dimanche 31 janvier 2016

"Aperçu"

est le nom de la touche sur laquelle je clique pour vérifier la mise en page de mes billets avant de les publier, 
est le nom que je donne à la position que je te vois prendre sur le canapé de l'atelier quand tu t'y installes pour étudier le tableau sur lequel tu es en train de travailler. 


samedi 30 janvier 2016

Mon père, lui, avait pensé à Rachel

Je crois que, jusqu'à présent, on ne m'a posé la question que deux fois. Le reste du temps -tout le reste du temps-,  Comme c'est joli !, Ce n'est pas courant !, on m'en complimente alors que, bien sûr, je ne suis responsable de rien.

Jusqu'à présent, donc, seuls deux Espagnols ont pensé à Julio Iglesias en faisant ma connaissance.

Je ne suis pas très au fait du degré de porosité qu'offrait la France à la chanson populaire espagnole en 1970 y compris à un succès de l'Eurovision mais, de toute façon, je suis née en Nouvelle Calédonie de parents peu friands de tubes européens alors j'aurais pu l'affirmer avec certitude sans même demander Tu savais, toi… ? à ma mère : non, je ne m'appelle pas Gwendoline parce que Julio Iglesias a écrit, composé, chanté une chanson que je n'ai jamais écoutée et dont ce que je sais et que j'ai appris dans un livre de Álex Grijelmo consacré à la langue espagnole c'est qu'elle comporte une erreur grammaticale*.

Je peux éventuellement imaginer ma mère capable de s'être fait influencer par un crooner mais par une chanson de l'Eurovision incorrecte grammaticalement 
non.

*
"A pesar que estás lejos/tan lejos de mí" (bien que tu sois loin/si loin de moi) chante Julio alors qu'il devrait dire "A pesar de que estás lejos…"

vendredi 29 janvier 2016

Le cabinet des rêves 264

Je reviens de ? et je vais récupérer ma voiture que j'ai laissée dans un parking toute la journée. 
Il fait nuit, il pleut. 
Quand j'arrive, je m'aperçois que je me suis garée d'une manière qui empêche les voitures garées derrière de sortir. 
J'en suis mortifiée : j'espère que personne n'est resté bloqué par ma faute. 
Je m'aperçois également que la portière côté conducteur est grande ouverte. 
Dans un mélange de crainte (me suis-je fait cambrioler ?) et de résignation (puisque j'étais si mal garée, quelqu'un a peut-être voulu déplacer ma voiture), je m'installe au volant et découvre que les clefs sont déjà sur le contact. 
Manifestement, il n'y a ni dégâts, ni vol. 
Je commence à conduire mais d'une manière très approximative. 
Je ne vois pas bien dans l'obscurité et les freins ne fonctionnent pas bien. 
De plus, je suis assez effrayée de voir, pendant que je conduis, qu'il y a un homme dans le capot : d'une main il saisit les essuie-glaces puis, il s'extirpe de là et profite d'un moment où je ralentis pour sauter sur la route et s'enfuir. 
Je me demande s'il ne s'agissait pas d'un SDF qui s'était installé là comme dans un abri. 

Rêve du 26 janvier 2016

jeudi 28 janvier 2016

Puis un jour et comme

par inadvertance
je sus que
j'avais fait
6806 pas
dans la semaine
111745 
dans le mois
963546
au total

mercredi 27 janvier 2016

intimité



Sur le trottoir ils avancent, tranquilles et nonchalants, discutant, riant et donnant une telle impression de complicité qu'on pourrait imaginer leurs mains jointes plutôt que prises par le sommier à lattes qu'ils sont en train de porter.

mardi 26 janvier 2016

Tuesday self portrait

Un sentiment nouveau se mêlait à son humiliation et à sa rage : le désespoir que nous éprouvons quand nous constatons que, pour intense que soit notre désir, les desseins du monde extérieur n'en tiennent aucun compte. 
Juan José Saer. Glose. 

lundi 25 janvier 2016

MA VIE EST UN ROMAN (fragments d'insularité)

