lundi 31 mars 2014

Les lieux du rêve


"Le lieu -l'espace- du rêve n'est pas sans rapport avec ce que cherche à circonscrire la peinture, avec le tableau peint. On n'a pas assez insisté sur le primat visible dans le rêve : le rêve, c'est ce qui rend visible, donne sa place de visible au déjà-vu, devenu invisible."
J.B. Pontalis. Entre le rêve et la douleur

Il y a ce que nous sommes. 
Il y a ce que nous sommes dans nos rêves. (1)
Il y a ce que nous sommes dans les rêves d'autrui. (2)

(1) ce que je suis dans les miens
(2) ce que je suis dans le rêve de J.
Rêve du 28 mars 2014
Je rends visite à Gwen dans une grande maison près de la mer. Nous sommes trois,Gwen, un homme et moi. Nous lisons. Gwen assise dehors, sur une terrasse où elle a étendu une serviette de plage vert pomme, l'homme face à moi dans un fauteuil, le dos très droit, et moi, les jambes repliées sur un canapé. Le motif ressemble beaucoup à celui du sofa que possédait l'ancienne voisine à qui nous rendions visite avec ma mère le mercredi après midi, et qui m'offrait du café au lait dont je détestais le goût. L'homme me suggère d'aller voir le "grand rocher", à quelques kilomètres de la maison. Je demande à Gwen de m'accompagner mais elle déclare avec un large sourire que c'est une expérience à faire seule. Elle se replonge dans son livre. Je marche longuement à travers les roches et les hautes herbes (le paysage est tout à fait celui de la Bretagne que filme Rohmer dans Conte d'été) J'arrive au "grand rocher" et je suis stupéfaite de découvrir qu'il s'agit du Rocher Percé (en Gaspésie !)

dimanche 30 mars 2014

For ever young (2)

De ce que, adulte, tu es devenu, je n'aurais pas su tout prédire. 
Mais te voir penché sur tes rosiers est ce qui me surprend le moins : 
ne t'appelais-je pas petit prince dans notre jeune temps ?!

samedi 29 mars 2014

Une enquête sentimentale

Visiter les musées vous donne-t-il parfois envie d'y être gardien ?
Retournez-vous volontiers sur les lieux de votre passé ?
Savez-vous ce qui a motivé vos parents lors du choix de votre prénom ?
Avez-vous déjà consulté un médium ?
Préférez-vous les départs ou les arrivées ?
Y a-t-il un moment de votre vie où vous auriez pu "mal tourner" ?
Vous êtes-vous déjà réconcilié après une rupture que vous pensiez définitive ?
La forme et la couleur de votre assiette influencent-elles votre appétit ?
Votre logement est-il mitoyen ?
Avez-vous déjà écrit un graffiti quelque part ?
 ICI, une petite foule sentimentale

vendredi 28 mars 2014

Le cabinet des rêves 168

Je vois G. qui parle à une de ses amies. 
Elles marchent côte à côte, je suis à leur hauteur et j'entends leur conversation sans qu'elle me soit destinée. 
Elle vient de dire au revoir à son amant. 
Ce n'est pas son amoureux : lui, il est parti en vacances, elle ne le voit que rarement mais c'est lui qu'elle aime véritablement. 
Elle l'appelle L'omelette
Son amie a disparu et c'est maintenant à moi qu'elle parle. 
Elle me raconte que ses parents sont, eux aussi, partis en vacances depuis dix jours et qu'elle est sans nouvelles. 
Elle en parle comme si elle était plus jeune et seule et vraiment affectée par la situation que je tente de minimiser : après tout, tout le monde est adulte ! 
Elle insiste sur un ton qui me signifie que je ne peux pas comprendre. 

Plus tard, je suis dans sa chambre et je vois qu'elle a reçu une lettre. 
Tout en ayant le sentiment de commettre une indiscrétion (pourquoi ?), j'appose un tampon sur l'enveloppe. 
Juste après, G. arrive et ne semble ni s'offusquer du tampon ni s'enthousiasmer d'avoir reçu des nouvelles. 

