jeudi 31 décembre 2015

TOURNER LE DOS

De château, l'Escarayol n'en avait que le nom.
(…) A l'étage, il y avait deux chambres, une grande et une plus petite. J'installai ma machine à écrire dans la grande et mon lit dans la petite. Je poussai la table devant la double-fenêtre et me mis immédiatement à écrire, trois lignes, les trois premières lignes de mon dernier chapitre, histoire de me souhaiter la bienvenue et bon travail dans cette maison.
Ce furent là les seules et uniques lignes que je devais écrire à l'Escarayol malgré les sommations de mon éditeur qui s'impatientait. … Un écrivain ne doit jamais s'installer devant un panorama, aussi grandiose soit-il. J'avais oublié la règle. Comme saint Jérôme, un écrivain doit travailler dans sa cellule. Tourner le dos. (2) On a une page blanche à noircir. Ecrire est une vue de l'esprit. C'est un travail ingrat qui mène à la solitude. On apprend cela à ses dépens et aujourd'hui je le remarque. Aujourd'hui, je n'ai que faire d'un paysage, j'en ai trop vu ! "Le monde est ma représentation". L'humanité vit dans la fiction. C'est pourquoi un conquérant veut toujours transformer le visage du monde à son image. Aujourd'hui, je voile même les miroirs. Tout le restant est littérature. On n'écrit que "soi". C'est peut-être immoral. Je vis penché sur moi-même. "Je suis l'Autre."
(2)
Le cabinet de travail de Remy de Gourmont donnait sur une cour, 71, rue des Saints-Pères, à Paris. Au 202 du boulevard Saint-Germain, Guillaume Apollinaire, qui disposait d'un vaste appartement avec des grandes pièces et d'un belvédère avec une terrasse sur les toits, écrivait de préférence dans sa cuisine, à une petite table de bois blanc, où il était fort inconfortable. Edouard Peisson, qui a une bonne petite maison dans les collines aux environs d'Aix-en-Provence, ne travaille pas dans un pièce du devant, d'où il pourrait jouir d'une belle vue donnant sur un vallon et des lointains où la lumière joue, mais il s'est fait construire un petit coin, par-derrière, sa bibliothèque, dont la fenêtre donne sur un talus bordé de lilas. Et moi-même à la campagne, dans ma maison du Tremblay-sur-Mauldre, je n'ai jamais travaillé au premier qui donne sur des vergers, mais dans la pièce du bas, qui donne d'une part sur une impasse, derrière une étable, et d'autre part sur un mur qui ferme mon jardinet.

Blaise Cendrars. L'homme foudroyé.

d'ailleurs, ces jours-là, face à :
, je n'avais rien écrit.

mercredi 30 décembre 2015

L'ESSENCE DU LANGAGE

Si je devais doter mes lectures en espagnol de l'assistance d'un traducteur, elles seraient sédentaires. 
C'est pour continuer à pratiquer la méthode globale ou parce qu'il y aura toujours bien quelqu'un à qui demander  que je persiste à transporter mes livres partout. 

A la bibliothèque, je m'avançai vers elle. Elle hésita un instant. Elle me demanda de lui montrer ma page, s'assurant ainsi qu'elle avait bien compris de quel mot il s'agissait et me répondit, alors, avec fermeté. 

-C'est un nom.
-Ah oui ? Le nom d'une personne ?
-Oui oui. Ma tante s'appelle comme ça.

 
Cela ne suffit pas à me renseigner sur le sens du chapitre que je lisais : La esencia del lenguaje como amparo. *
En rentrant, j'achetai des oeufs chez E. qui parle français. 
-C'est du vieux castillan, un mot qu'on n'utilise pas souvent maintenant.
-C'est un nom ?
-Oui, aussi. Ça signifie… J'ai oublié le mot en français. Tu sais quand …
Elle fit le geste de serrer ses bras autour de quelque chose contre son coeur.
-Par exemple un enfant ou un chien qui est à la rue, tu vois ?
Elle répéta son geste. Je voyais bien.