-1-
Tout a commencé un jeudi. Je ne peux pas me tromper de jour, puisque c'est le jeudi et uniquement le jeudi que je vais en ville. Il n'y a que ce jour-là que j'ai pu voir ce que j'ai vu. Je ne vais jamais en ville les autres jours. 
Tout a commencé un jeudi et pour être encore plus précis -car il faudra être précis tout au long de ce récit- c'était le jeudi 31 mars. 
Tout a commencé le jeudi 31 mars à 14h32.
Voilà très précisément ce qui s'est passé. 
Le jeudi 31 mars à 14h32, j'ai vu ma soeur dans le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines, en passant par l'Hôtel de Ville. 
Je vais tout de suite dire quelque chose : ma soeur ne prend jamais le bus, ma soeur ne va jamais en ville. Elle déteste aller en ville. Elle déteste la ville. Elle déteste le bus et elle me dit chaque jeudi matin quand je pars pour la ville et que je vais prendre le bus : "Mais comment fais-tu pour prendre le bus ? Appelle un taxi." Chaque jeudi matin, quand je quitte la maison pour me rendre en ville, ma soeur me rappelle son horreur du bus. Ma soeur me rappelle qu'elle n'a jamais pris le bus, qu'elle ne prendra jamais le bus. Ma soeur me rappelle qu'elle déteste le bus. Je sais pourquoi elle ne prend jamais le bus. Je sais pourquoi elle déteste le bus. Je sais aussi pourquoi elle ne comprend pas que moi je prenne le bus. J'y reviendrai.  
Emmanuel Régniez. Notre château.*
C'était mercredi dernier et, comme tous les mercredis, j'ai pris le bus 351 pour aller en ville où j'allais rendre mes livres à la bibliothèque. La seule différence entre ce mercredi et les autres mercredis c'est que j'ai pris le bus 351 de 8h alors que les autres mercredis, je prends le bus 351 de 9h30. Dans le bus 351 de 8h, nous n'étions pas nombreux et tout le monde semblait encore dormir ou s'éveiller à peine comme était en train de le faire le soleil qui rosissait les flancs et les cimes de la Tramontane que nous longions mais, alors que nous approchions de la ville, la lumière a changé, la journée a vraiment commencé et nous sommes arrivés. 
En haut des escalators, peu de voitures laissaient passer le peu de personnes qui étaient en train de traverser au feu de la plaza España alors que, d'habitude, il y a toujours beaucoup de voitures et beaucoup de personnes et ce mercredi-là, pour la première fois en ville, j'ai entendu mes propres pas quand j'ai traversé au feu de la plaza España alors que, d'habitude, cela n'arrive pas. 
J'ai pris la rue piétonne qui descend vers la rambla et j'ai croisé à peine quelques passants et seulement quelques tables vides, aux terrasses. 
Les grilles de la première bibliothèque étaient closes alors j'ai continué à descendre vers la mer et il y avait encore moins de monde que dans le haut de la ville, c'est à dire qu'il n'y avait plus personne et mes talons continuaient à claquer comme dans une ville la nuit comme dans un film où ce bruit laisse présager le pire. Dans l'avenue Jaime III, j'ai croisé deux chiens sans laisse et maigres et deux personnes plus loin, qui pouvaient être leurs maîtres mais qui pouvaient aussi ne pas l'être
La deuxième bibliothèque était fermée. 
Alors j'ai rebroussé chemin, j'ai repris l'avenue Jaime III, j'ai repris la petite rue piétonne qui monte, j'ai recroisé la rambla, j'ai repris l'autre rue piétonne et, j'ai retraversé la plaza España  jusqu'à la station dont j'ai descendu les escalators et dans laquelle je suis remontée dans le bus 351 qui s'apprêtait à partir parce qu'il était 9h28 et que c'était le bus 351 de 9h30 et il est parti et je suis rentrée à la maison, avec mes livres. 

A la fin de la journée, quand j'ai repensé à son commencement, j'aurais pu jurer que rien de tout cela ne s'était passé, que j'avais tout inventé. 




*
A son roman, Emmanuel Régniez a ajouté une collection de photographies fantomatiques du peintre Thomas Eakins. Sur l'avant-dernière d'entre elles, une femme ressemble de manière presque effrayante à l'une de mes soeurs.

dimanche 24 janvier 2016

De beaux lendemains

Nous sommes rentrés dans la nuit mais il ne faisait ni encore tard ni encore froid et la vitrine de tapas du bar se remplissait à peine au rythme des allées et venues de la cuisinière au moment où nous en étions partis et malgré l'heure si peu tardive nous habitait une impression d'aventure joyeuse parce  qu'aller là-bas que ce soit le jour que ce soit la nuit c'est un peu comme rendre visite à notre avenir. 

samedi 23 janvier 2016

Poème de table en version originale (sous-titrée*)




A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.

Poema de mesa


Un café en la rambla, un americano
un jueves ordinario, un mañana temprano.
Parejas, solitaria, solitario
todos bebimos en silencio.
Detrás de los cristales el día
empieza para
la gente que tiene prisa.
Esta mañana pienso
que mi verdadero lujo
es de ir a ningún sitio
quedarme aquí si lo quiero
porque lo que tengo : todo el tiempo.


Un café sur la rambla, un allongé
un jeudi ordinaire, un matin tôt. 
Des couples, une solitaire, un solitaire
tous nous buvons en silence. 
Derrière les vitres le jour
commence pour 
les gens pressés. 
Ce matin je pense 
que mon vrai luxe
est de n'aller nulle part
de rester ici si je veux
parce que ce que j'ai : tout mon temps. 

vendredi 22 janvier 2016

Le cabinet des rêves 263

Je m'aperçois que l'examen que je vais passer comporte une épreuve de grec. Or, il me semble que je n'ai pas suivi ce cours jusqu'à présent. 
Je n'en suis pas sûre : ce serait plausible aussi que j'y sois allée mais que je ne m'en souvienne pas. 
Je suis un peu gênée par cette situation mais, pour m'en assurer, je vais demander au prof s'il m'a déjà vue à son cours. 
Il me dit qu'il est juste sûr de ne pas m'avoir vue au cours précédent mais aux autres, il ne sait plus. 
Il s'agit du dernier cours et il a parlé d'aller boire un café avec la classe ensuite. 
Je suis un peu inquiète quant à mes chances de réussite : je n'ai jamais fait de grec. 
J'utilise le livre d'A.S.
Glissée entre deux pages, je vois une feuille sur laquelle elle a écrit qu'elle regrette de ne pas pouvoir passer le concours de l'ENS pour des motifs d'argent. 
Je m'installe à une place en cours. Je voudrais pouvoir compter sur l'assistance de ma voisine en cas de besoin. 
Or, je m'aperçois que je comprends tout. 
Aussi facilement que si la page était écrite en français. 

