lundi 30 novembre 2015

Les îles ovines (fragments d'insularité)

Après deux jours sur l'île, passés avec des moutons,
Nous avons vu un film qui se passe sur une île, avec des moutons. 

dimanche 29 novembre 2015

Une fin d'après-midi en ville

C'est le lendemain du jour où j'avais entendu Emmanuel Guibert dire que les dessinateurs se devaient d'être flexibles : aussi aptes à saisir tous les traits d'un passager prêt à descendre à l'arrêt suivant dans le métro qu'à dessiner paisiblement une statue immobile depuis un siècle, que tu réussis à portraiturer le client de la table du coin opposé pendant la poignée de minutes que son ami volubile qui, jusque là, avait fait écran entre lui et toi, passa aux toilettes. 
Puis, 
nous ne fîmes plus que déplorer  la mort du chat qui nous avait privés d'un modèle et d'une belle inspiration.

samedi 28 novembre 2015

"Esta es mi vida. Si no les gusta, tengo otras"
(C'est ma vie. Si elle ne vous plait pas, j'en ai d'autres)

Si vous étiez moi, vous sauriez lire en espagnol, vous pourriez lire Stradivarius Rex de Román Piña et savoir pourquoi Marcos Badosa, le narrateur, un laveur de voitures qui a quitté son travail et sa famille pour devenir écrivain et obtenir le prix Nobel, se réveille chaque jour depuis dix ans dans la peau d'un autre. 
Ce qui est bien quand on se réveille chaque jour dans une peau différente, c'est qu'on apprend beaucoup. Il y a des mauvais jours, c'est sûr, comme dans n'importe quel travail. Parce que ces dix ans, j'ai essayé de les prendre comme un boulot. J'ai voulu faire les choses bien. Bien que, certains jours, j'aie un peu exagéré. J'ai été de tout. Anonyme et célèbre. Important. Anodin. Fréquemment important et anodin. Laid et beau. Ni l'un ni l'autre. Grand et petit. Chétif et musclé. Grosse tête et  court sur pattes. Un monsieur tout le monde. Influent. Un laissé pour compte. Un laissé pour l'autre compte. Un pauvre, un millionnaire. Mille choses. (1)
Si vous aviez été moi hier, vous auriez achevé la lecture de ce livre en souriant et, en relevant la tête, vous vous seriez souvenu que vous étiez à la bibliothèque. 
Un coup d'oeil circulaire vous aurait renseigné sur la fréquentation de la salle à ce moment-là et vous auriez pensé à ce que ça pouvait être de s'éveiller le lendemain à la place d'une des personnes qui vous entourait. 
Vous auriez vu une bibliothécaire installant les cadres de la nouvelle exposition (2), le peintre ayant animé les ateliers où des enfants avaient réalisé les peintures exposées (3), une mère penchée sur ses deux enfants, regardant l'écran sur lequel ils jouaient (4), une femme installée sur un autre ordinateur (5), un grand adolescent devant le dernier (6).
Vous auriez pensé aussi que ce n'était peut-être pas vous, assis là, vous auriez imaginé que c'était Marcos Badosa qui était en train de vivre à votre place. 
Pourtant, cette journée aussi banale, longue, ennuyeuse ?, ordinaire en tout cas, qu'elle ait paru à tout autre que vous, vous ne l'auriez  cédée à personne si vous aviez été moi hier.

(1) 
Lo bueno de despertarte cada día en un pellejo diferente es que aprendes mucho. Hay días malos, claro, como en cualquier trabajo. Porque estos diez años he intentado tomármelos como un trabajo. He querido hacer las cosas bien. Aunque a días se me ha ido un poco la mano. He sido de todo. Anónimo y famoso. Importante. Anodino. Con frecuencia importante y anodino. Feo y guapo. Ni fu ni fa. Alto y bajo. Enclenque y musculoso. Cabezón y paticorto. Un Don Nadie. Influyente. Un cero a la izquierda. Un cero a la derecha. Pobre de solemnidad, millonario. Mil cosas. Román Piña. Stradivarius Rex
(2) 
Puedo ayudarte ? ai-je failli lui proposer en la voyant grimper sur l'escabeau pendant qu'elle avait un cadre en main. Mais, voyant le peintre marcher dans sa direction, j'ai baissé les yeux sur mon carnet, ne les relevant qu'au bruit du verre cassé. 

(3) 
Quel pouvait en être le thème ?, me suis-je demandé en voyant les portraits. La folie ? La double personnalité ? Notre double animal ?

(4) 
C'est ça d'habiter dans un village, tu sais ! A Palma, ça ne se passerait pas comme ça mais ici, personne ne se gêne pour te demander pourquoi tu portes les cheveux courts ou pour te dire que ça ne se fait pas. 
Depuis qu'une employée de la mairie m'a parlé des réactions qu'attire sa coiffure identique à la mienne, je pense souvent, en voyant les gens, à ce que c'est que d'appartenir à un lieu et un lieu aussi petit que celui-ci. 