Lire excite (l'esprit)

*
"Wittgenstein croit qu'il n'existe rien comme "l'essence" (unique) du langage en général mais qu'il existe une grande diversité de phénomènes linguistiques, de jeux linguistiques qu'on peut regrouper selon l'air de famille qu'ils partagent."
Josep Maria Esquirol. La resistencia íntima.

mardi 29 décembre 2015

Tuesday self portrait

Quand on vit, il n'arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. Il n'y a jamais de commencements. Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone. De temps en temps, on fait un total partiel : on dit : voilà trois ans que je voyage, trois ans que je suis à Bouville. Il n'y a pas de fin non plus : on ne quitte jamais une femme, un ami, une ville en une fois. Et puis tout se ressemble : Shanghaï, Moscou, Alger, au bout d'une quinzaine, c'est tout pareil. Par moments -rarement- on fait le point, on s'aperçoit qu'on s'est collé avec une femme, engagé dans une sale histoire. Le temps d'un éclair. Après ça, le défilé recommence, on se remet à faire l'addition des heures et des jours. Lundi, mardi, mercredi. Avril, mai, juin. 1924, 1925, 1926. 
Ça, c'est vivre. Mais quand on raconte la vie, tout change; seulement c'est un changement que personne ne remarque : la preuve c'est qu'on parle d'histoires vraies. Comme s'il pouvait y avoir des histoires vraies; les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse. On a l'air de débuter par le commencement : "C'était par un beau soir de l'automne de 1922. J'étais clerc de notaire à Marommes." Et en réalité c'est par la fin qu'on a commencé. Elle est là, invisible et présente, c'est elle qui donne à ces quelques mots la pompe et la valeur d'un commencement. "Je me promenais, j'étais sorti du village sans m'en apercevoir, je pensais à mes ennuis d'argent." Cette phrase, prise simplement pour ce qu'elle est, veut dire que le type était absorbé, morose, à cent lieues d'une aventure, précisément dans ce genre d'humeur où on laisse passer les événements sans les voir. Mais la fin est là, qui transforme tout. Pour nous, le type est déjà le héros de l'histoire. Sa morosité, ses ennuis d'argent sont bien plus précieux que les nôtres, ils sont tout dorés par la lumière des passions futures. Et le récit se poursuit à l'envers : les instants ont cessé de s'empiler au petit bonheur les uns sur les autres, ils sont happés par la fin de l'histoire qui les attire et chacun d'eux attire à son tour l'instant qui le précède : "Il faisait nuit, la rue était déserte." La phrase est jetée négligemment, elle a l'air superflue; mais nous ne nous y laissons pas prendre et nous la mettons de côté : c'est un renseignement dont nous comprendrons la valeur par la suite. Et nous avons le sentiment que le héros a vécu tous les détails de cette nuit comme des annonciations, comme des promesses, ou même qu'il vivait seulement ceux qui étaient des promesses, aveugle et sourd pour tout ce qui n'annonçait pas l'aventure. Nous oublions que l'avenir n'était pas encore là; le type se promenait dans une nuit sans présages, qui lui offrait pèle-mêle ses richesses monotones et il ne choisissait pas. 
J'ai voulu que les moments de ma vie se suivent et s'ordonnent comme ceux d'une vie qu'on se rappelle. Autant vaudrait tenter d'attraper le temps par la queue.  
Jean-Paul Sartre. La Nausée

lundi 28 décembre 2015


 


(fragments d'insularité)

-…et quand j'arrive à Barcares
-… c'est la nuit ! 
Gero, que je croisai alors qu'elle en revenait, acheva ma phrase et ajouta : 
-Tout est calculé, alors !

Oui : tout est calculé.

Aux belles saisons, je célèbre les levers au studio.
L'hiver, c'est quand il se couche que je salue le soleil.


dimanche 27 décembre 2015

vie commune (nocturne)

Dans mon rêve la chambre était sombre et n'était pas la nôtre et nous venions de nous toucher (1), je le savais mais ça, ce n'était pas dans mon rêve car mon rêve commença à l'instant où tu te levas, où tu quittas le lit chaud et c'est pour cela que mon rêve ne me montra de toi que ton dos (2) et je ne t'entendis pas descendre l'escalier en bois de la maison qui n'était pas la nôtre mais je te sus arrivé en bas car la voix de ta mère ou celle de ta soeur (4), te demanda : Elle ne vient pas, Gwendoline ? et moi je ne bougeais pas, je restais encore un peu dans la chaleur du lit qui n'était pas le nôtre, n'étant pas impatiente de rejoindre toute ta famille en bas car cela signifiait me trouver dans une ambiance de petit déjeuner dont je serais la seule à ne pas être familière. 

Là s'arrêta mon rêve et celui que tu me racontas (5) aurait pu se passer la veille de ce matin-là ou quelques heures après le petit déjeuner que j'aurais fini par descendre prendre avec vous.  
(1)
Jamais je ne modifie le vocabulaire qui me vient, au réveil, pour décrire les rêves qui, eux, reviennent.

(2)
Je l'ai regretté car ce rêve parlait de notre jeunesse (3) et j'aurais aimé vérifier si tu y étais comme je me souviens de toi, jeune. 