Rêve du 14 mars 2014

jeudi 27 mars 2014

Chroniques casanières

fruits secs flocons farines mes pots
alignés sur la nappe à carreaux
de l'écureuil la satisfaction 
en rangeant mes provisions

mercredi 26 mars 2014

Là, c'est le jour où j'ai repensé 
à ce que disait Franck

car, assise au soleil, dans un virage de
cette minuscule route de campagne sur laquelle ne passèrent que des vélos (trois, puis deux, puis un peloton puis un seul), des voitures (deux), des mobylettes (une seule en vérité, et un scooter) dont aucun conducteur ne m'adressa un seul coup d'oeil, j'eus la sensation de me trouver dans un "non-lieu", comme il disait que l'étaient les aires d'autoroute. 

mardi 25 mars 2014

Tuesday self portrait

-Tu t'intéresses à ton image, non ? Alors tu es forcément séduite par l'idée de te faire portraiturer. 
-Comme tout le monde, alors ?
-Non, pas tout le monde. Il y a peut-être aussi ceux qui se demandent comment je les vois. Le portrait, c'est toujours un mélange du peintre et de celui qui pose. 
-Le modèle ?
-Non, je n'ai jamais de modèle. C'est toujours quelqu'un -et moi. 
Emmelene Landon. Portrait(s) de George

lundi 24 mars 2014

Le terrier

Dans le couloir glacial (1), j'avais peine à le croire tandis qu'il me disait que en comparaison, je t'assure, la terrasse, on la croirait chauffée !
Pourtant. 
Les bourrasques forçaient le linge à danser dans la cour, ployaient dans le plus grand désordre les arbres voisins. 
Mais nous : 
moi adossée au mur blanc
lui la tête sur ma cuisse (2)
lisions
sans que le vent ne se mêle de tourner nos pages. 
Il voulait finir son chapitre (3) avant d'aller cuisiner. (4) 
J'avais posé de côté l'essai (5) et avais lu quelques pages de la nouvelle (6) que, quelques semaines auparavant, j'avais cherchée en vain dans ma bibliothèque. (7)
Provisions de bouche au marché, parenthèse diariste au café... dimanche avait, pour moi, tôt commencé et ce n'étaient pas les auteurs qui rendaient lourdes mes paupières.
Non.
Pas le sommeil non plus, dont je savais qu'il ne viendrait pas me chercher jusque là. 
Non. 
Mais une somnolence d'Alice (8) qui me faisait me sentir autant sur cette terrasse à l'abri des quatre vents qu'ailleurs. A l'entrée du terrier d'un lapin blanc, par exemple. 

C'est alors que, au moment où, justement, je cherchais de quoi marquer ma page, je m'aperçus qu'un carré de papier dépassait du livre. 
En découvrant ces mots (9) griffonnés par une autre main que la mienne, je ne sus, l'espace d'un instant, si je venais de m'éveiller complètement ou m'endormir profondément. 

(1) C'est à cet instant qu'il me parut évident de le baptiser -d'autres pièces de la maison le furent avant lui- couloir de la mort


(2) Retiendrait-il cela de ce jour comme du vendredi précédent ?

(3) De ce livre dont je sais précisément qui l'a eu en main avant lui, il a corné une page à mon intention : 
Ce doit être pour cela que j'ai tendance à vouloir tout comprendre, tout ce qui est dit et parvient à mon oreille, aussi bien dans mon travail qu'en dehors, même de loin, même si c'est dans l'une des innombrables langues que je ne connais pas, même si ce sont des murmures inaudibles ou des chuchotements imperceptibles, même s'il vaudrait mieux que je ne comprenne pas et si ce qui est dit ne l'est pas pour que je l'entende, ou si c'est dit justement pour que je ne le saisisse pas. Je peux décrocher, mais seulement dans certains états de vacance de l'esprit ou au prix d'un grand effort, c'est pourquoi je me réjouis parfois que les murmures soient vraiment inintelligibles, les chuchotements imperceptibles, et qu'il existe tant de langues qui me soient étrangères et impénétrables, c'est le seul moyen de me reposer. Quand je sais et que je constate qu'il n'y a rien à faire, que je ne peux comprendre malgré mon désir et mes efforts, alors je me détends, je me sens étranger et je me repose.
Javier Marias. Un coeur si blanc
(4) Et comme il avait dit Les dernières lentilles de la saison !, j'en avais exigé la perfection. 