(5) 
Blonde, les cheveux au carré, ni très jeune, ni aussi âgée que moi mais peut-être aussi frileuse : n'ayant pas quitté sa parka de tout le temps qu'elle est restée là. Ses doigts aux ongles vernis en rouge tapant plus rapidement sur le clavier de l'ordinateur que sur celui de son téléphone. 

(6) 
Ayant presque atteint le temps autorisé à un poste informatique, il s'est empressé de fermer toutes les fenêtres de divertissements qu'il avait ouvertes et de (faire mine de) se concentrer sur des colonnes d'un texte dense. 

vendredi 27 novembre 2015

Le cabinet des rêves 255

Mon père est chef d'orchestre et il dirige un orchestre symphonique en concert. 
S'agit-il d'un concerto pour piano ?
Dans tous les cas, il y a un piano, mal accordé. 
Je me tiens près de lui, devant l'orchestre et j'écris (quoi ?), je prends des photos (de quoi ?) tout en pensant que ça peut être gênant pour les spectateurs mais mon père m'encourage à rester là. 

Rêve du 11 janvier 2015

jeudi 26 novembre 2015

LA MAUVAISE FOI

Un garçon à vingt pas de moi m'a regardé avec une lueur de crainte dans les yeux. J'ai pensé qu'il remarquait ma colère. Quand nous allions nous croiser, il s'est arrêté et, dans un espagnol vacillant, il m'a demandé si j'avais du feu. Oh, son adorable peur ne venait pas de mon visage mais de son incertitude. C'était peut-être la première fois qu'il osait aborder un étranger pour lâcher sa première phrase dans notre langue. J'ai fouillé mes poches et sorti mon briquet. Je le lui ai offert comme récompense pour ses progrès dans une langue étrangère.
Traduction libre d'un extrait* de Tanta gente sola de Juan Bonilla.


Plutôt que d'apprendre la conjugaison des verbes irréguliers
j'ouvre un essai, j'ouvre un roman
en me disant
que lire en espagnol, c'est aussi étudier.
*
Un muchacho a veinte pasos de mí me miró con un brillo de temor en los ojos. Pensé que se me notaba la cólera. Cuando íbamos a cruzarnos se detuvo y con vacilante español me preguntó si tenía fuego. Oh, su adorable temor no procedía de mi rostro, sino de su inseguridad. Tal vez era la primera vez que se atrevía a abordar a un extraño para soltar su primera frase en nuestra lengua. Me registré los bolsillos y saqué mi mechero. Se lo regalé como premio a sus progresos en una lengua extranjera.

mercredi 25 novembre 2015

あん

(1)

Elles ne furent pourtant pas exemptes de journées rudes mais je pense à elles, malgré tout, comme à mes années douces. 
Tokyo, comme aucune autre ville, m'initia aux saisons et à la liberté. 
A la douceur aussi car : de même que la vendeuse de taiyakis de Sugamo (2), ils furent nombreux à me reconnaître, à sourire quand ils me voyaient, à prendre soin de moi, à me faire la vie belle sans que je puisse jamais assez les en remercier. 

Alors, ce soir-là, sortant du cinéma où j'avais vu あん, le dernier film de Naomi Kawase, dont les personnages sont autant les cerisiers, les haricots rouges et les dorayakis (3) que les humains, j'ai regretté -un peu- que, dehors, ce ne soit pas la nuit à Ôtsuka plutôt que rue Blanquerna. 

(1)
Les taiyakis (たい焼き) sont des pâtisseries en forme de poisson (たい : tai signifie dorade) composées de pâte à gaufre fourrée d'une purée sucrée de haricots rouges (餡子 : anko)

(2)



















(3)
Les dorayakis (どら焼き) sont, eux aussi, des pâtisseries fourrées à l'anko mais à la pâte un peu différente et de forme ronde (どら : dora signifie gong)

mardi 24 novembre 2015

Tuesday self portrait

Des scientifiques de l'Université de Southern California, Los Angeles, ont implanté une caméra dans les yeux abîmés de quelques aveugles qui se sont prêtés à l'expérience et ils leur ont rendu la vue. La résolution de leur nouveau regard est de 16 pixels, suffisante pour distinguer une voiture, un réverbère ou une poubelle. Au début, ils ont pensé qu'il aurait fallu 1000 pixels. Aussi, quand les aveugles ont dit qu'ils voyaient relativement bien avec seulement 16, leur surprise a été très grande. Les scientifiques n'avaient pas pris en compte une donnée : nous avons tous dans l'oeil un point nommé "point aveugle", un point à travers lequel nous ne voyons pas et que le cerveau remplit inconsciemment avec ce qu'on suppose qu'il devrait y avoir là. Nous inventons et avons l'habitude de deviner juste. C'est ce qui nous permet de voir la totalité d'une maison bien que les branches des arbres nous la cachent partiellement ou de voir la silhouette entière d'une personne au milieu de la foule bien que cette foule nous l'occulte par moment. C'est pour cela que 16 pixels suffisent aux aveugles : pour le reste, ils utilisent leur imagination. Dans nos yeux, il y a un point qui invente tout, un point qui démontre que la métaphore est constitutive du cerveau lui-même, le point qui génère les choses poétiques. Ce "point aveugle" devrait s'appeler "point poétique". De la même manière, dans ce grand oeil que seraient toutes et chacune de nos vies, il y a des points obscurs, des points que nous ne voyons pas et que nous reconstruisons imaginairement avec une machine que nous avons l'habitude d'appeler "mémoire". 