(3)
Cela m'a étonnée, d'ailleurs, de rêver de nous jeunes alors que c'est davantage à notre vieillesse que je pense éveillée. 

(4)
Là-dessus mon rêve n'est pas clair.

(5)
Car tu t'éveillas à ton tour et tu me racontas ton rêve qui avait réuni tes parents avec qui nous allions fêter Noël. C'est moi qui, en tant que chef, supervisais le déroulement de la préparation. Quant à toi, cela t'agaça rapidement de suivre les instructions que t'avait répétées mon neveu qui, lui, les appliquait aussi rapidement qu'il le pouvait : couper en deux des pains blancs et plats afin de les fourrer de pois chiches. 

samedi 26 décembre 2015

pourtant

et
malgré
j'ai parfois envie 
de vacances
(de la vie)


vendredi 25 décembre 2015

Le cabinet des rêves 259

Je fais le portrait d'une femme de dos, au pastel. 
Je dois faire ses cheveux bruns et longs. 
Je suis en train d'estomper au doigt en me demandant comment faire pour que les cheveux paraissent en mouvement, ne paraissent pas trop droits. 
Je fais les gestes que je connais parce que je vois M. les faire.

Pendant ce temps, j'écoute la radio. 
Au moment où l'animatrice (Christine Masson de France Inter ?) dit Bonjour ! , je me retiens de lui répondre. 
Je pense : De toute façon, elle ne va pas m'entendre

Rêve du 2 décembre 2015

jeudi 24 décembre 2015

Poème de table en version originale (sous-titrée*)

A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.


Poema de mesa

En voz alta yo pienso
al patio frío
a las sábanas blancas
que no están secas
al fin de los días. 

Yo pienso en voz alta
a la vida de la casa
a lo que pasa allí
cuando estoy aquí. 

Los perros durmiendo
las mandarinas cayendo
las horas pasando
pienso en él, pintando. 

*
A voix haute je pense
à la cour froide
aux draps blancs 
qui ne sont pas secs
à la fin des jours. 

Je pense à voix haute
à la vie de la maison
à ce qui se passe là-bas
quand je suis ici. 

Les chiens en train de dormir
les mandarines de tomber
les heures de passer
je pense à lui, en train de peindre. 

mercredi 23 décembre 2015

ESPACE SCHENGEN INTéRIEUR

Il n'y a pas de service d'immigration dans mon cerveau : j'ignore la plupart du temps comment y entrent les mots. 
Le plus souvent par capillarité (1) (je crois connaître les passeurs (2)). Je les y trouve sans les avoir appris, comme de petits miracles répétés. 
Je pense savoir, en revanche, que c'est en remplissant mes formalités d'étrangère que j'ai retenu sans y penser le mot qui signifie signature (3). C'est pourquoi je n'avais jamais réfléchi à sa généalogie (4).

(1)
La capillarité est le phénomène d'interaction qui se produit aux interfaces entre deux liquides non miscibles, entre un liquide et l'air ou entre un liquide et une surface. Elle est due aux forces de tension superficielle entre les différentes phases en présence. Elle est mise en œuvre lorsque les buvards aspirent l’encre, les éponges s’imbibent d’eau, ou quand on trempe une partie de son sucre dans son café et que celui-ci devient tout noir.
(source : Wikipedia)

(2)

(3)
Firma

(4)
Fijémonos, además, en que la firma es el nombre proprio, y se espera que cada uno pueda firmar por sí mismo. Firmar es poder afirmar. Sólo cuando alguien no puede valerse por sí mismo, cuando no tiene la suficiente firmeza, necesita que alguien firme por él, asienta y responda por él.
Attachons-nous, en plus, au fait que la signature est le nom propre et on peut s'attendre à ce que chacun puisse signer soi-même. Signer est pouvoir affirmer. C'est seulement quand quelqu'un ne peut se débrouiller seul, quand il n'a pas assez de fermeté qu'il a besoin que quelqu'un signe pour lui, s'assoie et réponde pour lui.
Traduction libre d'un extrait de La resistencia íntima de Josep Maria Esquirol.

mardi 22 décembre 2015

Tuesday self portrait

Il faut ces admirables déserts que sont les villes mondiales pour que l'expérience du quotidien commence à nous atteindre. Le quotidien n'est pas au chaud dans nos demeures, il n'est pas dans les bureaux ni dans les églises, pas davantage dans les bibliothèques ou les musées. Il est -s'il est quelque part- dans la rue.  
Maurice Blanchot. L'entretien infini

lundi 21 décembre 2015

L'invention de l'eau chaude (fragments d'insularité)