Rêve du 22 décembre 2015

jeudi 21 janvier 2016

Tout ça

Prenez quelqu'un qui est en train d'apprendre votre langue -cette expérience exige que votre langue soit la langue française-, qui en est au début de son apprentissage de votre langue. Quelqu'un qui apprend que le mot lapin est masculin mais qui vient d'apprendre aussi que parler au singulier ou au pluriel n'a pas toujours le même sens. Quelqu'un qui sait que dire J'aime le lapin ou dire J'aime les lapins ne signifie pas la même chose. Prenez quelqu'un dont la langue ne précise pas que glace et fraise sont des mots féminins ou dont la langue -cela peut arriver- fait parler de la glace ou de la fraise au masculin.
Constatez la panique qui le gagne rapidement quand il s'agit de parler de ses goûts, qu'il s'agit d'agencer des articles et des noms qu'il doit accorder selon leur genre et leur nombre. 
Maintenant, dites-lui que, aux questions Tu aimes la glace à la fraise ? Vous aimez les voitures décapotables ? Les longs voyages en train ? Tu aimes les jours où il pleut du matin au soir ? Tu aimes les chiens à poil long ? Et les chats siamois ? mais aussi aux questions Vous aimez jouer au ping-pong même quand vous perdez ? Tu aimes manger en pleine nuit parce que tu te réveilles en ayant faim et que tu sais que sinon tu ne pourras pas te rendormir ? Tu aimes emprunter régulièrement de nouveaux itinéraires plutôt que prendre toujours le même chemin ? (…)
, il peut, dans tous les cas, répondre -au choix- Oui, j'aime ça/Non, je n'aime pas ça.
Insistez sur ÇA. Précisez bien que masculin, féminin, singulier, pluriel, verbes à l'infinitif… Tout est ÇA, ce mot de deux lettres, même pas difficile à orthographier.
Constatez maintenant son soulagement, la tension de ses épaules qui se relâche, sa bouche qui se décrispe, la gratitude qui se lit dans son regard.

Un autre jour, il faudra préciser à cette personne que, bien malheureusement, Je suis confusé n'existe pas, en français. Que C'est confusant n'existe pas, en français. Que Je confonds ne signifie pas exactement ce qu'elle veut dire. Que c'est Je me trompe que, souvent, on dit au passé composé, Je me suis trompé(e) avec l'auxiliaire être parce que c'est un verbe pronominal. Passez sous silence pour l'instant les règles d'accord du participe passé avec l'auxiliaire être. En revanche, n'attendez pas pour préciser que Je suis confus(e) ne veut pas dire qu'on se trompe dans le choix des mots, que Je suis confus(e) signifie qu'on est embarrassé. Ainsi, il arrive d'être confus(e) de s'être trompé(e)

Quant à vous, qui apprenez l'espagnol, méfiez-vous toujours des mots qui ressemblent au français. Si vous êtes une femme, ne soyez pas tentée de dire que vous êtes embarazada pour traduire votre embarras : vous seriez en train d'annoncer votre grossesse et devoir démentir l'information, ÇA, cela pourrait être vraiment embarrassant.

mercredi 20 janvier 2016

Hasard et coïncidence en version originale (sous-titrée)

Le lendemain, il va au travail, il est correcteur d'épreuves dans un journal qui est sur le point de fermer. Il travaille de huit heures du matin à dix heures du soir.
2 Pourquoi est-il important de savoir où il travaille ? Ne devrais-je pas me limiter à la relation qu'il entretient avec Raquel ? Remplir le conte avec un tas de détails insignifiants uniquement pour donner l'impression que les personnages sont réels. Qu'ils ont une vie en plus des choses qu'on fait au lit.
Traduction libre d'un extrait* de Fotos tuyas cuando empiezas a envejecer. (Des photos de toi quand tu commences à vieillir) de Maximiliano Barrientos.


Si alguien, alguna vez, lee un libro después de haber descubierto una cita aquí, nunca lo sé. No me importa de verdad. Es el juego. Pero yo, si me gusta un libro que descubierto gracias a alguien, me gusta decírselo, agradecérselo.
Es después haber leído un fragmento en el blog de Javier Cánaves que he cogido el libro de Maximiliano Barrientos en una de las bibliotecas de Palma. Cuando he llegado a la página citada por Javier, he visto que ésta llevaba marcas de bolígrafo, exactamente como aquella que había fotografiado.
No solo he leído un autor que le gusta pero, además, he leído el mismo ejemplar que leyó, él.
Creo que es la primera vez que me ocurre algo así.


Si, à l'occasion, quelqu'un lit un livre après en avoir découvert une citation ici, je ne suis jamais au courant. Ce n'est pas très important. C'est le jeu. Mais moi, si j'aime un livre que j'ai découvert grâce à quelqu'un, j'aime bien le lui dire, l'en remercier.
C'est après avoir en avoir lu un fragment sur le blog de Javier Cánaves que j'ai emprunté le livre de Maximiliano Barrientos dans l'une des bibliothèques de Palma. Quand je suis parvenue à la page citée par Javier, j'ai vu qu'elle portait des traces de stylo, exactement comme celle qu'il avait photographiée. Non seulement j'ai lu un auteur qui lui plait mais, en plus, j'ai lu le même exemplaire qu'il a lu, lui.
Je crois que c'est la première fois qu'une telle chose m'arrive.



*A la mañana siguiente va al trabajo, es corrector de pruebas en un periódico que está a punto de cerrar. Trabaja desde las ocho de la mañana hasta las diez de la noche. 
2  ¿Por qué es importante saber dónde trabaja? ¿No debería limitarme a la relación que sostiene con Raquel? Llenar el cuento con un montón de detalles irrelevantes únicamente para dar la impresión de que los personajes son reales. De que tienen vida además de las cosas que se hacen en una cama.

mardi 19 janvier 2016

Tuesday self portrait

Regardez-les prendre un café à l'Irish. 
Il y a deux couples aux tables du deuxième étage, un groupe d'amis à une autre. Le bar est pratiquement vide, c'est mercredi. Personne ne se souvient de ce moment mais c'est ainsi que cela se passe presque toujours, personne ne peut sélectionner à volonté les souvenirs, ils ne restent pas par ordre d'importance, simplement quelques uns persistent et d'autres non. 
Ils parlent de l'université, de ce qu'ils veulent faire après. Ils parlent de lieux qu'ils aimeraient connaitre, de villes où ils aimeraient vivre. Ils parlent de la vieillesse, ils n'ont pas connu leurs grands-parents. Ils parlent de la mort, de longues maladies peu douloureuses. Claudia veut fumer une cigarette mais elle n'en a pas et ne pense pas à bouger de là où elle est assise. Ils parlent de personnes qu'ils n'ont pas vues depuis des années. Ils parlent de comment ils verraient le monde s'ils étaient nés dans d'autres familles, dans d'autres pays. Ils parlent de comment ils verraient le monde s'ils n'avaient pas dix-huit ou dix-neuf ans.
Traduction libre d'un extrait* de  Fotos tuyas cuando empiezas a envejecer. (Des photos de toi quand tu commences à vieillir) de Maximiliano Barrientos.


