samedi 28 novembre 2015

"Esta es mi vida. Si no les gusta, tengo otras"
(C'est ma vie. Si elle ne vous plait pas, j'en ai d'autres)

Si vous étiez moi, vous sauriez lire en espagnol, vous pourriez lire Stradivarius Rex de Román Piña et savoir pourquoi Marcos Badosa, le narrateur, un laveur de voitures qui a quitté son travail et sa famille pour devenir écrivain et obtenir le prix Nobel, se réveille chaque jour depuis dix ans dans la peau d'un autre. 
Ce qui est bien quand on se réveille chaque jour dans une peau différente, c'est qu'on apprend beaucoup. Il y a des mauvais jours, c'est sûr, comme dans n'importe quel travail. Parce que ces dix ans, j'ai essayé de les prendre comme un boulot. J'ai voulu faire les choses bien. Bien que, certains jours, j'aie un peu exagéré. J'ai été de tout. Anonyme et célèbre. Important. Anodin. Fréquemment important et anodin. Laid et beau. Ni l'un ni l'autre. Grand et petit. Chétif et musclé. Grosse tête et  court sur pattes. Un monsieur tout le monde. Influent. Un laissé pour compte. Un laissé pour l'autre compte. Un pauvre, un millionnaire. Mille choses. (1)
Si vous aviez été moi hier, vous auriez achevé la lecture de ce livre en souriant et, en relevant la tête, vous vous seriez souvenu que vous étiez à la bibliothèque. 
Un coup d'oeil circulaire vous aurait renseigné sur la fréquentation de la salle à ce moment-là et vous auriez pensé à ce que ça pouvait être de s'éveiller le lendemain à la place d'une des personnes qui vous entourait. 
Vous auriez vu une bibliothécaire installant les cadres de la nouvelle exposition (2), le peintre ayant animé les ateliers où des enfants avaient réalisé les peintures exposées (3), une mère penchée sur ses deux enfants, regardant l'écran sur lequel ils jouaient (4), une femme installée sur un autre ordinateur (5), un grand adolescent devant le dernier (6).
Vous auriez pensé aussi que ce n'était peut-être pas vous, assis là, vous auriez imaginé que c'était Marcos Badosa qui était en train de vivre à votre place. 
Pourtant, cette journée aussi banale, longue, ennuyeuse ?, ordinaire en tout cas, qu'elle ait paru à tout autre que vous, vous ne l'auriez  cédée à personne si vous aviez été moi hier.

(1) 
Lo bueno de despertarte cada día en un pellejo diferente es que aprendes mucho. Hay días malos, claro, como en cualquier trabajo. Porque estos diez años he intentado tomármelos como un trabajo. He querido hacer las cosas bien. Aunque a días se me ha ido un poco la mano. He sido de todo. Anónimo y famoso. Importante. Anodino. Con frecuencia importante y anodino. Feo y guapo. Ni fu ni fa. Alto y bajo. Enclenque y musculoso. Cabezón y paticorto. Un Don Nadie. Influyente. Un cero a la izquierda. Un cero a la derecha. Pobre de solemnidad, millonario. Mil cosas. Román Piña. Stradivarius Rex
(2) 
Puedo ayudarte ? ai-je failli lui proposer en la voyant grimper sur l'escabeau pendant qu'elle avait un cadre en main. Mais, voyant le peintre marcher dans sa direction, j'ai baissé les yeux sur mon carnet, ne les relevant qu'au bruit du verre cassé. 

(3) 
Quel pouvait en être le thème ?, me suis-je demandé en voyant les portraits. La folie ? La double personnalité ? Notre double animal ?

(4) 
C'est ça d'habiter dans un village, tu sais ! A Palma, ça ne se passerait pas comme ça mais ici, personne ne se gêne pour te demander pourquoi tu portes les cheveux courts ou pour te dire que ça ne se fait pas. 
Depuis qu'une employée de la mairie m'a parlé des réactions qu'attire sa coiffure identique à la mienne, je pense souvent, en voyant les gens, à ce que c'est que d'appartenir à un lieu et un lieu aussi petit que celui-ci. 

(5) 
Blonde, les cheveux au carré, ni très jeune, ni aussi âgée que moi mais peut-être aussi frileuse : n'ayant pas quitté sa parka de tout le temps qu'elle est restée là. Ses doigts aux ongles vernis en rouge tapant plus rapidement sur le clavier de l'ordinateur que sur celui de son téléphone. 

(6) 
Ayant presque atteint le temps autorisé à un poste informatique, il s'est empressé de fermer toutes les fenêtres de divertissements qu'il avait ouvertes et de (faire mine de) se concentrer sur des colonnes d'un texte dense. 

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