J'aimais ce bruit, qui était l'un des premiers du matin et garantissait les jours, les soirs douillets : le bruit de l'eau qui se répandait dans les tuyaux de l'appartement et me faisait coller mon dos au radiateur
A présent, c'est encore l'eau qui chauffe mes soirées : l'eau de ma bouillotte et de mes théières. 
Le jour… le jour, je suis un panneau solaire. 

dimanche 20 décembre 2015

le dernier voyage

Davantage que les derniers kilomètres 
parcourus avec elle
ont compté les premiers
 car c'est la traversée de l'île
dans ta fourgonnette
le soir de mon arrivée
qui a inauguré notre vie commune.  

samedi 19 décembre 2015

L'heure caressante

Loin du métro-boulot-dodo
ma vie pourtant
comporte aussi quelques routines.  

vendredi 18 décembre 2015

Le cabinet des rêves 258

A l'occasion d'une fête dans le village où j'habite, David Pérez Vega vient faire une signature. 
Je le salue de loin et, comme je le vois discuter avec d'autres écrivains invités, je n'ose pas aller lui parler. 
Je pense le faire plus tard mais quand je repasse le soir, il n'est plus là. 

Rêve du 23 novembre 2015

jeudi 17 décembre 2015

Poème de table en version originale (sous-titrée*)

A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.


Poema de mesa

En un café ruidoso
-dos tostadas, un bocadillo-
estoy escribiendo 
en mi cuaderno.

Una mujer inmóvil 
-un pincho de tortilla
encima de la mesita-
escribe, ella, en su móvil. 

Es la hora de la merienda 
-un sandwich, una caña-
en Palma. 

Estoy la única
a estar sola 
sin decir nada. 

*
Dans un café empli de bruit
-deux toasts, un sandwich-
j'écris
dans mon carnet.

Une femme immobile
-un morceau de tortilla
sur sa petite table-
écrit, elle, sur son téléphone mobile.

C'est l'heure de la pause
-un sandwich, une bière pression-
à Palma.

Je suis la seule
à être seule
sans rien dire.

mercredi 16 décembre 2015

LA POCHETTE SURPRISE

D'une manière ou d'une autre, je reviens de mes cours avec un mot nouveau
D'une manière ou d'une autre, ce mot revient dans ma vie dans les heures qui suivent. 
Je ne le cherche pas, il m'apparait, je le reconnais.  

Lundi 11h20 :


-¿Puedo hablar con el señor Rodriguez?
-Lo siento, no está en su despacho. ¿Quiere dejarle algún recado? (1)

Lundi 17h10 :

INSCRIPCIONES EN UN ÁRBOL

Pudo ser una tarde de domingo
cuando, tras compartir merienda y afecto, 
una navaja graba en la corteza
la fecha y unos nombres, el recado
de un amor eficaz contra el descarte 
del tiempo. Sin embargo, en la espesura
de los bosques varían las hojas de color, 
se desprenden los frutos de sus ramas 
y son mudables todos los signos del paisaje. 
Olvidados los sueños juveniles, 
ellos se dan la espalda cada noche
en la alcoba que abriga sus destinos. (2)

José A. Mesa Toré
(1)
-Puis-je parler à monsieur Rodriguez ?
-Je suis désolé, il n'est pas dans son bureau. Voulez-vous lui laisser un message ?

(2)
INSCRIPTIONS SUR UN ARBRE

Ce pourrait être un dimanche après-midi
quand, après avoir partagé un goûter et de l'affection, 
un couteau grave dans l'écorce
la date et des noms, le message
d'un amour efficace contre le rejet 
du temps. Cependant, dans l'épaisseur
des bois, les feuilles changent de couleur, 
les fruits se détachent de leurs branches
et tous les signes du paysage sont mouvants. 
Oubliés les rêves de jeunesse, 
ils se tournent le dos toutes les nuits
dans la chambre qui abrite leurs destins. 

mardi 15 décembre 2015

Tuesday self portrait

On pourrait nommer un tel bonheur "le bonheur par soustraction". Se soustraire aux jeux vains des images de soi et des ambitions personnelles; se soustraire des choses que l'on possède comme des choses que l'on ne possède pas, se soustraire à la peur de perdre comme à la peur de n'avoir plus rien à perdre -d'être sans manque, sans trou, sans mouvement, mort.
Pierre Zaoui. La discrétion ou l'art de disparaître

lundi 14 décembre 2015

L'heure majorquine (fragments d'insularité)

Malgré le froid de février, j'avais quitté mon lit avant le jour, à une heure que je devinais vénitienne.  
Le long des canaux, les ombres étaient furtives. Je les voyais enfin, les habitants permanents. Les hommes en costume. Les femmes en fourrure et leurs talons rapides résonnaient au bord de l'eau. 

