola. Yo estoy aquí aunque no esté en las fotos.
-Estás aquí, cierto, pero ¿ por qué no estás en las fotos ?¿Te has parado a pensarlo ?
-No me gustan las fotos.
-Te gustan las mías.
-Las tuyas sí. No me gustan mis fotos.
-Ese es el problema, ¿lo entiendes ahora ?
-No.
-Tu problema es que dentro de muchos años podrás negarlo todo, porque no habrás dejado pruebas. Y eso me hace dudar de la fe que tienes, ahora, en nosotros.
-Hay algo que se me escapa.
-¿ Qué ?
-Bueno, en realidad, todo. ¿ Quieres hacerme una foto ?
-No quiero hacerte una foto. Quiero que estés en las fotos. Quiero que dejes de luchar por no estar en ellas. Quiero verte a mi lado, en Tokio, dentro de un montón de años.
Aún no hemos desayunado. Ella está en el suelo mirando sus fotos. Yo sigo de pie bebiendo cerveza. Aún no sé cuál es mi problema, pero supongo que no quiero estar en Tokio dentro de un montón de años. Supongo que dentro de un montón de años quiero estar en alguna otra parte.

lundi 23 février 2015

La même mer (fragments d'insularité)

Comme mes soeurs et moi (1), les îles Baléares ont un air de famille, des accès de ressemblance mais aussi des nuances dans le bleu, des caractères bien affirmés, des reliefs (2), ou pas (3)
Traverser le bras de mer vers Minorque, c'est rendre visite à l'île cadette de celle où je vis. 

(1)










(2)









(3)

dimanche 22 février 2015

Les séances de pose

C'est souvent le vendredi que nous allons dans le monde. 
Suspendue la conversation, vidées les tasses de café, j'ouvre parfois un livre, un autre. Toi ton carnet, seulement. 
Tous ces gens, il faut bien en faire quelque chose. 

samedi 21 février 2015

Une enquête sentimentale

Utilisez-vous un GPS ?
Y a-t-il un livre qui a marqué votre enfance ?
Où avez-vous pris votre plus récent bain de soleil ?
Faites-vous 
souvent
rarement
jamais 
des choses dont vous vous dites "je ne devrais pas"
?
Vous arrive-t-il d'avoir envie de manger une glace en hiver ?
Aimez-vous les travaux manuels ?
Avez-vous déjà vécu la mort d'un animal ?
Fréquentez-vous les bancs publics ?
A quelle occasion vous êtes-vous mortellement ennuyé ?
Avez-vous tendance à faire compliqué 
quand vous pouvez faire simple ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 20 février 2015

Le cabinet des rêves 215

Les vétérans de la Sélection connaissaient bien tout cela. Ils en savaient long sur l'influence de la neige, des vents ou de la poudre sur les quantités de rêves, ils n'ignoraient pas non plus le rôle des secousses sismiques, de l'éclipse de lune ou de l'apparition des comètes. Le secteur de l'Interprétation comptait à coup sûr en son sein des maîtres prestigieux de l'analyse des songes, d'authentiques savants qui, derrière des visions où l'oeil ordinaire ne percevait que les incohérents gribouillis du cerveau, savaient déceler des significations aussi étranges que dissimulées. Pourtant, dans aucun autre secteur du Tabir Sarrail on ne trouvait parmi les employés des vieux briscards comme ces anciens de la sélection, capables de prévoir l'abondance ou la pénurie de rêves tout aussi facilement que les vieillards du commun pouvaient pressentir, à leurs douleurs rhumatismales, que le temps allait se détraquer. 
Ismaël Kadaré. Le palais des rêves

Nous partageons la propriété, E. et moi, d'un petit studio où je vais moins souvent que lui et qui est très désordonné. 
Alors que je m'y trouve, je constate que la porte du frigo est restée ouverte, qu'il est plein des ingrédients nécessaires à la préparation de mojitos. 
Comme E. est là, assis, un peu ivre, je lui fais remarquer qu'il ne me prépare jamais de cocktails, à moi. 