Traduction libre d'un extrait* de Nocilla Experience de Agustín Fernández Mallo. 
*
Científicos de la Universidad de Southern California, Los Ángeles, han implantado una cámara de vídeo en los ojos dañados de varios ciegos que se prestaron al experimento,  les han devuelto la vista. La resolución de su nueva mirada es de 16 píxeles, suficiente para distinguir un coche, una farola o una papelera. En un principio pensaron que harían falta 1.000 píxeles, así que cuando los ciegos dijeron que veían relativamente bien con sólo 16 la sorpresa fue mayúscula. Los científicos no habían tenido en cuenta un dato : todos tenemos un punto en el ojo denominado "punto ciego", un punto a través del cual no vemos y que el cerebro inconscientemente rellena con lo que se supondría que debería  haber ahí; lo inventamos, y solemos acertar. Es lo que nos permite ver la totalidad de una casa aunque nos la tapen parcialmente las ramas de unos árboles, o ver la carrera completa de una persona entre una muchedumbre aunque esa misma muchedumbre nos la oculte por momentos. Por eso a los ciegos les bastó con 16 píxeles : el resto de píxeles los pone la imaginación. En nuestros ojos hay un punto que lo inventa todo, un punto que demuestra que la metáfora es constitutiva al proprio cerebro, el punto donde se generan las cosas de orden poético. A ese "punto ciego" debería llamársele "punto poético". De igual manera, en ese gran ojo que vendrían a ser todas y cada una de nuestras vidas hay puntos oscuros, puntos que no vemos, y que reconstruimos imaginariamente con un artefacto que damos en llamar "memoria". 

lundi 23 novembre 2015

Ce que je sais d'elle (fragments d'insularité)

L'été : à peine un quart mais le reste de l'année : elle ouvre grand ses volets dès le matin. 
Il lui arrive de fumer. Aussi, elle a posé un cendrier sur la petite table de son balcon. 
Il lui arrive de ne pas être seule. Aussi, il y a deux chaises autour de cette table. 
Le soir, elle n'allume jamais le plafonnier : des petites lumières dans son salon et, un peu avant Noël : une guirlande lumineuse. 
Il lui arrive de téléphoner, appuyée à l'encadrement de la porte fenêtre. 
Elle est assez jeune, elle est assez jolie. 
Si je sais cela d'elle, c'est que son balcon donne sur le ciel. 
Mais aussi sur l'autoroute. 

dimanche 22 novembre 2015

...

que j'ai si peu de traces des jours qui ont précédé mon mariage et, donc, aucune de celui où je t'avais croisé par hasard dans la rue comme beaucoup d'autres fois mais où, contrairement à beaucoup d'autres fois, tu avais eu le temps de venir chez moi prendre un thé et où je te l'avais dit, que j'allais me marier. Il y a ce jour, il y en a d'autres, dont tu te souviens tandis que je n'en ai gardé aucune trace : ni dans ma mémoire, ni dans mon journal, ces faits que tu me rappelles sans que je m'en rappelle et qui pourraient très bien être des fictions dont tu fais de nous les héros.

samedi 21 novembre 2015

Les jours beaux (à suivre…)

Durant ces jours-là, au milieu de la débandade, dans l'une des chambres démantelées, j'ai commencé à écrire un Journal. Qu'est-ce que je cherchais ? Nier la réalité, refuser ce qui arrivait. La littérature est une forme privée de l'utopie. 
(…) J'ai commencé ainsi. Et encore aujourd'hui, je continue à écrire ce Journal. Beaucoup de choses ont changé depuis, mais je reste fidèle à cette manie. Evidemment, il n'y a rien de plus ridicule que la prétention d'enregistrer sa propre vie. 
(…) Parfois, quand je le relis, j'ai du mal à reconnaître ce que j'ai vécu. J'ai complètement oublié certains des épisodes que j'y ai racontés. Ils existent dans mon Journal mais pas dans mes souvenirs. Et, en même temps, certains faits qui restent aussi nets qu'une photo dans ma mémoire en sont absents comme si je ne les avais jamais vécus. 
 Traduction libre d'un extrait* de Prisión perpetua de Ricardo Piglia. 



Souvent, j'en emplis les pages de ce que, dans le fond, je voudrais oublier, je voudrais ne pas avoir vécu, je voudrais savoir occulter, sans doute pour être sûre d'avoir une preuve de mes minuscules victoires, de mes petits faits d'arme, de mes insignes motifs de gloire et c'est parce que, quand les jours sont heureux, j'écris moins dans mon journal que...