(5) 
Il est impressionnant de constater cette adéquation dans la citation suivante, tirée d'une lettre de Heidegger à sa jeune disciple Hannah Arendt, où l'on pourrait remplacer le mot d'amour par celui de littérature pour en donner une définition magnifique et juste : "Pourquoi l'amour est-il d'une richesse sans commune mesure avec d'autres possibilités accordées à l'être humain, et un suave fardeau à ceux qu'il atteint, sinon parce que nous nous métamorphosons en ce que nous aimons tout en demeurant nous-mêmes ?"
Bertrand Leclair. Théorie de la déroute.
 
(6)
-Je ne suis pas sûre que vous vous en souveniez, déclara May Bartam après quelques temps, ... et je ne suis pas sûre non plus qu'il faille vous souhaiter une meilleure mémoire : ce n'est jamais agréable d'être forcé de se revoir tel que l'on était dix ans auparavant. Si l'oubli vous épargne ce retour en arrière, ajouta-t-elle en souriant, tant mieux !
Henry James. La bête dans la jungle.

(7) J'avais dû constater que mes déménagements successifs m'en avaient délestée. Aussi, de passage chez les bouquinistes de Bruxelles, je me l'étais à nouveau approprié.

(8)
Alice assise auprès de sa sœur sur le gazon, commençait à s’ennuyer de rester là à ne rien faire ; une ou deux fois elle avait jeté les yeux sur le livre que lisait sa sœur ; mais quoi ! pas d’images, pas de dialogues ! « La belle avance, » pensait Alice, « qu’un livre sans images, sans causeries ! »Elle s’était mise à réfléchir, (tant bien que mal, car la chaleur du jour l’endormait et la rendait lourde,) se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout à coup un lapin blanc aux yeux roses passa près d’elle.Il n’y avait rien là de bien étonnant, et Alice ne trouva même pas très-extraordinaire d’entendre parler le Lapin qui se disait : « Ah ! j’arriverai trop tard ! » (En y songeant après, il lui sembla bien qu’elle aurait dû s’en étonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel.) Cependant, quand le Lapin vint à tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit à courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappée de cette idée que jamais elle n’avait vu de lapin avec un gousset et une montre. Entraînée par la curiosité elle s’élança sur ses traces à travers le champ, et arriva tout juste à temps pour le voir disparaître dans un large trou au pied d’une haie.      Lewis Carroll. Alice au pays des merveilles
 (9) Rêves 

lapin malade, apeuré je cherche de l'aide. Un homme m'aide.

Je fuis un groupe de Gilles que j'ai provoqués. 

Je vois une rue avec de belles façades à l'ancienne. 
Nous sommes à deux. 
Nous montons le plus rapidement possible les escaliers étroits. Derrière les portes, chaque chambre est magnifiquement décorée, lit moelleux. 
Nous atteignons le dernier étage, je trouve une minuscule clef sur la statuette d'un ange en argent, je la décroche et avec un certain empressement je l'introduis dans la serrure.

dimanche 23 mars 2014

本当の気持ち

Ta tête reposait sur mon épaule, ma main était sur la tienne. 
Nos yeux, rivés sur l'écran, ne voyaient pourtant pas le même film
Moi, c'est simple, j'étais là-bas
Tout. 
les inflexions de voix 
les séchoirs à pinces sur les balcons 
les cartables des écoliers
 les bustes inclinés
 les parois en papier
 les formules  
-de remerciement 
d'encouragement
 d'accueil
 de salutation
 de désolation- 
les chaussures à talons
 les chaussons
Tout me ramenait à ce qui avait été mon quotidien dans un autre temps.
A la fin : 
-C'est peut-être comme si toi, je ne sais pas, tu voyais un film qui se passerait aux Canaries. 
-Non : c'étaient les films français qui me faisaient cet effet.*