Rêve du 2 février 2015

jeudi 19 février 2015

La vie des pages (18)

La lecture n'est pas un point commun.
Pas davantage le goût du thé.
Plus convaincant : celui de la solitude qui, paradoxalement, permet le moins les liens d'amitié.
La lecture n'est pas un point commun suffisant, je veux dire.
Ainsi, avec Alberto Manguel. 
La lecture, mais : 
Les livres qu'il possède (1)
/
Les livres dont je me dépossède (2) 
et tous ceux que j'emprunte (3)


(1)
Plus tard, dans ma maison de Toronto, j'ai mis des étagères à peu près partout - dans les chambres à coucher et dans la cuisine, dans les corridors et dans la salle de bains. Même le perron couvert avait les siennes, et mes enfants se plaignaient d'avoir l'impression qu'il leur fallait une carte de bibliothèque pour pouvoir rentrer chez eux. Alberto Manguel. La bibliothèque, la nuit. 
(2)
Vous les avez tous lus ??? nous demandait-on si souvent. 
Tu n'as lu que ça ??? me demandera-t-on bientôt. 

(3)
J'écris toujours dans mes livres. Quand je les relis, la plupart du temps, je ne m'explique pas pourquoi j'ai pensé que cela valait la peine de souligner un passage déterminé ou quel était mon objectif avec cette observation-là. Hier, j'ai trouvé un exemplaire de René Leys, de Victor Segalen, annoté de ma main : "Trieste, 1978". Je ne me souviens pas être jamais allé à Trieste. Alberto Manguel. Journal de lectures.
Et dans la marge, écrit à la main et au crayon, le clin d'oeil d'un autre usager qui m'a précédée : une "boucle" pour toi, anonyme lecteur.

mercredi 18 février 2015

ANATOMIE 
DE LA
MONOTONIE




Comme on se lasse, dit-on, d'une météo toujours égale
se fatiguerait-on, aussi, d'une vie trop étale, 
du calme 
que notre âme
pourtant 
réclame
tant
?
(
au point
à la fin
d'empoigner un fusil
et des couteaux aussi
de provoquer un attroupement
à force de hurlements
)

mardi 17 février 2015

Tuesday self portrait

La maison, mouillée, semblait distincte et Ruby, pendant qu'elle attendait le taxi au soleil, fit attention à la détérioration des murs jaunes, à la peinture fissurée et détachée en morceaux, aux grilles et aux rampes oxydées. La courbe du toit présageait un écroulement prochain. Une fissure, perceptible sous le jaune décoloré traversait le côté sur la rue Guntemberg. Comment ne l'avait-elle pas remarqué avant ? Elle vivait dans une future ruine, une ruine qui tiendrait encore trois ou quatre ans avant de se montrer sans dissimulation. A présent, elle voyait le lien entre l'état de la maison et l'attitude de Hanna : "J'ai avalé des médicaments parce que je ne supportais pas le jaune des murs, c'était comme un visage malade" avouerait Hanna. Quelqu'un se tuera-t-il parce qu'il ne supporte pas le lieu où il vit ?
Traduction libre d'un extrait de Accidentes intimos de Justo Navarro. 
La casa, mojada, parecía distinta, y Ruby, mientras esperaba el taxi, al sol, reparó en el deterioro de los muros amarillos, en la pintura cuarteada y desprendida a pedazos, en las rejas y barandas oxidadas. La curva del tejado presagiaba un próximo derrumbamiento. Una grieta, perceptible bajo el amarillo descolorido, cruzaba el flanco que daba a la calle Gutemberg. ¿Cómo no lo había notado antes ? Vivía en una futura ruina, una ruina que todavía se demoraría tres o cuatro años antes de mostrase sin disimulo. Ahora encontraba un nexo entre el estado de la casa y la conducta de Hanna : "Me tomé las pastillas porque no soportaba el amarillo de la paredes; era como una cara enferma", confesaría Hanna. ¿Habrá quien se mate porque no aguanta el sitio donde vive ?
Justo Navarro. Accidentes intimos.