*  En esos días, en medio de la desbandada, en una de las habitaciones desmanteladas empecé a escribir un Diario. ¿Qué buscaba? Negar la realidad, rechazar lo que venía. La literatura es una forma privada de la utopía.
(…) Así empecé. Y todavía hoy sigo escribiendo ese Diario. Muchas cosas cambiaron desde entonces, pero me mantuve fiel a esa manía. Por supuesto, no hay nada más ridículo que la pretensión de registrar la propia vida.
(…) A veces, cuando lo releo, me cuesta reconocer lo que he vivido. Hay episodios narrados ahí que he  olvidado por completo. Existen en el Diario pero no en mis recuerdos. Y a la vez ciertos hechos que permanecen en mi memoria con la nitidez de una fotografía están ausentes como si nunca los hubiera vivido.
Ricardo Piglia. Prisión perpetua.

vendredi 20 novembre 2015

Le cabinet des rêves 254

Je dois faire mon inscription à la fac et j'hésite : je m'inscrirais bien en philo mais j'ai peur de ne pas avoir le niveau suffisant. 
Je demande à H. ce qu'elle a choisi et le fait qu'elle aille, justement, en philo ne m'aide pas à me décider : je pense qu'elle est plus douée que moi. 
Néanmoins, comme je sais que ce sont les derniers jours pour m'inscrire, j'y vais. 
J'achète un ticket de bus à 10 francs et que je paye avec des petits bonbons colorés.
Je me demande si j'attends à l'arrêt dans la bonne direction. Je veux le vérifier sur mon téléphone (mon appareil photo ?) mais je ne parviens pas à trouver l'information. 

Je suis au guichet d'inscription et je vois qu'il existe une formule d'abonnement "Sartre-Beauvoir" qui permet d'avoir une carte de "club" et de participer à des activités. 
Comme je trouve ça chic, je fais la demande pour en obtenir une. 

Rêve du 2 novembre 2015

jeudi 19 novembre 2015

Le devoir de lire

"Dès demain, le gouvernement pourrait décréter -on a vu des choses plus étranges- l'interdiction absolue que quiconque écrive une page supplémentaire. Ce décret ne viendrait pas à bout de la littérature. Bien que nous ne produirions pas un seul récit, un seul roman, un seul paragraphe de plus, nous avons des réserves suffisantes de fiction jusqu'à la fin du monde. Pensons maintenant à un autre décret : celui qui interdirait non pas l'écriture mais la lecture de fictions. Ce serait la fin de la littérature. Même ces écrivains qui disent n'écrire que pour eux-mêmes se lasseraient et la littérature cesserait d'exister."

Je fais ici une traduction libre d'un extrait de l'article Pedro y el lobo, acerca de la responsabilidad de ser lector (Pierre et le loup, à propos de la responsabilité d'être lecteur) de Juan Bonilla publié dans le n°117 (mai-juin) de la revue Clarín

mercredi 18 novembre 2015

LA RéVéLATION DU SANDWICH

Un jour, j'ai compris leur manière de faire : manger léger au réveil -voire rien- pour filer en terrasse, pour emplir les salles des cafés, des bars. Ne cherchez pas une table libre entre 10 et 11 heures, quand les Espagnols sont en train de déjeuner. Le café se boit con leche, le pain est garni de jambon, de fromage, de tortilla. 

Un jour, très peu de temps après mon arrivée ici, j'ai découvert ce mot : bocadillo -que j'ai tout de suite préféré à sandwich- ce mot qui emplit parfaitement et étymologiquement la bouche. (1)

Un jour, les podcasts ont été inventés et j'ai cessé d'allumer la radio. Dès lors, j'ai cessé également de connaître l'heure de diffusion des programmes. 
Aussi, j'ai cru -assez longtemps- que l'émission de Radio 3 sur l'actualité de la bande dessinée s'appelait La hora del bocadillo parce qu'elle passait à l'heure où on prend une collation, le matin. 

Un jour, Qu'est-ce que c'est ?  a demandé Alberto en nous montrant une planche de BD. Un tebeo, j'ai répondu. ¿Qué? ¿Un te veo(2)  a dit Pri. Oublie ! a signifié d'un geste Alberto. Un cómic,  ça s'appelle un cómic, il a préféré nous apprendre. Et ça, qu'est-ce que c'est ? il a demandé en montrant les bulles de la BD. Personne ne savait : Ce sont des bocadillos. 

(1)
Bocadillo est un diminutif de bocado qui signifie : une bouchée. 
Paradoxalement, les bocadillos sont déclinés en plusieurs tailles. Ainsi, on peut lire, sur les cartes des cafés : bocadillos grandes.