Malgré l'abondance égale d'étrangers ici, je n'ai pas dû me lever si tôt pour identifier les résidents et, surtout, je sais où trouver les majorquines. 
Car, en les voyant attablées à Palma, aussi bien coiffées, apprêtées, parlant avec autant d'animation que celles de l'autre bout de l'île, je n'ai jamais douté que, dans tous les cafés insulaires, la fin de l'après-midi était féminine. 

dimanche 13 décembre 2015

Les couleurs froides

Alors que compter les épaisseurs d'habits que nous portons nécessite parfois les doigts de plus d'une main, il n'est pas rare que nous croisions des gens très peu vêtus : hier, une femme aux pieds nus dans ses sandales, petite jupe fleurie et tee shirt.

C'est que nous sommes des petits blancs (
) as-tu coutume de dire. 
Et c'est être un peu plus jaunes ( 
) qu'il nous faudrait. 

Me concernant, cela n'est pas nouveau. 
Jeune (
), je me serais volontiers jetée dans le feu plutôt que de simplement m'asseoir près de la cheminée, en rentrant des courses d'orientation où nous nous voyions. 

Je ne cours plus, je marche. Sept, huit kilomètres avant de rentrer à la maison où il n'y a ni chauffage, ni feu dans la cheminée mais où il y a toi, dans l'atelier, qui achève de me réchauffer.


samedi 12 décembre 2015

ne pas penser

A deux rangées de lui, que faire d'autre la nuit ?, je me mets dans sa tête à lui, qui conduit : que faire d'autre la nuit en l'absence de paysage, en l'absence de lecture, je regarde sa tête, la route éclairée par les phares, je le regarde conduire et je pense à ce qu'il pense.
Mais
240 kilomètres aller, j'en ai perdu du temps, 240 kilomètres retour, comment n'en ai-je jamais perdu la vie ? à travailler pendant deux années à 240 kilomètres de chez moi, je sais que l'on ne pense à rien en conduisant, que l'on pense à tout, que l'on ne pense à rien, que l'on ne pense même pas à conduire, que l'on conduit et que l'on arrive et que l'on ne sait pas toujours très bien comment. 

vendredi 11 décembre 2015

Le cabinet des rêves 257

Nous habitons dans une petite maison, parmi d'autres, mitoyennes avec lesquelles nous partageons la salle de bain, les toilettes, la cuisine. 
Nous disposons tous d'une terrasse à l'avant et nous nous y retrouvons souvent. 
Un jeune couple vient de s'installer dans l'une des maisons et nous faisons connaissance lors d'un repas dehors. 
Plus tard, alors que je rentre dans la cuisine, je vois la jeune femme, assise dans un coin, essayant de retenir ses larmes. 
En tâchant de ne pas être indiscrète, je lui demande ce qui se passe. 
Elle m'explique qu'elle fait de grands efforts mais ne parvient pas à garder sa bonne humeur : à partir de 18 heures, la maison devient si froide, si lugubre qu'elle déprime vraiment. 

Rêve du 20 novembre 2015

jeudi 10 décembre 2015

Masculin féminin

Vivre avec une souris 
c'est se demander 
 si elle a bien mangé 
(et si elle en est morte).
Vivre avec un chat
 ce serait se demander 
s'il a bien mangé 
(et si la souris en est morte).

J'ai beau savoir que le genre naturel des mots, en français, au-delà de la distinction du sexe (ex : la poule, le coq), est souvent arbitraire, je suis habituée, cependant, à une certaine représentation du monde que ces genres véhiculent. 
Ainsi, il m'est moins répugnant de penser que nous avons cohabité avec :

une souris

et pas avec :
un rat

Apprendre une autre langue, c'est, 
pour des raisons de genre notamment, 
un ráton

una rata

mercredi 9 décembre 2015

Bloom where you are planted

Je n'aurais pas dû faire fi de l'horreur que m'inspirait cette phrase et rapidement éconduire l'homme qui, lui : l'aimait. 
Il y voyait la fleur, moi : l'enracinement résigné.   
Le temps passé avec quelqu'un qui n'était pas mon genre ne m'a rien enseigné de l'amour mais : de l'anthropologie. 