lundi 16 février 2015

Le désert (fragments d'insularité)

Lorsque l’avion a pu abolir les distances et mettre l’île à portée de flux touristiques importants, le handicap de l’insularité pouvait disparaître mais, du même coup, il était à craindre qu’une grande partie de ce qui avait fait l’attrait et permis la légende de cette île disparaisse aussi ou, du moins, s’atténue considérablement. L’accessibilité de l’île rendait possible la commercialisation de cette destination à très grande échelle d’autant que la création, puis la modernisation de l’aéroport de Palma devenu un des premiers en Europe, permettait d’accueillir des millions de voyageurs et d’effectuer des liaisons régulières avec les principales zones d’émission de touristes. Ces nouvelles donnes bouleversent réellement les caractéristiques insulaires ; mais les îles Baléares n’en restent pas moins des îles et continuent de soigner cette image en tant qu’atout commercial indéniable.(1)
En 2013, 9 454 264 touristes ont visité l'île de Majorque (8 479 883 étrangers et 974 381 Espagnols) ; la majorité de ces touristes étrangers étaient originaires d'Allemagne (43,7 %), du Royaume-Uni (24,8 %), des pays nordiques (8,3 %), de France (4,0 %), de Suisse (3,7 %), des Pays-Bas (2,9 %), d'Autriche (1,9 %) et d'Italie (1,7 %). (2)

Pourtant, 
je m'obstine à la photographier déserte, 
l'île. 
Comme
 j'en montrais si peu,
des 13 millions d'habitants 
de la ville.  


(1) Extrait de Rives méditerranéennes.
(2) Wikipedia

dimanche 15 février 2015

30
ans

-I would you tell me if there's a future for me and you.
-A future ?
-Yes.
-How can I answer that ?
-Yes or no.

Flirt, un film de Hal Hartley. 

De nos rencontres fortuites des années 90, nous ne gardons pas les mêmes souvenirs. 
Et de la dernière, je n'en ai même aucun. 
Je t'avais servi un thé, dis-tu, avant de t'annoncer que j'allais me marier, en février. 
Ce n'est pas ce que nous avons célébré mais plutôt l'anniversaire du début de tout, dont nous nous rappelons aussi bien, aussi fort, toi et moi. 

samedi 14 février 2015

Une enquête sentimentale

Vous endormez-vous facilement sur vos lauriers ?
Êtes-vous déjà monté dans un hélicoptère ?
Avez-vous un paillasson ?
Y a-t-il un moment de la journée où vous vous sentez particulièrement efficace ?
Êtes-vous curieux des réponses d'autres personnes aux questions des enquêtes sentimentales ?
Perpétuez-vous un rituel créé par vos parents ?
Parlez-vous 
souvent
rarement
jamais
"entre guillemets"
?
Diriez-vous que votre vie fonctionne par cycles ?
Quelle musique choisissez-vous volontiers pour un dîner ?
Dites-vous 
souvent
rarement
jamais 
"Si on m'avait dit que…"
?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 13 février 2015

Le cabinet des rêves 214

Car dans le nocturne royaume du sommeil se trouvent et la lumière et les ténèbres de l'humanité, son miel et son poison, sa grandeur et sa détresse. Tout ce qui est trouble et néfaste, ou qui le sera dans quelques années ou quelques siècles, apparait d'abord dans les rêves des hommes.
Ismaël Kadaré. Le palais des rêves
Je suis avec P. dans la cuisine. 
Je lui prépare une tarte. 
Puis, je la photographie sous l'angle le plus flatteur possible. 
Je lui dis qu'il va falloir qu'elle parte, maintenant

Rêve du 30 janvier 2015

jeudi 12 février 2015

La vie des pages (17)