(2) 
Tebeo signifie BD en espagnol. Te veo se prononce de la même façon mais signifie Je te vois. 

mardi 17 novembre 2015

Tuesday self portrait

"De tous les hommes, l'artiste est bien sûr le plus profondément distrait, un champion de la distraction, peut-on dire." Il s'était remis en marche, très penché en avant. "Pour cette raison qu'il est l'homme le plus distrait (distrait au sens où je l'entends), l'artiste est aussi l'homme le plus distrayant. Avec lui, aucun risque d'ennui, aucune menace d'atteindre la vérité du monde, ni la vérité de la description, ni la vérité de la représentation, ni aucune vérité d'aucune sorte, toujours source du plus mortel ennui. Seulement l'art, qui est sans vérité, d'où son pouvoir de distraction. Et de tous les artistes, permettez-moi de le dire -il jette un regard à l'appareil qui pend à mon épaule- de tous les artistes c'est le photographe qui est le plus distrait, me semble-t-il, et cela une fois de plus contre toutes les apparences et impressions générales. Je serais curieux de savoir ce que vous pensez de cela." Je restais silencieux, dans l'attente de ce qu'il allait dire encore. Et, en effet : "Tout comme moi dans mes télescopes, le photographe regarde à travers ses objectifs et passe son temps l'oeil collé à un viseur. Il cadre et concentre son attention sur une portion d'espace choisi : un visage, un corps, un paysage, tout comme moi NGC 205, ou la nébuleuse Tête de Cheval, ou la galaxie M 82. Il cadre et se croit très attentif au monde, extrêmement attentif au monde, alors que le cadrage est le comble de l'inattention, le comble de la distraction. Car le cadre est tout le contraire d'une cage dans laquelle on tiendrait son sujet prisonnier : c'est un trou qu'on perce dans un mur pour s'évader, pour se distraire. La distraction est ainsi : irrésistible attraction d'une petite ouverture aux bords bien délimités, bien dessinés. Seul le mur sans ouverture retient notre attention, le mur infini du monde dans sa fastidieuse continuité. La distraction et le cadrage sont notre seule issue vers le hasard. Vous arrive-t-il de prendre une photo autrement que par distraction ? Ou de ne pas photographier autre chose que ce que vous avez cadré ?" 
Alain Fleischer. L'observatoire in Pris au mot

lundi 16 novembre 2015

Poésie du manteau / Poesía del abrigo (fragments d'insularité)

L'évocation de l'hiver divisa la cour en deux : ceux qui savaient et les autres : ceux qui ne connaissaient de l'île que les manches courtes, les pieds nus sur le sable.
L'évocation de l'hiver nous fit frissonner, nous qui savions, alors qu'il ne faisait pas froid, ce jour-là.
Je ne porte pas encore d'écharpe, encore moins de manteau. 
Mais j'ai souvent avec moi La luz y el frío (La lumière et le froid) que Joan Payeras m'offrit un soir de chance.
Je fais de sa poésie mon talisman contre le mois de janvier. 

Evocar el invierno dividió el patio en dos : los que sabían y los otros : los que de la isla sólo conocían las mangas cortas, los pies desnudos sobre la arena.
Evocar el invierno nos hizo tiritar, nosotros que sabíamos, mientras que no hacía frío aquel día.
Todavía no llevo bufanda, aún menos abrigo.
Pero a menudo me llevo La luz y el frío. Me lo regaló Joan Payeras, una noche de suerte.
Su poesía es mi talismán contra el enero.
Un hiver à Majorque 

Sentarse al sol de invierno. Abrocharse el abrigo, anudarse la bufanda. Contemplar el esplandor de la mañana como si todo acabara de nacer, como si el árbol, las sillas de la terraza, el césped y el horizonte estuvieran ahí por primera vez, en esta perfecta claridad, con el fulgor inasible que tiene lo que aparece y, casi al instant, se apaga. 
Joan Payeras. La luz y el frío.

(c'est moi qui, ici, en fais une traduction)
Un hiver à Majorque  
S'asseoir au soleil d'hiver. Attacher son manteau, nouer son écharpe. Contempler la splendeur du matin comme si tout venait de naître, comme si l'arbre, les chaises de la terrasse, la pelouse et l'horizon étaient là pour la première fois, dans cette clarté parfaite, avec l'éclat insaisissable de ce qui apparait et, presque aussitôt, s'éteint.

dimanche 15 novembre 2015

Loin


Nous avons cela en commun
toi, moi
de vivre 
loin des caméras, des appareils photo, des micros
de vivre 
loin de tous les médias. 
Nous avons cela en commun
toi, moi
de nous tenir à l'écart du monde qui sans 
toi, qui sans
moi
continue à tourner
continue à vivre
continue à mourir, aussi. 

samedi 14 novembre 2015

2 minutes de soleil en moins

Ce fut à la faveur d'un passage nuageux
-plus par convention que par conviction-
que je procédai à mon propre transfuge au sein de mon armoire.


vendredi 13 novembre 2015

Le cabinet des rêves 253

Les récits de la prison ressemblent au récit des rêves que les gens ont l'habitude de faire au réveil. Le récit des rêves n'intéresse que celui qui les fait.
Ricardo Piglia. Prisión perpetua.
Je suis dans un vestiaire où se trouvent des portants emplis de vêtements chics. 
Un homme un peu vieux s'y déshabille. 
Peu avant, un couple de ses amis est aussi passé par le vestiaire. 
Ils sont tous d'une catégorie sociale aisée. 
Il a rendez-vous avec une prostituée qui, en fait, est une femme nue, posant sur un podium, qu'il a le droit de regarder. 
Il me parle des vertus du silence. 
Il me dit qu'il a voulu en convaincre sa femme qui semblait avoir compris mais ne s'est, pourtant, pas tue longtemps. 
J'hésite à lui faire remarquer que, pour quelqu'un qui prône le silence, il parle beaucoup. 