*Véanlos tomando un café en el Irish.
Hay dos parejas en las mesas del segundo piso, un grupo de amigos en otra. El bar está prácticamente vacío, es miércoles. Ninguno recuerda este momento, pero así sucede casi siempre, nadie puede seleccionar a voluntad los recuerdos, no permanecen por grados de importancia, sencillamente algunos persisten y otros no.
Hablan de la universidad, de lo que quieren hacer una vez que terminen. Hablan de lugares que les gustaría conocer, de ciudades en las que les gustaría vivir. Hablan de la vejez, no llegaron a conocer a sus abuelos. Hablan de la muerte, de enfermedades largas y poco dolorosas. Claudia quiere fumar un cigarrillo pero no tiene ninguno y no piensa moverse de donde está sentada. Hablan de personas a las que no ven en años. Hablan de cómo verían el mundo si hubieran nacido en otras familias, en otros países. Hablan de cómo verían el mundo si no tuvieran dieciocho y diecinueve años.

lundi 18 janvier 2016

L'océan Méditerranée (fragments d'insularité)

dans la nuit éveillée dans le lit à me demander mais quel est ce bruit et penser et à moitié rêver on dirait un tsunami

dans la journée sortir marcher encore ce bruit ah oui c'est vrai mais qu'est-ce que c'est et voir bien éveillée que la mer s'est déguisée  
en Atlantique


dimanche 17 janvier 2016

samedi 16 janvier 2016

Como Julio

Pouvait-il vraiment s'en étonner, Alberto, alors qu'il m'entend parler dans sa classe depuis trois mois, quand il me répondit Ah oui, vraiment ? quand je lui dis comme une évidence, sans penser que cela pouvait lui faire l'effet d'une révélation, Je n'ai jamais été capable de rouler les r, après qu'il ait tenté en vain de me faire prononcer correctement le mot chien qui, en espagnol, en comporte deux ?
Je ne lui ai pas dit mais mon vrai maître
y compris pour la prononciation
 c'est Cortázar. 


vendredi 15 janvier 2016

Le cabinet des rêves 262

Ce dont je me souviens : dans mon rêve, je cueillais des fleurs de pommes de terre et pressais avec satisfaction la pleine brassée bleu pâle contre moi; sur la glèbe gluante. Gris lin, l'horizon circulaire; la forme comme soufflée en fumée d'un très ancien camarade d'école haï en surgit : d'en haut, je fondis aussitôt sur lui et frappai, allez, zou, dans un arbre avec lui, du vent ! (Il remâcha longtemps ce morceau mais le digéra; et fut de nouveau debout, moyennement ferme.) (Puis j'eus un besoin pressant, avec les embûches bourgeoises-pénibles qui sont de règle dans le rêve; jusqu'à ce que je me réveille et me dépêche d'y aller.)
Arno Schmidt. Histoires
M. a la tête posée sur mes genoux. 
Quand il l'en soulève, je vois des taches sombres. 
Je comprends que c'est la couleur noire de ses cheveux qui déteint et je sais enfin pourquoi il y a si souvent des taches sur mes pantalons.

Rêve du 19 novembre 2015 

jeudi 14 janvier 2016

La visite

C'est l'histoire d'une femme, une femme comme vous et moi enfin si vous êtes une femme et, d'ailleurs, peut-être pas tant que ça comme moi, moi qui en suis une pourtant.
C'est l'histoire d'une femme plus proche d'un écran que du plateau d'une télévision si vous voyez ce que je veux dire.
C'est l'histoire d'une femme fatiguée qui aimerait être un ours, rester au lit, dire pouce, déclarer forfait.
L'histoire d'une femme qui, pourtant, a encore la force de se lever pour aller ouvrir la porte à qui y sonne.
C'est l'histoire d'une femme qui reçoit la visite de Romy Schneider. Oui : l'actrice. Oui : l'actrice morte. Romy Schneider, rien que ça.
C'est l'histoire d'une femme qui se remet debout, qui relève le menton, qui aime ce qu'elle voit venir.

J'ai rencontré Chantal Pelletier autrement qu'en la lisant mais La visite fut le premier de ses romans qu'elle mit entre mes mains il y a maintenant plus de dix ans.
Depuis, quand elle publie, elle pense toujours à moi.
Il n'y a pas de sonnette à ma porte et ce n'était pas une vraie visite, ce n'était pas Romy Schneider mais la factrice venue m'apporter le livre que Chantal a consacré à Simone Signoret. 
Une femme comme Chantal : qui me fait me redresser sans me dire Tiens-toi droite. Qui me fait regarder loin devant et aimer ce que j'y vois.
Un jour, une productrice m'a demandé de réfléchir pour la télévision au portrait d'une figure féminine française du XXe siècle. En me baladant parmi les écrivains, résistantes, politiciennes, scientifiques, prix Nobel et autres défricheuses qui avaient dégagé à coups de machettes l'inconfortable hors-piste des femmes pour le rendre plus praticable, j'ai rencontré Simone de plus près. Son parcours du coeur battant m'a rendue perplexe, m'a agacée parfois, étonnée le plus souvent, puis, peu à peu, la femme m'a épatée. J'ai regretté de ne pas l'avoir connue, j'aurais aimé avoir pour amie celle qui faisait preuve d'un tel amour de l'amitié, et j'ai eu envie de mettre en mots les rêveries que m'a inspirées cette femme puissante qui a bravé beaucoup de tabous, a osé ce que personne n'avait osé avant elle et que personne n'osa après elle.  
Chantal Pelletier. Signoret ou la traversée des apparences

mercredi 13 janvier 2016

"L'étymologie comme forme de pensée" (1)

… à part ça, je pense aussi Un té a la mente, por favor, pour me souvenir que mente (3) est un mot féminin. 