Les premiers mots que j'ai appris en espagnol, la maxime de Ortega y Gasset, qui se rapproche de la déclaration d'un samurai :
                                  JE SUIS MOI ET MA CIRCONSTANCE.
J'aimais répéter cette phrase. Je l'avais écrite au stylo sur sa table de lecture et, à côté, les kanjis de la traduction japonaise.
José Luis de Juan. La vida privada de los verbos.
Si on les écoute, les livres nous guident dans les allées autrement qu'en suivant l'ordre alphabétique. 
Le poète commence là où finit l'homme. Le destin du second est de vivre son itinéraire humain. La mission du premier d'inventer ce qui n'existe pas. C'est ainsi que se justifie le métier du poète. Le poète accroit le monde, ajoutant au réel, qui existe déjà par lui-même, un continent irréel. Auteur vient de auctor, celui qui accroit. Les Latins appelaient ainsi le général qui gagnait un nouveau territoire pour la patrie.
José Ortega y Gasset. La déshumanisation de l'art.

mercredi 11 février 2015

MySQL Error : 2005 - Unknown MySQL server host 'db84.1and1.fr'

Nos jeudis ont disparu. 
De Tokyo, de Bruxelles, notre correspondance, à Gaëlle et moi, y fut publique 
Privée, elle n'a jamais cessé, ce qui m'est précieux par-dessus tout.  
et lue. 
Et sans cela, habiterais-je ici, maintenant ?
Même dans la vie qu'on appelle vraie, il y a les incendies, il y a les amnésies. 
Et quand bien même ce journal que je m'obstine à tenir ici-même serait une ardoise magique, je continuerais à en écrire une nouvelle page chaque jour. 

(Exposition Sombras de Christian Boltanski à la Lonja de Palma)