Rêve du 11 janvier 2014

jeudi 12 novembre 2015

sueños

En espagnol, rêve et sommeil portent le même nom.
Le contexte les distingue, dit-on. 
Quant au cauchemar, c'est un nom féminin (1)
(nom commun).
Une même image, par exemple un bateau (2)
peut être rêve ou cauchemar : les deux. 
Là, c'est le dormeur qui fait le distinguo. 



(1)
Una pesadilla

(2)

mercredi 11 novembre 2015

L'identification (10 : un réveil hyperréaliste)

Ma mère, quand nous allions au musée, me disait que la peinture paraissait avoir évolué à rebours; que si un extraterrestre entrait dans un musée, il supposerait que les tableaux abstraits étaient antérieurs, de quelques siècles ou milliers d'années de la Renaissance. A moins que l'extraterrestre ressemble à un triangle jaune collé à une surface plane bleue.*

*Saliendo de la estación de Atocha est un roman américain de Ben Lerner que je lis dans sa version espagnole grâce à la traduction de Cruz Rodríguez Juiz. Il existe en français, traduit cette fois par Jakuta Alikavazovic et publié aux éditions de l'olivier.




Il m'avait dit Tiens, mets-toi là ! et il m'avait fait pivoter jusqu'à ce que je sois dans la bonne direction, la direction de quoi ? que je puisse voir, voir quoi ? car il m'avait dit aussi Regarde ! 
Il était encore tôt et la nuit avait été, à peu de choses près : blanche


et nous tâchions de nous éveiller en même temps que la ville. 
Il m'avait dit Regarde ! alors je regardais : l'avenue, large et pas encore si fréquentée mais dont on devinait que, quelques heures après, elle ne serait plus visible, à travers le flot de voitures. 
C'est la Gran Via ! C'est là exactement ! 
Plus tard dans la journée, dans les pages d'une librairie, il me montra où nous nous étions trouvés mais ce n'était pas sur un plan, pas dans un guide de la ville. 
Je n'ai gardé aucun souvenir de l'aéroport, dans le bus je somnolais, aussi je peux dire que la toute première impression que je garde de Madrid est d'avoir été dans un tableau.
La Gran Via est un tableau de Antonio López. 
Il parle de son travail dans un film à voir ICI

mardi 10 novembre 2015

Tuesday self portrait

Travaillez excessivement à un travail dur et long. Tout amuse quand on y met de la persévérance : l'homme qui apprendrait par coeur un dictionnaire finirait par y trouver du plaisir; et puis voyagez, quittez tout, imitez les oiseaux. C'est une des tristesses de la civilisation que d'habiter dans des maisons. Je crois que nous sommes faits pour nous endormir sur le dos en regardant les étoiles. Dans quelques années, l'humanité (par le développement nouveau de locomotion) va revenir à son état nomade. On voyagera d'un bout du monde à l'autre, comme on faisait autrefois, de la prairie à la montagne : cela remettra du calme dans les esprits et de l'air dans les poumons. 
Enfin, mon conseil permanent est celui-ci : voulez 
 Gustave Flaubert. Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie. Croisset, 11 juillet 1858 

lundi 9 novembre 2015

Les visiteurs (fragments d'insularité)

J'ai beaucoup entendu parler de toi est une phrase qu'on m'avait déjà dite, plus tôt dans le mois mais, cette fois, je savais que c'était vrai. 

Ainsi, ils étaient là, Amélie et le garçon d'à côté, à côté de moi cette fois et je sais gré à l'île de faire venir tant de ceux que j'ai plaisir à voir. D'eux j'aime les nuances qui les différencie, cette manière d'être liés sans être jumeaux mais j'aime aussi ce qui les réunit, ce goût des chemins de traverse plutôt que du tracé droit, cette faculté de s'en remettre aux surprises plutôt qu'au hasard. 

Nous nous sommes quittés sans qu'ils quittent l'île, cependant. Depuis Barcares, je n'étais pas loin de voir leurs montagnes et les nuages qui m'arrivaient, ils me venaient d'eux. Durant quelques jours, je savais que nous partagions le ciel, que nous partagions l'île, Comment dit-on partager en espagnol ? ai-je pensé, Ah oui : compartir. Et c'est un verbe que je leur offre, en souvenir. 

dimanche 8 novembre 2015

Ce qui ne restera pas

Je pense souvent à l'avenir de notre passé, ce que nous sommes en train de vivre, qui deviendra nos souvenirs sans que nous puissions vraiment choisir lesquels. Car je sais que la mémoire glisse des indices dans les moindres interstices, là où on ne le devine pas. 
J'ai pris des photos




mais pas de ton poney, du feu, de toi dans le lit pendant que moi, j'écris. Pas des repas de vacances/en vacances et, pas davantage, je n'ai enregistré ni les conversations sur les chiffres et les lettres, la jeunesse anglaise, les couleurs qui n'existent pas. Ni les chants indiens. 
On s'en souviendra, on l'oubliera. C'est bien comme ça. 