(1)
J'emprunte son titre à l'article de Francisco García Jurado dont je traduis librement un extrait (2) : 

L'étymologie est la première manifestation de réflexion linguistique, aussi ancienne que le langage lui-même, et son intérêt nait d'une question qui, bien qu'elle semble avoir été tout à fait résolue par la science moderne du langage, ne cesse d'être en vigueur encore de nos jours : "la relation entre les mots et les choses qu'ils désignent", c'est à dire, l'imperceptible pont qui unit le langage et la réalité qu'il désigne.

(2)
La etimología es la primera manifestación de reflexión lingüística, tan antigua como el proprio lenguaje, y su interés nace de una cuestión que, si bien parece haber sido resuelta del todo por la moderna ciencia del lenguaje, no deja de tener aún hoy día vigencia : "la relación entre las palabras y las cosas designadas por aquéllas", es decir, el imperceptible puente que une el lenguaje con la realidad que designa.

(3)
Mente signifie esprit. (4)
Menthe se dit menta


(4)
du latin mens, mentis
D'où la démence, (du latin classique dementia, de de- privatif et mens « esprit, intelligence ») aussi.

mardi 12 janvier 2016

Tuesday self portrait

Nous passons des heures, chaque jour à donner à nos corps et aux choses qui nous entourent des formes, des couleurs, des odeurs différentes de celles qu'ils devraient avoir naturellement. Nous voulons vraiment cette étoffe, cette coupe, cette couleur et ces rayures. Nous faisons tout ce qu'il faut pour qu'il y ait des odeurs; et sur notre peau, comme sur notre visage et notre corps, nous traçons des signes, des couleurs autour de nos yeux; nous peignons nos ongles comme s'il s'agissait de marques, de talismans efficaces dont dépend notre futur. 
Il ne s'agit pas d'une obsession pour l'image de soi. Le soin de soi et le soin du monde ne se confondent pas avec une activité immatérielle ou contemplative : ce n'est pas davantage une "pratique" ou une action; ces soins se ramènent à une activité ininterrompue de production de réalités sensibles. Tout ce que nous créons, comme tout ce que nous produisons, est fait de matière sensible : outre nos propres mots, cela vaut pour le tissu des choses dans lesquelles nous objectivons notre volonté, notre intelligence, nos désirs les plus violents, nos imaginations les plus disparates. 
Le monde n'est pas une simple extension, il n'est pas non plus une collection d'objets et on ne saurait davantage le reconduire à une pure et simple possibilité abstraite d'existence. Etre-au-monde signifie avant toutes choses être dans le sensible : s'y déplacer, le faire et le défaire sans interruption. 
La vie sensible n'est pas seulement ce que la sensation éveille en nous. C'est à la fois la manière par laquelle nous nous donnons au monde, la forme qui nous permet d'être dans le monde (pour nous-mêmes et pour les autres) et la voie par laquelle le monde se fait pour nous connaissable, praticable, vivable. Ce n'est que dans la vie sensible qu'un monde s'offre à nous, et ce n'est comme vie sensible que nous sommes au monde.  
Emanuele Coccia. La Vie sensible

lundi 11 janvier 2016

L'immobilité (fragments d'insularité)

Mon ami Toni Viler parle pour toute la classe paysanne insulaire quand il revendique le Ici, le droit de ne pas bouger. Il y a peu, un paysan de la plaine pouvait vivre et mourir sans avoir vu la mer. 
Le tourisme a seulement renforcé l'impression que tout arrive, qu'il ne faut pas partir le chercher; si on n'attrape pas ceci, on attrape autre chose. 
(…) A Majorque, il y a le cas curieux des migrants qui ne migrent pas, des gens qui ont abandonné leur terre mais pas leur territoire; qui ont pu voir le monde et faire fortune sans sortir de l'île.
Discutant avec Toni Viler sur le fait de ne pas bouger, un visiteur allemand lui dit :
-Mais Toni, si je n'avais pas voyagé jusqu'ici, nous n'aurions pas eu cette conversation.
-Et si je n'étais pas resté ici, tu ne m'aurais pas rencontré. 
Traduction libre d'un extrait de Un hogar en Mallorca (Un foyer à Majorque) de Tomás Graves.
Les serveurs de la terrasse ensoleillée se succèdent mais tous, ils finissent -plus ou moins rapidement- par savoir que ma commande ne varie jamais et ils me l'apportent sans plus me demander de la confirmer. 
Les clients, autour de moi, ne devinent pas ma fidélité car, eux, ne font que passer. 
Ils déploient leurs cartes en même temps qu'ils consultent la carte, ils les écartent quand on leur apporte leurs plats.
Ils me voient moins que moi, eux, je ne les vois.
Je suis l'invisible témoin de la manière de manger de nombreuses nationalités. 

dimanche 10 janvier 2016

Ma double vie

En l'absence de toi, (1) je fais des provisions d'aventures, d'anecdotes, que je te relate quand on se retrouve ou quand j'écris les rédactions (2) que tu m'aides à corriger.
Pour voir les premières fleurs des amandiers, nous étions heureusement ensemble : je n'aurais pas su te les raconter.
(1)
alors même que, parfois, tu es juste à deux pas de moi,

(2)
par exemple :