mardi 10 février 2015

Tuesday self portrait

Un homme et une femme parlaient anglais, très lentement, de sujets peu importants. Julio pouvait traduire sans difficulté chacune de leurs phrases. 
-Où sont mes cigarettes ? demandait l'homme. 
-Tes cigarettes sont au-dessus de la table, disait la femme. 
Il ne paraissait pas possible qu'il ne les ai pas localisées lui-même tellement elles étaient visibles et Julio pensa que l'homme était aveugle bien que, assurément non puisqu'il chercha ensuite son journal : 
-Et mon journal ? Où est mon journal ?
-Ton journal est sur la chaise. 
-Ah, merci, tu es très aimable avec moi. 
(…) L'atmosphère était cordiale et les personnages bien élevés. Le dialogue se passait de jour, il y avait du soleil et les choses arrivaient éternellement dans ce climat de bien-être de la première leçon ou first lesson. De fait, quand commença la seconde ou second, l'homme dit à la femme qu'elle portait une très jolie jupe : 
-Ta jupe est très jolie. 
-Merci, tu es très aimable, répondit-elle en vocalisant avec une certaine exagération. -Moi, c'est ta veste qui me plait beaucoup. 
Aussitôt, il commencèrent à passer en revue les habits qu'ils portaient chacun, avec une immense courtoisie. Seule, sa cravate à lui mérita une petite critique de sa part à elle : 
-Ta cravate est bien mais peut-être que ses couleurs sont un peu vives. 
Il lui plaisait de se trouver dans une ambiance si chaleureuse, où le temps paraissait ne pas s'écouler et où les préoccupations des gens se réduisaient à ne pas savoir où ils avaient laissé leur briquet qui, aussitôt, était toujours sur ou sous la table. A la troisième leçon, l'homme alluma une cigarette sans que la femme ou lui-même ne fassent allusion aux effets nocifs du tabac peut-être parce que, dans l'univers de la bande magnétique, le cancer n'existait pas. 
Quand elle fit allusion aux chaussettes et aux pantalons de l'homme, Julio pensa qu'une approche sexuelle allait se produire entre les interlocuteurs mais cela n'arriva cependant pas, puisqu'ils ne manifestaient pas non plus ce genre de nécessités. Quand, dans les films que Julio avait l'habitude de regarder, l'action se déroulait sur un ton aussi cordial, quelque chose de terrible se passait dans l'arrière-boutique mais ici non, ici la vie était aimable pour de vrai. Tous ces gens qui, au lieu d'accomplir les années, accomplissaient des leçons, vivaient dans une espèce de paradis où il n'était pas nécessaire, par exemple, de gagner sa vie : personne n'allait ou revenait du travail, ni même y faisait allusion.
Traduction libre d'un extrait* du roman de Juan José Millás : El orden alfabético.
Un hombre y una mujer hablaban en inglés, muy despacio, de asuntos intrascendentes. Julio podía traducir sin dificultad cada una de sus frases. 
-¿ Dónde están mis cigarrillos ? preguntaba el hombre. 
-Tus cigarrillos están encima de la mesa -decía la mujer. 
Parecía mentira que no los hubiera localizado por sí mismo encontrándose tan a la vista, por lo que Julio pensó que el hombre era ciego, aunque seguramente no, porque a continuación preguntó por su periódico : 
-¿ Y mi periódico ? -¿ Dónde está mi periódico ?
-Tu periódico está sobre la silla. 
-Ah, gracias, eres muy cortés conmigo. 
(…) La atmósfera era cordial y los personajes educados. La cinta era de día, hacía sol, y las cosas acontecían eternamente en este clima de bienestar de la lección primera o first lesson. De hecho, cuando comenzó la segunda o second, el hombre dijo a la mujer que llevaba una falda muy bonita : 
-Tu falda es muy bonita. 
-Gracias, eres muy amable -respondió ella vocalizando con cierta exageración. -A mí me gusta mucho tu chaqueta. 
De súbito, comenzaron a repasar las prendas que llevaba cada uno con enorme cortesía. Sólo la corbata de él mereció una pequeña crítica por parte de ella : 
-Tu corbata está bien, pero quizá tiene unos colores algo fuertes. 
Daba gusto encontrarse en un ambiante tan cálido, donde el tiempo parecía no transcurrir y las preocupaciones de la gente se reducían a no saber dónde había dejado el mechero, que luego siempre estaba encima o debajo de la mesa. En la tercera lección el hombre encendió un cigarrillo sin que la mujer ni él mismo hicieran alusión a los efectos nocivos del tabaco por lo que quizá en el universo de la cinta magnetofónica el cáncer no existía. 
Entonces, ella se refirió a las calcetines y a los pantalones del hombre, y Julio pensó que iba a producirse entre los interlocutores una aproximación sexual que sin embargo no llegó a darse, pues tampoco manifestaban necesidades de ese tipo. Cuando en las películas que Julio tenia el habito de consumir la acción discurría en un tono tan cordial, algo terrible estaba sucediendo en la trastienda, pero aquí no, aquí la vida era amable de verdad. Toda aquella gente que en lugar de cumpli años cumplía lecciones vivía en una especie de paraíso donde no era necesario, por ejemplo, ganarse el sueldo : nadie iba o venía del trabajo, ni siquiera se referían a él. 

lundi 9 février 2015

La casa del pintor (fragments d'insularité)

Dix ans à pratiquer la course d'orientation n'y ont rien changé : même si j'aime les regarder, je ne retiens rien des cartes. Je hoche la tête d'un air entendu dans les conversations mais je persiste à vivre sur des territoires aux contours aléatoires dont je ne connais que quelques noms.  
De l'île, je connais un versant
et
 la moitié de l'autre

Il reste un blanc, inexploré, où m'a-t-on dit, il n'y a rien. Mais d'où vient Miquel Barceló, là où il a son atelier. 