samedi 7 novembre 2015

Chambre avec vue

il y a des personnes qui organisent leur vie autour des chambres où on les a fait dormir depuis qu'ils ont l'âge de raison, une fois j'ai lu le livre d'un français nommé Perec dans lequel il affirmait qu'il avait recensé toutes les chambres où il avait dormi durant toute sa vie, il y en avait cent, quasiment toutes utilisées un seul jour, moi, je ne peux pas en dire autant bien que je sois nomade par nature, bien que ma mission soit d'inventer des Projets, des changements, des ruptures de rythme, je n'aime pas voyager, ce qui me va, c'est de dormir presque toujours dans le même lit, je ne comprends pas comment  quelqu'un a besoin de se déplacer, utiliser ses sens, voyager, pour sentir quelque chose, je trouve ça basique, primitif, comme un stade primaire de l'évolution, il y a d'autres façons plus civilisées de voyager sans sortir de chez soi, moi je le fais avec la télé, les livres, l'ordinateur et les films et j'y arrive, c'est la sophistication dont je parle, dont elle et moi nous avons toujours parlé, mon idéal de vacances est de rester enfermé dans une maison avec l'air conditionné devant une fenêtre avec vue sur la mer ou la montagne.  
Traduction libre d'un extrait* de Nocilla Lab de Agustín Fernández Mallo.

*hay personas que organizan su vida en torno al hilo de las habitaciones en las que les ha tocado dormir desde que poseen uso de razón, una vez leí un libro de un tipo francés llamado Perec, en el que este autor afirmaba que había catalogado todas las habitaciones donde había dormido durante toda su vida, eran cientos, casi todas solamente usadas un solo día, yo no puedo decir lo mismo ya que aunque soy nómada por naturaleza, aunque mi misión sea generar Proyectos, cambios, golpes de rumbo, no me gusta viajar, lo que me lleva a usar casi siempre la misma cama, no entiendo cómo alguien necesita desplazarse, usar los sentidos, viajar, para sentir algo, lo encuentro básico, primitivo, como un estadio primario de la evolución, hay otras formas más civilizadas de viajar si salir de casa, por eso a mí con la tele, los libros, el computador y las pelis, y me llega, esta es la sofisticación de la que hablo, de la que ella y yo siempre hemos hablado, mi ideal de vacaciones es permanecer encerrado en una casa con aire acondicionado ante una ventana que mire al mar o a la montaña.

vendredi 6 novembre 2015

Le cabinet des rêves 252

J'assiste à un cours de langue (je crois, néanmoins, qu'il s'agit de français). 
Quatre phrases sont écrites au tableau. 
De ces exemples, je tire une conclusion erronée. 
Quand le professeur me le fait remarquer, ce que je viens d'énoncer me semble tellement grotesque que j'éclate de rire (mon propre rire me réveille). 

Rêve du 21 octobre 2015

jeudi 5 novembre 2015

(ma) Vision floue du monde

On sait bien que n'offense pas qui veut mais plutôt qui peut. Et, au contraire, on blesse parfois sans le vouloir. Moi, je ne veux gêner personne mais, après dix-huit ans à flirter avec la langue grecque, je dois souffrir d'une espèce de court-circuit qui m'empêche de parler et d'écrire comme une personne normale. Ma seule consolation, c'est que je connais toujours la réponse correcte à la question à laquelle ils sont nombreux à perdre une fortune à "Qui veut gagner des millions ?".

N'ayez pas peur des mots à la mode qui infectent ces petits contes. Nombreux sont ceux qui cessent de lire un livre quand ils se heurtent à des mots qu'ils ne connaissent pas. Il n'y a pas de raison. Les auteurs non plus ne savent pas très bien ce qu'ils signifient. Ils les utilisent par ouïe-dire, pour remplir, et presque toujours hors de propos. Avec les mots étranges qui apparaissent dans mes contes, vous avez le choix : déduire leur signification grâce au contexte ou les chercher dans le dictionnaire Quintana Cabanas. Vous ne les trouverez pas ailleurs. C'est un pavé de mille pages qui doit coûter plus de dix mille pesetas. Vous je ne sais pas mais moi, si je devais l'acheter, ça me ferait bien suer. 
Traduction libre d'un extrait du prologue de Cuentos tocapelotas dans le recueil La bailarina rusa de Román Piña. 