mardi 8 décembre 2015

Tuesday self portrait

En réalité, toutes les difficultés qui nous empêchent d'expérimenter les images à partir desquelles commencent les histoires, les espaces entre lesquels s'écoule le temps ou les perceptions avec lesquelles s'organise le sens qui rend intelligible l'expérience et supportable l'existence proviennent du fait que notre représentation se trouve "enfermée" dans une subjectivité : cette subjectivité est faite d'images, d'espaces et de perceptions distinctes et singulières mais elle est faite par le temps et le sens (les habitudes); alors, pour pouvoir "percevoir" (le sens de) les perceptions, (l'extemporanéité de) les espaces ou (la pré-historicité de) les images, il serait nécessaire que nous puissions nous détacher de nos habitudes, ce qui signifie nous détacher de nous-mêmes, détacher la subjectivité de l'expérience.  
Traduction libre d'un extrait de Sobre los espacios pintar, escribir, pensar (Sur les espaces  peindre, écrire, penser) de José Luis Pardo. 

lundi 7 décembre 2015

La vue littéraire (fragments d'insularité)

Il y a une tension entre l'acte de lire et l'action politique. Une certaine opposition entre la lecture et la décision, entre la lecture et la vie pratique. Cette tension entre la lecture et l'expérience, entre la lecture et la vie, est très présente dans l'histoire que nous sommes en train d'essayer de construire. Souvent, ce que j'ai lu est le filtre qui permet de donner sens à l'expérience, la lecture est un miroir de l'expérience, il la définit, il lui donne forme. 
Ricardo Piglia. Traduction libre d'un extrait de El último lector

Il nous arrive de faire le tour de la baie et c'est un peu franchir le miroir car c'est voir de là-bas le rivage où nous avons nos habitudes, nous voir de loin, en somme. 
Nous en rentrons toujours avec l'impression que l'herbe est bien plus verte par chez nous. 
Car, si la promenade y est moins chic, nous voyons, nous, jusqu'à Formentor. *
* Chaque année est remis un prix littéraire à l'hôtel Formentor. Cette année, le lauréat est Ricardo Piglia. 

dimanche 6 décembre 2015

L'anniversaire du temps qui passe

C'était en décembre dernier, tandis que je vivais comme en exil de toi et peut-être était-ce même le jour que tu avais passé au Louvre, que je regardai Bande à part de Godard. (1)
Découvrir la toile de Pep Girbent (2) au musée, me fit l'effet d'une célébration, dans la plus stricte intimité, de l'année écoulée. 



(1)




(2)
Pep Girbent
Picture III (après Godard)
2015
Huile sur toile
160x332
"Picture est un mot anglais qui désigne, indistinctement, une peinture (un "tableau"), un dessin, une photographie, une image de la télévision ou de cinéma ou même un film. Girbent propose, avec Pictures, une réflexion à propos de la porosité des frontières entre des univers plats -liée aux concepts habituels dans son discours comme "hrönir" ou palimpseste- et simultanément il recherche dans la nature ludique du récit, dans la relation entre un récit et une imposture, en configurant à travers le "parergon" un jeu d'équivoques auquel le spectateur participe."

samedi 5 décembre 2015

Soñar

Je crois pouvoir affirmer que celui-ci fut le premier rêve prémonitoire de ma vie.
Car, très peu de temps après l'avoir fait, je posai une question en cours et, reconnaissant immédiatement la situation que j'avais déjà vécue, je fis remarquer sans reprendre mon souffle combien elle était idiote, ce en quoi nul ne me contredit.

Il ne fut, en revanche, pas le premier rêve à me faire m'éveiller de rire. Ni le dernier. 
Car, très peu de temps après l'avoir fait, prise de cours, dans mon sommeil, par un verbe espagnol que je ne connaissais pas, j'en inventai un, qui me fit pouffer. 
Avant de complètement me réveiller, j'eus le temps de rêver que j'en conjuguais un correctement, à la deuxième personne du pluriel de l'impératif, sans mérite cependant puisqu'il s'agissait d'un verbe régulier du premier groupe. 
Je crois pouvoir affirmer qu'il s'agissait du verbe parler.  