El ánimo y el desánimo (3)
El martes, hemos ido a Palma, mi novio y yo. Como siempre, hemos ido a las bibliotecas de la ciudad pero, además, también hemos ido a algunas librerías. 
A dos cuyas especialidad son los idiomas porque estaba buscando una gramática española, a una que vende cómics porque mi novio debería comprar unos mangas. Y, al fin, a Babel porque… porque es Babel y solemos ir allí. 
En la biblioteca Can Sales, he cogido una gramática de nivel A1-A2. Desde dos días, reviso lo que ya tengo que saber pero que, a veces, todavía no sé. 
Hoy, estoy en la unidad 7, al asunto de los verbos irregulares al presente del indicativo. Hay unas viñetas donde una chica habla con el chico con quien comparte el piso mientras esta mirando dentro de la nevera. Le pregunta : "¿Qué tal tus clases de inglés?". Y él responde : "Bien. Ya entiendo un poco más, pero siempre repito los mismos errores." Y yo, me siento igual. Tan optimista como deprimida. 
Es por eso que necesito de verdad esta gramática básica pero también es por eso, además de haber comprado esta, he comprado una gramática del nivel B1. 
En la libreria de comics, había mucha gente. En gran mayoría : jóvenes. Mientras mi novio estaba buscando mangas, he mirado un cómic de un dibujante español que se llama Alberto Madrigal y que me parecía muy bonito. Pero no lo he comprado porque ya había comprado una gramática y soy una chica muy seria. 
En Babel también había mucha gente pero menos jóvenes. Mi novio se ha quedado en la primera parte de la tienda, leyendo el empiezo de un libreto de Flaubert. Después, me lo ha hecho leer porque lo pensaba divertido y lo estaba de verdad. 
Yo, llegando a la segunda parte de la libreria, he visto a un escritor que me gusta mucho, Agustín Fernandez Mallo, que estaba delante la estantería de filosofía. Como estaba solo, no he reflexionado, he ido a hablar con él sin pensar antes en lo que iba a decirle. 
En ese momento, estaba muy satisfecha de la aventura mía. Agustín tenía pinta de estar sorpresa pero ha sido encantador conmigo y, al final, me ha parecido contento de este encuentro. 
Sin embargo, después, cuando he contado todo esto a mi novio, me he sentido bastante deprimida porque había hecho los mismos errores de siempre y he empezado a pensar que, si Agustín había parecido contento, no estaba porque me había encontrado pero porque era el fin de la conversación y podía, por fin, irse de la librería, lejos de la loca francesa que le había hablado de no sabía que. 

(3)
Le courage et le découragement
Mardi, nous sommes allés à Palma, mon amoureux et moi. Comme toujours, nous sommes allés dans les bibliothèques de la ville mais, en plus, nous sommes aussi allés dans des librairies. 
Dans deux dont la spécialités sont les langues parce que je cherchais une grammaire espagnole, dans une qui vend des bandes dessinées parce que mon amoureux devait acheter des mangas et, enfin, à Babel parce que… parce que c'est Babel et que nous en sommes des habitués. 
A la bibliothèque Can Sales, j'ai emprunté une grammaire du niveau A1-A2. Depuis deux jours, je révise ce que je dois déjà savoir mais que, parfois, je ne sais pas encore. 
Aujourd'hui, j'en suis à l'unité 7, au sujet des verbes irréguliers au présent de l'indicatif. Il y a une illustration où une fille parle avec le garçon avec qui elle partage son appartement en même temps qu'elle regarde dans le frigo. Elle lui demande "Ça va, tes cours d'anglais ?". Et il répond : "Oui. Je comprends déjà un peu mieux mais je fais toujours les mêmes erreurs." Et moi, je me sens comme lui. Aussi optimiste que déprimée. 
C'est pour cela que j'ai vraiment besoin de cette grammaire basique mais c'est pour cela aussi que, en plus d'avoir acheté celle-là, j'en ai acheté une autre du niveau B1.
Dans la librairie de bandes dessinées, il y avait beaucoup de monde. En grande majorité : des jeunes. Pendant que mon amoureux cherchait ses mangas, j'ai regardé un album d'un dessinateur espagnol du nom de Alberto Madrigal et qui me paraissait très beau. Mais je ne l'ai pas acheté parce que j'avais déjà acheté une grammaire et que je suis quelqu'un de sérieux. 
A Babel aussi, il y avait beaucoup de monde mais moins de jeunes. Mon amoureux est resté dans la première partie de la librairie, à lire le début d'un petit livre de Flaubert. Après, il me l'a fait lire parce qu'il le trouvait amusant et il l'était, en effet. 
Moi, quand je suis arrivée dans la seconde partie, j'ai vu un écrivain que j'aime beaucoup, Agustín Fernandez Mallo, qui était devant le rayon de philosophie. Comme il était tout seul, je n'ai pas réfléchi, je suis allée lui parler sans penser à ce que j'allais lui dire. 
A ce moment-là, j'étais très satisfaite de mon aventure. Agustín avait l'air surpris mais il a été charmant avec moi et, finalement, il m'a semblé content de cette rencontre. 
Cependant, plus tard, quand j'ai raconté tout cela à mon amoureux, je me suis sentie assez déprimée parce que j'avais fait les mêmes erreurs que toujours et j'ai commencé à penser que, si Agustín avait semblé content, ce n'était pas parce qu'il m'avait rencontrée mais parce que la conversation s'achevait et qu'il pouvait enfin s'en aller, loin de la française folle qui lui avait parlé de il ne savait pas quoi. 