*et, récemment, tu m'avouas Je perds mon espagnol ! et je dois me forcer à imaginer le temps où tu ne parlais ni aux bêtes ni à personne, ni ne jurais dans l'atelier dans ta langue maternelle.

samedi 22 mars 2014

Une enquête sentimentale

Enfant, à quel(s) jouet(s) étiez-vous le plus attaché ?
Préférez-vous apprendre ou transmettre ?
Y a-t-il de la lecture dans vos toilettes ?
Savez-vous à quoi vous ressemblez de dos ?
A quel âge avez-vous commencé à boire du thé ou/et du café ?
Que retenez-vous de votre journée d'hier ?
Avez-vous un surnom ?
A quel endroit de votre logement aimez-vous vous trouver à la tombée de la nuit ?
Que vous évoque le mot "dimanche" ?
Y a-t-il un animal que vous redoutez ?

Des gens sentimentaux sont à écouter ICI 

vendredi 21 mars 2014

Le cabinet des rêves 167

Mon père est en train d'emménager. 
Ses meubles -du mobilier de bureau- sont dans une rue en pente et il les descend au fur et à mesure dans un appartement au sous-sol. 
Comme une chaise est en train de glisser dans la rue, je la retiens et la descends. 
En remontant l'escalier, j'entends mon père gronder affectueusement la chatte qui a mangé un fil. 
Il lui parle comme si ça n'avait pas d'importance alors qu'un appareil ne peut plus fonctionner et que c'est un problème pour moi. 

Rêve du 15 mars 2014

jeudi 20 mars 2014

Chroniques casanières

ni nom ni boîte aux lettres
pas non plus de sonnette
s'il y en a le courrier
 est glissé dans la fente du volet

mercredi 19 mars 2014

Là, c'est le jour où j'ai pensé Moi,

ça me rendrait chèvre ! 
en apprenant qu'elles vivaient les pattes entravées
 en plus d'avoir une cloche au cou.

mardi 18 mars 2014

Tuesday self portrait


Selon l'une de nos expressions usuelles, une personne "manque de thé" lorsqu'elle se montre insensible aux épisodes tragi-comiques qui ponctuent l'existence. Mais notre langue stigmatise également l'esthète sauvage qui, indifférent à la tragédie du monde, s'abandonne sans retenue au flot de ses émotions, de celui-là, elle dit qu'il a "trop de thé". 

Okakura Kakuzô. Le livre du thé

lundi 17 mars 2014

au café

Ainsi : la rusticité de la table, la confidentialité de l'éclairage, les chaises dépareillées, les journaux (inter)nationaux, alors ce café de l'île me fit me sentir ailleurs et loin et même, parce qu'au-dehors l'heure était vaguement grise, j'ai pensé à cet autre -tellement différent mais tellement familier- où la femme brune et maigre venait tôt lire les nouvelles dans sa langue natale, où l'acteur avait ses habitudes familiales, amicales et dominicales, où je donnais mes rendez-vous.
(et, en même temps, ici tout est différent)

dimanche 16 mars 2014

Good to sea

Rose, caramel  ? Parce que le pull m'allait bien, je l'avais pris en double et, debout devant l'armoire ouverte, j'hésitais sur le parfum quand ta voix, depuis la cuisine, m'appela. 
Une gerbe de fleurs derrière ton dos ne m'aurait pas davantage fait plaisir car tu m'offris une composition : celle que dessinaient la tête des anchois que tu destinais à la marinade et que tu me proposas de photographier avant que tu les jettes. 
Dans le dossier Mars 2014, j'enregistrai le cliché sous le titre Bouquet de têtes
Y repensas-tu, deux jours plus tard, en me montrant le tableau de Barcelo au musée ? 
Je le trouvai moins réussi que ma photo. 