L'homme souriant qui entre maintenant dans le café continue d'aller dans la vie avec des allures d'apprenti. Miquel Barceló, des années après. Avec les cheveux blonds et hérissés, avec l'envie de bavarder. Je ne connais personne de plus curieux, de plus attentif au monde. Il prend des nouvelles des enfants. Chose peu commune dans ces mondes culturels où il semble que nous soyons tous sortis d'un chou et que nous n'ayons ni enfants, ni parents. Il raconte les siens. Et quand il parle des siens, il ne s'agit pas seulement de ses enfants mais aussi de ceux du village du Mali où il passe une partie de l'année. Il nous montre où est sa maison sur une photo. La montagne escarpée, la trace laissée dans la terre par le manque d'eau. L'enfant d'un village majorquin a cherché un autre village dans un lieu lointain, dont les habitants, maintenant, désignent avec orgueil sa maison en haut de la montagne comme celle du peintre. Celui qui est de la campagne le sera toujours. 
Extrait traduit librement du recueil d'articles de Elvira Lindo publiés dans El País : Don de gentes.*
*El hombre sonriente que entra ahora en el café sigue yendo por la vida con pintas de aprendiz. Miquel Barceló, años después. Con los pelos rubiales y erizados, con ganas de charlar. No he conocido persona más curiosa, más atenta al mundo. Pregunta por los hijos, cosa nada común en estos mundos culturales en los que parece que todos hemos salido de un repollo y no tenemos ni hijos, ni padres. Cuenta sobre los suyos. Cuando habla de los suyos no se refiere sólo a sus hijos, también a ese pueblo de la aldea de Malí donde pasa parte del año. Nos señala dónde está su casa en una foto. La montaña escarpada, la huella que provoca en la tierra la falta de agua. El chico de pueblo mallorquín buscó otro pueblo en un lugar remoto, y hoy los aldeanos señalan con orgullo su casa en lo alto de la montaña como la casa del pintor. El que es de campo lo será siempre. 

dimanche 8 février 2015

L'attraction des pôles

La température ambiante de la cuisine si peu élevée, laisser ouvert le frigo serait un moyen de la chauffer.
Si j'endure si peu le mode de vie esquimau c'est que je suis en manque de ta peau. 

samedi 7 février 2015

Une enquête sentimentale

Avez-vous un avocat ?
Aimez-vous les films d'horreur ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement
jamais
de recevoir des visites à l'improviste ?
A quelqu'un qui ne vous a jamais vu et à qui vous donnez rendez-vous, 
quelle description de vous faites-vous pour qu'il vous reconnaisse 
?
Avez-vous déjà écrit de la poésie ?
Votre porte d'entrée est-elle toujours fermée à clef ?
Avez-vous mangé du poisson pané récemment ?
Si vous ne l'êtes pas, pourriez-vous être chef d'état ?
Vous contredisez-vous
souvent
rarement
jamais 
?
Avez-vous l'oreille musicale ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 6 février 2015

Le cabinet des rêves 213

Je mange chez S. 
Nous sommes trois : elle à ma droite, l'une de ses voisines en face de moi. 
Nous sommes installées sur une petite table carrée et nous mangeons des pâtes au gruyère parmi lesquelles il y a quelques moules. 
Je ne sais pas de quoi je parle mais, systématiquement, dès que je commence une phrase, la voisine se met à parler en même temps que moi. 
Je regarde vers S. mais elle n'a l'air de s'apercevoir de rien. 
Au bout d'un moment, je n'y tiens plus, je me penche par-dessus la table et je crie à quelques centimètres du visage de la voisine : Désormais, je ne laisserai plus personne parler en même temps que moi, c'est ma bonne résolution pour 2015 !!!
La voisine semble assez ébranlée, elle a les larmes aux yeux mais fait l'effort de ne pas les laisser couler. 
S. aussi a l'air surprise et un peu choquée. 
Je me rassois et je continue de parler en souriant, d'un ton léger, pour montrer que ce n'est pas si important. 
Aussitôt, la voisine recommence à parler en même temps que moi et je me dis que mon accès de colère a dû lui sembler incompréhensible, injustifié puisqu'elle ne s'aperçoit pas de ce qu'elle fait. 