samedi 9 janvier 2016

Le détachement

Notre vie est tournée vers la lecture, notre vie est pour la lecture. Ce que nous aimons faire ma soeur et moi, c'est nous lire à voix haute des extraits des livres que nous sommes en train de lire. Le soir, dans la bibliothèque, nous nous retrouvons et nous nous faisons la lecture. Nous n'écrivons jamais dans nos livres, nous ne les annotons pas, nous ne cornons pas les pages. Nous avons des fiches bristol sur lesquelles nous recopions le passage retenu. Nos livres sont vierges de toute annotation. Nous avons ainsi de nombreuses boîtes remplies de fiches, témoins de nos lectures, témoins de nos amours. Quand je vois ces boîtes, quand je vois ces fiches, je me dis que Véra et moi nous sommes des écrivains. Depuis vingt ans, Véra et moi passons notre temps à lire et à écrire. Et nous avons dans ces boîtes le grand roman de nos lectures. Un grand roman fantôme, rempli des voix des autres, capturées par nous. 
Et peut-être un jour serons-nous aussi des fantômes : ces anciens bibliothécaires qui ne peuvent quitter leur profession et qui, bénévoles, continuent à errer parmi les rayons des bibliothèques.  
Emmanuel Régniez. Notre château
Il m'arrive d'y penser au moment d'en faire entrer un dans mon lit mais pas seulement, j'y pense souvent : où est-il allé avant que je le rencontre ?, où ira-t-il quand j'en aurai fini avec lui ?, qui l'aimera dès le premier coup d'oeil autant que moi ?, ou finira par le détester, par le délaisser pour un autre ? ou encore : conviendra-t-il à quelqu'un puisque, à moi, pas tant que cela ?
Notre relation dure deux ou trois semaines, parfois moins si je nous trouve incompatibles  et sa brièveté, sa date de fin programmée, me la fait consommer sans tarder.
Je ne suis pas volage : j'aime surtout qu'ils ne s'installent pas chez moi, qu'ils fassent partie de ma vie, pas des meubles. 

Mes livres que je vais donner à la bibliothèque, je les regarde comme des oiseaux que je pousserais au-dehors de leur cage. 

vendredi 8 janvier 2016

Le cabinet des rêves 261

Le cours d'espagnol est assuré par une remplaçante. 
Je souhaite bon voyage à A. qui s'en va. 
Le cours se termine un quart d'heure avant. 
Je voudrais dire C'est dommage mais je ne sais pas comment le dire. 
La remplaçante me l'apprend. 
Je pense Il faut que je l'écrive sinon je l'oublierai.

Rêve du 3 décembre 2015

jeudi 7 janvier 2016

Une recette personnelle

Je n'ai aucun mérite mais l'immense avantage de posséder une langue maternelle cousine. C'est pourquoi la grammaire ne me demande (presque) aucun effort, c'est pourquoi je m'acquitte toujours de mes exercices plus vite que les autres, c'est pourquoi, quand je les regarde écrire, je pense à ce qu'ils sont en train de se dire -en pakistanais, en brésilien, en ukrainien, en anglais, en néerlandais, en allemand, en russe, en italien- dans ces langues que je ne connais pas.
Nous avons beau partager une même classe, notre apprentissage reste une histoire personnelle, une cuisine très intime qui ne parle qu'à nous. 
C'est pourquoi personne d'autre que moi ne pense à une tarte aux mûres pour se souvenir que paredes est un mot féminin (1).
C'est pourquoi également la composition écrite sur la brique de lait (2) ne fait rire que moi. (3) 

(1)
Las paredes signifie : les murs

(2)
Leche de vaca entera. 
(3) 
Avant de savoir que leche est un mot masculin, je comprenais : lait de vache entière. 

mercredi 6 janvier 2016

noir

était
le thé, et anglais, que je fis infuser pendant que je lisais la biographie de Leonora Carrington
Mon adolescence avait le parfum des muffins qui n'étaient pas encore une mode (1) mais un parti pris (2), quand trouver une recette tenait de l'investigation (3). J'y versais un peu de lait ou y faisais couler une rondelle de citron (4) : il était hors de question que je ne réussisse pas, un jour, à aimer le thé.
Finalement, me dis-je en me resservant : j'ai toujours exercé mon palais davantage à la dégustation qu'à la prononciation. 

(1)
car, plus tard, il fallut les cuisiner de toutes les couleurs ou y ajouter des fleurs
pour encore un peu étonner. 

(2) 
un parti pris et une éducation très littéraire. 

(3)
plus tard, bien plus tard, il y eut internet pour parvenir à la formule inratable
illustrée, il y a longtemps, par Gaëlle Charlot. 

(4)
pour renoncer, vite, très vite, à toutes fioritures : du thé et rien d'autre, il fallait bien reconnaître que je n'avais rien d'une Anglaise. 

mardi 5 janvier 2016

Tuesday self portrait

A ce moment-là, il connut aussi une femme. C'était la colocataire d'un ami et il eut l'occasion de la voir fréquemment ces jours-là, souvent assise à la table de la salle à manger de la maison qu'elle partageait avec son ami, étudiant des livres de médecine dont les illustrations lui faisaient penser aux cartes d'un pays dévasté. Il ne pouvait pas croire qu'il avait cela à l'intérieur de lui; d'une certaine manière, il était convaincu que son corps était quelque chose de compact, un tas de chair de couleur rose, qui tremblait quand il avait froid, lâchait des odeurs ou sursautait d'indignation quand il se souvenait, quand quelque chose du pays qu'il avait laissé revenait à sa mémoire. Une fois, il lui dit, à elle, qu'il ne croyait pas qu'il y avait cela, que, pour lui, l'estomac ou les poumons étaient inventés. Elle le regarda et lui demanda ce qu'il croyait qu'il avait et lui répondit qu'il imaginait qu'il avait seulement de la chair, de la chair partout et, quelque part, un organe qui était l'organe de la mémoire et, ajouta-t-il, si elle pouvait le lui enlever, s'il y avait une opération qui libérait un patient de sa mémoire, pas pour la détruire mais pour la conserver comme souvenir et enseignement pour les autres, il se livrerait volontiers à elle, à condition que sa mémoire soit conservée dans un endroit auquel il pourrait accéder une ou deux fois par an afin de se souvenir de tout ce qui lui était arrivé et avoir, ainsi, la conviction que tout ce qui se passerait à partir de là pourrait seulement être mieux que ce qui lui était déjà arrivé. 

Traduction libre d'un extrait* de El mundo sin las personas que lo afean y lo arruinan (Le monde sans les personnes qui l'enlaidissent et le détruisent) de Patricio Pron. 