vendredi 4 décembre 2015

Le cabinet des rêves 256

Je suis infirmière. 
Je dois m'occuper du repas de deux malades dont l'une qui ne doit pas trop manger, je dois y veiller, parce qu'elle va se faire opérer le lendemain. 
Pendant le repas, je la vois faire la démonstration de quelque chose avec un beignet qu'elle met en bouche. Comme elle s'adresse à des infirmiers, je pense qu'ils lui diraient si elle ne devait pas mais je suis un peu inquiète. 
Quand j'ai terminé cette tâche, je vais dans un autre service demander si on a besoin de moi. 
L'infirmière de l'accueil ne me connait pas encore et ne savait pas que je viendrais. 
-Non, je ne vois pas, il n'y a rien pour toi. Ah si ! il y a bien la patiente du B14 mais ce ne sont pas des soins, c'est une lecture
Pour accéder à la chambre B14, je dois contourner tout un tas de vélo garés dans le long couloir. 
Je pense que Ah, c'est vrai : cette partie de l'hôpital sert aussi pour les centres aérés
Quand je sonne à la chambre, la patiente ouvre juste un judas et demande qui est là. 
-Je suis infirmière, je m'appelle Gwendoline
Elle se fâche immédiatement : 
-Ah non, hein ?! je l'ai dit cent fois que je n'étais pas malade. 
-Oui mais je viens juste pour vous faire la lecture. 
-Mais comment voulez-vous que je vous laisse entrer, maintenant ? 
-Je suis désolée, je n'aurais pas dû vous dire que j'étais infirmière pour commencer, c'est de ma propre initiative que je l'ai dit. 
Finalement, elle me laisse entrer. 
Quand je quitte l'hôpital, je ne remets pas mes chaussures, pensant qu'elles sont dans mon sac, que je pourrais les enfiler plus tard mais plus tard, justement, alors que je suis en chaussettes dans la rue après avoir marché longtemps, je m'aperçois qu'elles n'y sont pas et que je dois refaire tout le chemin inverse pour aller les rechercher. 

Rêve du 8 novembre 2015

jeudi 3 décembre 2015

Compagnie

Mais cela n'a pas toujours été autant le cas, du moins pas toujours à ce point car, tout le temps que je les ai coiffés, c'était un peu voir au-dedans des gens, c'était un peu faire des provisions de vies au point que, à présent, je pourrais en écrire, des biographies. 

mercredi 2 décembre 2015

O solitude

Il n'est pas capable de se concentrer. Le sujet qui le distrait est une théorie qui l'occupe depuis des années, qui fait partie de quelque chose de plus vaste qu'il appelle socio-physique théorique. Le rayon d'action, l'ensemble de preuves pour sa constatation ne dépasse pas 2 ou 3 pâtés de maisons autour de sa terrasse. Dans le quartier, il trouve tout ce dont il a besoin : comestibles,  conversations banales et vêtements de saison en tergal. Le but de sa théorie consiste à démontrer avec des termes mathématiques que la solitude est une propriété, un état, propre aux êtres humains supérieurs et pour cela, il s'appuie sur une évidence physique bien connue par les scientifiques : il existe seulement 2 classes de particules dans la nature, les fermions (électrons et protons, par exemple) et les bosons (fotons, gluons, gravitons, etc). Les fermions se caractérisent par le fait, amplement démontré, qu'ils ne peuvent être 2 ou plus dans un même état ou, ce qui est la même chose, qu'ils ne peuvent être ensemble. La vertu des bosons est justement le contraire : non seulement ils peuvent être plusieurs dans un même état et ensemble mais, en plus, ils cherchent cet entassement, ils en ont besoin. Ainsi, Marc prend comme réflexe et modèle  cette qualification pour postuler l'existence de personnes solitaires qui, comme les fermions, ne supportent la présence de personne. Ce sont les seules qui méritent le moindre respect. A côté, il y a les autres, ceux qui, comme les bosons, s'agglutinent dès qu'ils le peuvent en associations, groupes et autres entassements afin de masquer dans la masse leur médiocrité génétique. Ces derniers, Marc les méprise, c'est pourquoi il n'est pas étonnant qu'il ne lui importe pas comment tourne le monde, ni s'il y a de la pauvreté ou de la richesse, ni si le prix des fruits ou du poisson augmente ou baisse, ni les manifestations, les collectivité, les partis politiques, les religions ou les ONG. Evidemment, il a pour authentiques modèles de vie élevée, de vie essentiellement fermiona : Nietzsche, Wittgenstein, Unabomber, Cioran et surtout Henry J. Darger, cet homme qui ne sortit jamais de sa chambre à Chicago. De plus, Marc, comme tout fermion, a cessé depuis un moment de fréquenter des femmes et ses amis. Sa seule connexion stable avec le monde est internet. 
Traduction libre d'un extrait* de Nocilla experience de Agustín Fernández Mallo.