samedi 15 mars 2014

Une enquête sentimentale

Vous sentez-vous dépendant d'un objet que vous utilisez souvent ?
Savez-vous dire Bonjour dans des langues que vous ne maîtrisez pas par ailleurs ?
Vous arrive-t-il de penser à votre postérité ?
Vous identifiez-vous davantage à un sprinteur ou à un marathonien ?
Quand vous êtes à l'étranger, goûtez-vous volontiers aux spécialités culinaires locales ?
Vous intéressez-vous à votre généalogie ?
Trouvez-vous du charme aux uniformes ?
Oubliez-vous parfois le titre ou le nom de l'auteur d'un livre que vous êtes en train de lire ?
Avez-vous des rêves récurrents ?
Changez-vous souvent la place des meubles chez vous ?
Des gens sentimentaux sont à écouter ICI 

vendredi 14 mars 2014

Le cabinet des rêves 166

Je vois une photo de B.D. 
Il est de profil dans son lit, assis. 
Mais la photo s'anime : il se cache sous les draps puis se découvre, se tourne vers moi, sourit. 
Derrière lui, il y a une grande baie vitrée par laquelle on voit la mer. 
Changement de plan : la mer seulement, déchainée, très verte, très "bretonne". 
Des vagues de huit mètres. 
Je pense : C'est vrai, il y a eu une tempête en Bretagne ! 

Rêve du 8 janvier 2014

jeudi 13 mars 2014

Chroniques casanières

mes cheveux blancs
ce ne sont pas eux sur mes vêtements
à la fin de l'hiver eux aussi les animaux
s'allègent de leur manteau

mercredi 12 mars 2014

Là, c'est le jour où, à la radio,

j'ai cru qu'ils parlaient d'être en diète de soi-même.

mardi 11 mars 2014

Tuesday self portrait

On a parlé des gens en général. On a dit que tous les gens qu'on voyait dans les bars, les bateaux, les trains, étaient inoubliables, même si après on les oubliait. Pas ceux des photographies de journaux, ni ceux des films, mais ceux-là qui étaient seuls dans les autobus ou dans les bars, le soir, travailleurs ou pas travailleurs, pareils, éreintés par la journée écoulée, plongés pareils dans la sombre exaltation de la vie intérieure. 
Marguerite Duras. Emily L. 

lundi 10 mars 2014

Le temps des fleurs

Parce que les fleurs me rappellent toujours d'autres fleurs
: une histoire d'un autre temps 
, écrite il y a longtemps
sur des photos d'Emmanuel Régniez (à retrouver dans son album)



Quand elle avait annoncé qu’elle travaillait chez Freaks, tout le monde avait poussé des cris enthousiastes et envieux. Certains d’entre eux, pleins d’espoir, lui avaient demandé si elle pourrait leur faire une remise. 
Freaks était leur boutique fétiche quand ils étaient au lycée. Et parce qu’elle était trop chère pour eux, ils rêvaient tous des fabuleux métiers qu’ils exerceraient plus tard et qui leur permettraient de dévaliser la boutique. 
Une bonne motivation pour réussir les concours d’entrée à la fac ! 
A présent, ils y étaient, à la fac. La bande s’était disloquée en fonction de leurs résultats à chacun. Ils essayaient de se revoir le week end mais ils avaient leurs révisions, leurs nouveaux amis et, certains d’entre eux, comme elle, avaient trouvé un petit boulot. 
Rares étaient ceux qu’elle avait vus franchir le seuil de la boutique depuis qu’elle y travaillait. Non, elle ne pouvait pas leur accorder de remise. 
Les prix restaient trop élevés pour leur budget d’étudiants et chacun pressentait que, lorsqu’ils auraient enfin cette carrière qui leur permettrait de s’habiller chez Freaks, ils n’en auraient plus envie. 
Elle en voyait, des aussi jeunes qu’eux, aussi désargentés, déambuler dans les rayons, déplier les tee shirts, les contempler rêveusement un moment avant de les reposer en soupirant. 
Elle passait derrière eux pour ranger sans regret : elle avait d’autres priorités que de s’acheter ces vêtements colorés. Elle avait tenu à prendre une chambre, aussi devait-elle en assumer le loyer. 