Rêve du 12 janvier 2015

jeudi 5 février 2015

La vie des pages (16)

Qu'est-ce qui est grand ou petit, important ou insignifiant ? Les psychiatres déclarent un homme malade mental s'il réagit de manière sensible et violente face à de petites perturbations, incitations minimes, offenses triviales à sa dignité, alors que, peut-être, le même homme supporte sereinement des souffrances et des bouleversements que la majorité juge très graves. Et est considéré sain et normal un homme à qui on peut marcher sur les pieds pendant longtemps sans qu'il réagisse, un homme qui supporte sans plaintes ni protestations la musique la plus misérable, l'architecture la plus pauvre, l'air le plus vicié mais qui frappe la table et jure par tous les diables quand il perd aux cartes. J'ai vu très souvent dans des lieux publics, des personnes de bonne renommée, considérées comme normales et dignes, jurer de manière si fanatique, si grossière, si cochonne à cause d'une partie perdue -et encore plus quand ils considéraient juste de faire porter à un ami la responsabilité de cette perte- que j'ai ressenti la nécessité de demander au médecin le plus proche l'internement de ces malheureux. C'est qu'il y a une échelle des valeurs, et elles sont toutes applicables mais considérer l'une d'elles comme sacrée, quand bien même ce serait celle de la science ou de la morale publique du moment, on n'y arrivera jamais. 
Hermann Hesse. 
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Deux heures après l'ouverture, j'aurais volontiers et spontanément tendu mon bras, réclamé un internement permanent, une intraveineuse de calmant. 

mercredi 4 février 2015

Les vagues

L'humidité fait briller le sol de l'atelier. 
Je ne serais pas surprise, un jour, de le découvrir soumis aux marées, 
d'y trouver quelques surfeurs égarés. 

mardi 3 février 2015

Tuesday self portrait

Sous ses paupières, veillent les films de Godard, qui sont ses amis d'adolescence, ses musées, ses galeries d'art, ses bibliothèques, son histoire du cinéma. 

Comment ça s'appelle… quand il y a les innocents dans un coin, les coupables de l'autre… quand tout le monde a tout gâché, que tout est perdu, mais que le jour se lève et que l'air quand même se respire ? Cela s'appelle l'aurore, mademoiselle. 

Chantal Pelletier. Et elles croyaient en Jean-Luc Godard

lundi 2 février 2015

"Dans son roman Plan d'évasion, qui se passe dans une autre des îles fantastiques de Bioy Casares, il a imaginé une prison dont les murs peints créent l'illusion de la liberté pour les prisonniers"* (fragments d'insularité)

Privée de terrasse, de vue sur la mer 
par la pluie tombée sans interruption
j'avais été prisonnière 
au sein même de ma tentative d'évasion.

Comme, la veille, elle m'avait souhaité Bienvenue chez vous ! après m'avoir indiqué le numéro de ma chambre, la réceptionniste me souhaita Bon voyage ! après que je lui en eus rendu la clef.
Peut-être me vit-elle m'éloigner à pied, contournant les flaques,  tandis que je rentrais à la maison, au dos le tout petit sac de mon anecdotique disparition. 

*Alberto Manguel. Journal d'un lecteur. 

dimanche 1 février 2015

Garder la chambre

Je parle des hommes et des femmes en général, et je dis que notre espèce ne saurait être heureuse qu'à une condition, c'est de réaliser nos aspirations amoureuses, de rencontrer chacun le garçon qui est notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature première. Si c'est là le bonheur suprême, il s'ensuit que ce qui s'en rapproche le plus dans le monde actuel est le plus grand bonheur que l'on puisse atteindre, je veux dire rencontrer un ami selon son coeur. 
Platon. Le banquet
Et si nous n'avions pas été adolescents ensemble, aurions-nous cette si grande aptitude à nous échapper du monde, à oublier le (mauvais) temps qu'il fait en passant la moitié d'une journée au lit, à remettre tout au lendemain et écouter parler de philosophie ?