Si je me réjouis toujours de la désertion saisonnière de l'île, j'ai pourtant à déplorer de
soudain 
devoir exister. 
Le reste du temps
emportée par la foule 
je suis invisible. 
A présent
je souris aux voitures qui klaxonnent sans avoir le temps de voir qui les conduit.
 A présent
 on m'aborde
 on me parle
 on me voit
 et les klaxons me le disent : 
je t'ai vue, je te vois
Souvent
 j'aimerais venir d'arriver, n'avoir personne à saluer. 
Toujours
 j'aime être seule. 
*No es capaz de concentrarse. El asunto que lo distrae es una teoría que hace años que tiene en marcha, enmarcada en algo más amplio que él denomina socio-física teórica. El radio de acción, el banco de pruebas para su constatación, no pasa de 2 o 3 manzanas en torno a su azotea. En el barrio encuentra todo cuanto necesita : comestibles, conversaciones banales y ropa de temporada en tergal. La pretensión de su teoría consiste en demostrar con términos matemáticos que la soledad es una propiedad, un estado, connatural a los seres humanos superiores, y para ello se fundamenta en une evidencia física bien conocida por los científicos : sólo existen en la naturaleza 2 clases de partículas, los fermiones (electrones y protones, por ejemplo) y los bosones (fotones, gluones, gravitones, etcétera). Los fermiones se caracterizan por el hecho, ampliamente demostrado, de que no puede haber 2 o más en un mismo estado, o lo que es lo mismo, que no pueden estar juntos. La virtud de los bosones es justamente la contraria : no sólo pueden estar varios en un mismo estado y juntos, sino que buscan ese apiñamiento, lo necesitan. Así, Marc toma como reflejo y patrón esa calificación para postular la existencia de personas solitarias que, como los fermiones, no soportan la presencia de nadie. Son éstas las únicas que le merecen respeto alguno. Aparte, están los otras, las que como los bosones se arraciman en cuanto pueden bajo asociaciones, grupos y demás apiñamientos a fin de enmascarar en la masa su genética mediocridad. A estos últimos Marc los desprecia, por eso no es extraño que a él no le importe cómo marcha el mundo, ni si hay pobreza o riqueza, ni si sube o baja el precio de la fruta o el pescado, ni las manifestaciones, colectividades, partidos políticos, religiones u ONGs. Por supuesto, tiene por auténticos modelos de vida elevada, de vida esencialmente fermiónica, a Nietzsche, Wittgenstein, Unabomber, Cioran y sobre todo a Henry J. Darger, aquel hombre que jamás salió de su habitación de Chicago. Además, Marc, como todo fermión, hace tiempo que dejó de frecuentar mujeres y amigos. Su única conexión estable con el mundo es la red internauta.

mardi 1 décembre 2015

Tuesday self portrait

J'essaie toujours qu'il n'y ait pas de points intermédiaires dans ma vie. Existe-t-il un mot entre oui et non ? Les choses se finissent bien ou mal, l'éventuel point intermédiaire signifie que ce n'est pas terminé et toutes les histoires méritent une fin. Je déteste le gris parce qu'il me fait penser à une pénitence. Le ciel de Lima est gris, la couleur de mes pensées quand je repense à mes projets avortés dans une ville qui croît comme la mauvaise herbe. Oui ou non. Pour toujours ou jamais plus. Quand tu demandes à une fille si elle veut bien sortir avec toi, elle ne peut pas répondre peut-être. Quand tu déménages, mieux vaut ne rien laisser derrière toi, il faut tout emporter. 

Traduction libre d'un extrait* de Paseador de perros de Sergio Galarza. 
Siempre trato de que no existan los puntos intermedios en mi vida. ¿Existe acaso una palabra entre el sí y el no ? Las cosas terminan bien o mal, el supuesto punto intermedio significa que no han terminado y todas las historias merecen un final. Odio los grises porque me recuerdan a una penitencia. El cielo de Lima es gris, el color de mis pensamientos cuando repaso los proyectos truncados en una ciudad que crece como la mala hierba. Sí o no. Para siempre o nunca jamás. Cuando le preguntas a una chica si quiere ser tu novia no puede responder tal vez. Cuando te mudas de un lugar no vale dejar cosas en la casa antigua, hay que llevarse todo. 

lundi 30 novembre 2015

Les îles ovines (fragments d'insularité)

Après deux jours sur l'île, passés avec des moutons,
Nous avons vu un film qui se passe sur une île, avec des moutons. 

dimanche 29 novembre 2015

Une fin d'après-midi en ville

C'est le lendemain du jour où j'avais entendu Emmanuel Guibert dire que les dessinateurs se devaient d'être flexibles : aussi aptes à saisir tous les traits d'un passager prêt à descendre à l'arrêt suivant dans le métro qu'à dessiner paisiblement une statue immobile depuis un siècle, que tu réussis à portraiturer le client de la table du coin opposé pendant la poignée de minutes que son ami volubile qui, jusque là, avait fait écran entre lui et toi, passa aux toilettes. 
Puis, 
nous ne fîmes plus que déplorer  la mort du chat qui nous avait privés d'un modèle et d'une belle inspiration.