Il n’était pas aussi plaisant qu’un lycéen pouvait l’imaginer de travailler chez Freaks. Il fallait rester debout toute la journée, être attentive aux clients et, surtout, tâcher de les entendre malgré la musique assourdissante. 
Elle regagnait sa chambre abrutie, ne rêvant que de silence, monopolisant l’énergie qui lui restait à ses travaux personnels. 

Les premières semaines, on lui avait fait comprendre qu’il était de bon ton de s’intégrer à l’équipe. Cela signifiait se joindre aux employés qui, ensemble, allaient en boîte le samedi soir après avoir rapidement avalé un hamburger. 
Elle s’était pliée à cette coutume trois semaines de suite. 
Ses collègues avaient dansé une bonne partie de la nuit pendant qu’elle était restée au bar, en compagnie d’un ancien de la boutique qui avait entrepris de lui en exposer l’historique. 
Trois semaines de suite, elle s’était endormie sur le comptoir. 
La quatrième semaine, elle était rentrée chez elle après sa journée de travail. Personne n’avait tenté de la retenir. 
Elle n’avait pas compris pourquoi il lui avait donné ce rendez-vous.

En pénétrant dans le métro, elle réalisa que cela faisait des semaines qu’elle n’avait plus quitté le périmètre restreint de Shibuya où elle allait de sa chambre à l’école d’art, de l’école jusque chez Freaks.
Si elle s’était aperçue que le printemps était revenu, c’est parce qu’elle avait installé la nouvelle collection à la boutique.

Elle n’avait pas compris pourquoi il tenait absolument à la voir, elle, ce jour-là. Après tout, ils n’étaient que des copains de lycée qui étaient en train de se perdre de vue.

Il lui avait dit de descendre à la station Kuramae, de gagner les bords de la Sumidagawa et de les suivre jusqu’à Asakusa.
Elle n’était jamais venue dans ce quartier et consulta le plan à la sortie du métro afin de trouver la direction de l’eau.
Il était tôt.

Elle n’avait pas compris pourquoi il lui avait donné rendez-vous si tôt.
 
Elle longeait les flots odorants de la Sumidagawa que troublait le passage des péniches. Le décor était urbain mais sentait la mer. Et la voie rapide sur l’autre berge de la rivière, le train qui ralentissait lors de sa traversée sur le pont faisaient naître des désirs de voyages, de départ.
Cet espace lui donnait envie de courir, comme les joggeurs qui la dépassaient à petites foulées ou de sautiller comme une petite fille.
Elle ressentait de manière encore plus flagrante son enfermement des derniers mois.
Et puis, au bout de cette promenade inédite, elle les vit.
C’était comme une explosion dans le ciel déjà bleu du matin.
Les sakuras !
Comment n’y avait-elle pas pensé ?
Elle s’arrêta pour embrasser du regard tout le paysage rose et retint les larmes qui menaçaient de poindre.
Ces fleurs fragiles qui, par grappes, alourdissaient les branches des arbres étaient si belles, ce spectacle si émouvant !

Quand elle l’aperçut, assis sur un banc, plongé dans un livre, comme toujours, elle se souvint de ses amies de lycée lui racontant leurs baisers échangés sous les fleurs des sakuras. Elle trouvait cela tellement cliché, si proche du ridicule.