*
En ese tiempo conoció también a una mujer. Era la compañera de piso de un amigo y tuvo oportunidad de verla con frecuencia en esos días, a menudo sentada a la mesa del comedor de la casa que compartía con su amigo estudiando libros de medicina, cuyas ilustraciones le parecían los mapas de un país devastado. No podía creer que él tuviese eso dentro de sí; de alguna forma, había estado convencido de que su cuerpo era algo compacto, un montón de carne de color rosado que temblaba cuando tenía frío, soltaba olores o se estremecía de indignación cuando él recordaba cosas, cuando algo del país que había dejado regresaba a su memoria. Una vez le dijo a ella que él no creía que tuviese eso, que, para él, el estomago o los pulmones eran inventos. Elle lo miró y le preguntó qué creía que él tenía, y él respondió que imaginaba que tenía sólo carne, carne por todas partes y en algún sitio un órgano que era el órgano de la memoria, y, agregó, si pudiese quitárselo, si hubiese una operación que apartase de un paciente su memoria, pero no para destruirla sino para conservarla como recuerdo y enseñanza para otros, él se entregaría gustoso a ella, a condición que su memoria fuera conservada en un sitio al que él pudiese acceder una o dos veces al año para recordar todo lo que le había sucedido y ratificarse así en la convicción de que todo lo que pasase de allí en adelante sólo podría ser mejor que lo acontecido en el pasado. 

lundi 4 janvier 2016

L'autorisation de sortie (fragments d'insularité)

"C'est ici qu'apparait avec toute son intensité l'expérience de la maison. Maintenant, plus seulement comme refuge contre le froid atmosphérique mais aussi comme refuge contre la glace métaphysique. La séparation intérieur-extérieur, déterminée par les murs et le toit, en plus d'être relative, ne suppose ni l'enfermement ni l'isolement mais, au contraire, la condition de la possibilité de la sortie."* 

Ce n'est pas seulement parce que l'humidité, le froid de la maison me mettent dehors que je tarde tant à rentrer : c'est aussi parce que, quand le ciel fait des merveilles, je ne me résous pas à le laisser seul dehors.
*Aquí es donde aparece con toda intensidad la experiencia de la casa, ahora ya no tan sólo como refugio ante el frío atmosférico, sino también como refugio ante el hielo metafísico. La separación dentro-fuera determinada por las paredes y por el tejado, además de relativa, no supone ni cierre ni aislamiento, sino al contrario, la condición de posibilidad de la salida. 
Josep Maria Esquirol. La resistencia íntima

dimanche 3 janvier 2016

L'élection

Sur nos lieux de pause 
-parcs, cafés, terrasses- tu sors ton carnet,
regardes autour de toi comme un entomologiste dans un pré : 
lequel, laquelle, lesquels… sauront garder la pose
sans deviner que tu es en train de les dessiner. 

Quand je m'aperçois 
que c'est moi
que tu as choisie
je rosis 
:
tes coups de crayon
me font l'effet d'une déclaration.
(toujours autant qu'à Bruxelles où tu as commencé à me dessiner, 
où tout a commencé)

samedi 2 janvier 2016

L'héritage

Il y a ces photos qui montrent votre vie comme celle de quelqu'un d'autre. Bien sûr, vous vous reconnaissez, vous identifiez peut-être certains éléments du décor, des personnes autour de vous mais l'histoire que le cliché illustre, vous ne pouvez pas davantage la deviner que si elle concernait un parfait inconnu, il faut vous la rapporter comme si vous ne l'aviez pas vécue.       

La légende veut que, lorsque j'avais environ trois ans et que mon père rentrait du travail, j'avais la coutume de m'installer sur ses genoux pendant que, lui, avait celle de boire une bière. On raconte que cette photo fut prise juste après que j'ai eu trempé ma langue dans le verre mais, comme elle date de la préhistoire de mes souvenirs, je ne peux rien ajouter au récit de ce qui fut ma première expérience de l'alcool. 
Si la qualité d'une cave sert d'unité de mesure, alors je peux le dire : mon père aimait vivre. Chacune de ses bouteilles que j'ai bues depuis sa mort fut une petite épiphanie. 

vendredi 1 janvier 2016

Le cabinet des rêves 260

J'ai rendez-vous dans un bureau social de la mairie pour voir un psychologue. 
Le bureau n'est pas loin de la maison mais si je ne pars pas immédiatement, je risque de ne pas être à l'heure au rendez-vous, ce que je veux absolument éviter. 
Or, je ne parviens pas à trouver une paire de chaussures m'appartenant dans la maison. 
Il y a énormément de paires, essentiellement féminines (je ne sais pas pourquoi, je pense : elles appartiennent toutes à des amies de M. ?), répandues dans un désordre total au rez-de-chaussée, aussi bien sur des bancs que par terre ou dans des casiers dévolus à cet effet. 
A chaque fois que je pense avoir trouvé mes chaussures (je cherche à les repérer grâce à leurs couleurs : orange ou rouge), soit ce ne sont pas elles, soit je n'en trouve qu'une, pas la paire. 
Je commence à être vraiment stressée. 
Ma mère, qui est présente, cherche à m'aider mais en vain. 
Finalement, je sors de la maison en portant des chaussons très serrés et enfantins, dont l'avant est décoré d'un museau de souris. 

En bas de la maison, E. est avec quelques autres personnes, en train d'installer des stands de nourriture. 
Elle m'interpelle pour me proposer de goûter quelque chose. 
Je suis à peine polie pour lui répondre que je n'ai pas le temps et je m'en vais en courant à moitié. 

A la mairie, la pièce comporte des tables et des chaises mais aussi un comptoir, au milieu, auquel je m'adresse. 
L'homme qui m'accueille parle français spontanément, ce qui me soulage. 
Il me dit que les rendez-vous avec les psychologues n'ont pas lieu là mais dans une annexe de la mairie assez éloignée d'où nous sommes. 
Je le prie de téléphoner là-bas pour prévenir que je vais être en retard non seulement par politesse mais aussi pour être sûre de ne pas y aller pour rien, être sûre qu'on m'y attendra. 

Rêve du 8 décembre 2015