Très vite après la lecture inaugurale (recherche du vocabulaire,  lenteur, rigueur) j'ai abandonné les dictionnaires au profit d'une compréhension globale (contre-sens, vagues intuitions, interprétations fantaisistes).
Si mon appréhension des textes en espagnol s'améliore(ra encore), je persiste à ne saisir le monde qu'en mode flou (aléatoire, approximatif, poétique)
* Es sabido que no ofende quien quiere sino quien puede. Y al contrario, a veces se incordia sin querer. Yo no pretendo molestar a nadie, pero después de dieciocho años coqueteando con la lengua griega, he debido de sufrir una especie de cortocircuito que me impide hablar y escribir como una persona normal. Lo único que me consuela es que siempre sé la respuesta correcta a la pregunta por la que muchos pierden una fortuna en el concurso de la tele "¿Quieres ser millonario?".No se asusten por las palabrejas que infectan estos cuentecitos. Muchos dejan de leer un libro cuando se topan con varias palabras que desconocen. No hay por qué. Tampoco los autores saben muy bien lo que significan. Los usan de oídas, por rellenar, y casi siempre fuera de lugar. Con las palabras raras que aparecen en mis cuentos, con todo, pueden ustedes hacer dos cosas : deducir su significado por el contexto, o buscarlas en el diccionario Quintana Cabanas. No las encontrarán en otro. Es un tocho de miles de páginas que debe de costar más de diez mil pesetas. A ustedes no sé, pero a mí, tener que comprarlo, me tocaría las pelotas. 

mercredi 4 novembre 2015

L'identification (9 : ma vie circonstancielle)

J'ai cherché sur internet des citations de Ortega y Gasset dont je pensais, à une autre époque, qu'il s'agissait de deux personnes comme Deleuze et Guattari, Calvin et Hobbes.*

*Saliendo de la estación de Atocha est un roman américain de Ben Lerner que je lis dans sa version espagnole grâce à la traduction de Cruz Rodríguez Juiz. Il existe en français, traduit cette fois par Jakuta Alikavazovic et publié aux éditions de l'olivier.
J'avais emprunté le recueil de nouvelles de José Luis de Juan pour son titre La vida privada de los verbos et comme je lisais encore mal l'espagnol, j'avais passé, finalement, plus de temps à imaginer ce que, moi, j'aurais écrit pour chacun des verbes de la table des matières. 
J'en avais, cependant, cité un extrait et, surtout, j'avais retenu la maxime de Ortega y Gasset que j'y avais trouvée :
JE SUIS MOI ET MA CIRCONSTANCE

A faire le tour de ma circonstance, j'avais préféré la renommer de ce terme dont l'ambiguïté dit à la fois et tout aussi bien les pieds coulés dans le béton armé et la capacité à agir : 
DéTERMINATION 

mardi 3 novembre 2015

Tuesday self portrait

L'affaire prenait plus d'importance avec les citrouilles, appelées, dans le Nord, potirons, dont la grosseur devenait aisément monstrueuse. Alors que, durant tout l'été, à cause sans doute de l'abondance des herbes et des feuilles, on ne les avait pas vues une seule fois, elles mettaient un peu partout, sur la terre et parfois jusqu'à l'horizon, leurs grands poufs de couleur orange aux creux desquels s'accrochaient des petites feuilles qui donnaient une idée d'indécence. 
La croissance des citrouilles était si rapide et les portait à un tel volume que souvent les gens ne résistaient pas à l'envie d'écrire leur nom, de la pointe du couteau, sur leur peau, alors qu'elles étaient encore naines. Ils savaient que leur calligraphie se développerait en même temps qu'elles et prendrait de surcroît un relief de broderie, assez semblable, en fait, à une lèpre, mais permettant la lecture de loin. Aussi, dès ce moment de l'automne, les noms, ou seulement les initiales quand la timidité avait prévalu, criaient à perte de vue, d'un bout à l'autre de la campagne, portés par l'éclat orangé des citrouilles géantes. 
Les écritures, tantôt à l'anglaise, tantôt s'inspirant des caractères d'imprimerie, tantôt simplement malhabiles, trahissaient l'application, les soins que la postérité réclame. Ils donnaient aux inscriptions un aspect définitif et lorsqu'on suivait les chemins, le long des champs, on ne pouvait s'empêcher de penser à une promenade dans un cimetière où on lit des noms de famille sur les pierres. Il nous semblait qu'écrire son nom sur les citrouilles, en s'en remettant à elles pour qu'il fût porté au dernier degré de la gloire et trouvât d'avance sa grandeur posthume, était d'une extrême témérité. On ne devait pas jouer avec les images de la mort, aussi approximatives fussent-elles. 
Pierre Gascar. Le meilleur de la vie. 

lundi 2 novembre 2015

Le jour des vivants (fragments d'insularité)

Cela n'est pas étonnant que certains voyageurs qui arrivent sur une île ressentent une énorme angoisse et, devant les limites évidentes de ces lieux, sont obsédés par la terrible possibilité de rester enfermés là pour toujours, de devoir rester jusqu'à la fin de leurs jours dans cet espace solitaire, sans rien d'autre à faire que se confronter à leur propre existence. 
Traduction libre d'un extrait de l'Atlas des îles abandonnées de Judith Schalansky

Car c'est le jour où l'on peut enfin dire du village qu'il est mort que notre vie recommence
, vraiment. 

dimanche 1 novembre 2015

Le rendez-vous


A notre rendez-vous j'allais le coeur battant 
Je ne peux pas dire Comme au premier jour 
Car je ne savais pas le premier jour
Qu'il pouvait battre autant.