Or, à cet instant, elle comprit pourquoi il lui avait donné rendez-vous là, à cette heure matinale et elle su qu’elle l’embrasserait sur ce banc, sous ces fleurs.
Et ce ne serait pas ridicule. 

dimanche 9 mars 2014

Big jet plane

(...) alors j'avais pris le bus, à cette heure encore inédite. (1)
Pour ne pas partager nos retrouvailles avec les bêtes, pour ne pas attendre dans la maison noire et froide, pour sentir mon coeur qui allait battre plus vite, pour voir si tu allais me chercher des yeux ou pas, quand bien même tu n'étais pas prévenu que je serais là (2), j'avais pris le bus.
L'heure était inédite mais la place familière -à droite de l'allée- quand bien même il n'y avait plus rien à voir que l'obscurité car même après la tombée de la nuit, je ne désespère jamais de voir quelqu'un dans le singulier salon d'hiver et mon esprit que laissait vacant l'absence de paysage commença à s'ausculter lui-même, à convoquer des dates, des souvenirs, sans que je sache ce qui lui faisait les choisir : la naissance du premier enfant (1989) (4), la mort du père (2010) (5), le premier emménagement (1991) (6) mais aussi, et plus naturellement, la première scène d'aéroport (2013) (7), que je m'apprêtais à nous faire revivre, en quelque sorte.


(1) et, à l'arrivée, voyant la file des gens qui attendaient pour monter, j'avais réalisé que j'avais voyagé dans l'aller du retour qui m'est familier et, l'espace d'un instant -ces instants qui sont, finalement, assez fréquents et que, intérieurement, je nomme ma double vie de Véronique- j'avais pensé : C'est comme me voir moi.
(2) si nous étions équipés de connexions diverses, de téléphones plus ou moins intelligents, de trucs, de machins... nous ménagerions-nous encore quelques surprises de la sorte ? (3)
(3) j'avais passé en revue tous les scénarios possibles qui m'auraient conduite à me trouver si loin de chez nous bien après l'heure du dernier bus, après celle du dernier avion... mais je ne parvenais pas à nous imaginer dans les rôles titres tellement la malchance ne colore pas notre vie. 
(4) avril était pluvieux cette année-là, pluvieux et froid mais je n'avais pas encore cessé de porter une jupe bleu marine qui battait mes mollets nus. Un uniforme, donc. Et on m'inculquait le sens des responsabilités lorsque j'appris -mais comment ? de cela, je ne me souviens plus- la venue au monde de la petite fille brune qui mit tant de temps à nous sourire. 
(5) elle aurait pu se produire bien plus tôt et, une fois au moins, par ma faute. Pour ouvrir les yeux, il faut bien les avoir fermés. Or c'est ce que je fis : ouvrir les yeux, alors que dans mes mains : le volant de la voiture qu'il m'avait laissée conduire et c'était un autre jour d'aéroport, d'ailleurs. 
(6) dans cet appartement, au 68 de la rue Lamartine, où tu ne te souvenais pas avoir été invité mais que tu m'avais dit avoir cherché à reconnaître lors de ton séjour à Tours.
(7)

samedi 8 mars 2014

Une enquête sentimentale

Qu'y avait-il sur les murs de votre chambre d'adolescent ?
Votre entourage vous reproche-t-il parfois de vous souvenir de ce qu'il a oublié ?
Vous arrive-t-il de citer des répliques de film dans vos conversations ?
Aimez-vous participer à des débats ?
Supportez-vous des choses que vous qualifiez pourtant d'insupportables ?
Votre vie est-elle davantage matérielle ou immatérielle ?
Lisez-vous son mode d'emploi avant d'utiliser un nouvel appareil ?
Quel mois de l'année préférez-vous ?
Vous souvenez-vous du premier mariage auquel vous avez assisté ?
Avez-vous déjà été l'objet d'une rumeur infondée ?
De nouveaux enregistrements sont à écouter ICI 

vendredi 7 mars 2014

Le cabinet des rêves 165


Je fouille dans un carton de vieilles revues et de livres qui ne m'appartiennent pas afin de savoir si quelque chose peut m'intéresser.
D'un livre de poche s'échappe une minuscule carte qui évoque la cuisine et le salon.
Je pense que je pourrais l'envoyer à G. pour lui annoncer la fin des travaux qui ont lieu chez moi mais je m'aperçois que le livre lui appartenait et qu'il serait malvenu de lui envoyer une carte qui me vient d'elle.

Rêve du 8 janvier 2014

jeudi 6 mars 2014

Chroniques casanières

le matin dans les champs
déclarer ouvert le printemps et pourtant
dans la maison deux pulls ou bien trois
il fait encore un peu froid

mercredi 5 mars 2014

Là c'est le jour où la dame


ne laissa repartir le vigile qui l’avait guidée jusqu’au rayon des livres qu’elle recherchait qu’après lui avoir raconté que son mari était en train de perdre la vue alors vous comprenez c’est pas facile, d’habitude c’est lui qui change les ampoules mais que là, comme il ne pouvait pas, c’était elle qui était montée sur le tabouret et alors vous auriez vu ça, que le lustre avait cédé et l’avait entraînée dans une mauvaise chute, je ne vous montre pas mes bleus mais bon je ne me plains pas : ça aurait pu être pire hein et que, vraiment, elle lui était très reconnaissante merci merci mille fois monsieur. 

mardi 4 mars 2014

Tuesday self portrait


"Le verbe isoler signifiait "rendre comme une île", insulariser : on isole une personne ou une chose d'une autre pour l'en séparer, l'en dissimuler ou la mettre en valeur. S'isoler exprime ainsi le désir de se mettre à l'écart (ainsi l'emploie Mme de Sévigné) ou se plonger dans quelque chose (la pratique d'un art, la méditation, la tristesse...), voire acquérir son autonomie ou sa forme propre."
Jacques Pezeu-Massabuau. Les demeures de la solitude.

lundi 3 mars 2014

Home

... car au bout du voyage, il y avait le métro, la station arts-loi etc et cette si grande familiarité, cette si grande impression de rentrer chez moi alors que non : j'en venais. 

dimanche 2 mars 2014

For ever young

C'était pour échapper à l'ennui -il l'avoua ensuite- que l'enfant nous entretint d'immortalité, nous expliquant que, jusqu'à ce qu'il meure, rien ne l'empêcherait de croire qu'il en était doté.
Pendant que je le regardais -ses cheveux fraîchement coupés qui ressemblent à une fourrure et que j'envie, ses yeux si sombres qu'il plisse pour mimer la réflexion, son air buté prêt à la contradiction qui le quittera sans doute quand il n'aura plus l'âge de vouloir toujours avoir raison, sa manière de se tordre sur sa chaise afin de se tenir tout sauf droit, ce qui est le seul point commun avec toi que je lui vois- qu'il était bien étrange d'avoir envie de ne jamais mourir à l'âge où tant de moments déplaisants -les heures de cours, les repas avec nous et d'autres, bien d'autres j'en suis sûre- ressemblent à de petites éternités et qu'il faut beaucoup spéculer sur l'avenir pour se convaincre qu'on aura envie de le vivre longtemps. 
Ce n'est que bien après -après la vaisselle, après le café, après tes baisers, après tes accords de guitare dans la cour ensoleillée- que j'ai réalisé que c'était exactement à son âge que je t'avais rencontré et que, malgré tous les désagréments de mes quatorze ans, j'aurais adoré, à ce moment-là, être immortelle si toutefois j'avais été sûre de pouvoir l'être avec toi. 

samedi 1 mars 2014

Une enquête sentimentale

Vous est-il déjà arrivé de sympathiser avec votre voisin de siège lors d'un voyage ?
Votre alimentation s'est-elle modifiée ces dernières années ? 
Si oui, de quelle manière ?
Y a-t-il des plantes vertes chez vous ?
Ne pas parvenir à vous coiffer comme vous le souhaiteriez influence-t-il votre humeur ?
Avez-vous déjà fait grève ?
Réussissez-vous à dormir partout ?
Etes-vous davantage nomade ou sédentaire ?
Vous reconnaît-on sur vos photos d'enfance ?
Avez-vous un tic gestuel ?
Intimidez-vous les personnes que vous rencontrez ?
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