Tous les jours, de toutes les couleurs mais aussi en noir et blanc.
Maintenant c'est ICI.
Il y a eu des pages lues, des self portraits, des heures passées avec Virginia Woolf ... à Tokyo. Il y a eu un grand appartement rue Linière, des self portraits, des rêves, des pages lues, des enquêtes sentimentales, des relevés topographiques, des sommaires, des choses entendues ... à Bruxelles. Il y a eu quelques jours à Minorque mais aussi à Madrid, un voyage à Montréal, une semaine à New York. Il y a eu une chambre à Lisbonne. Il y a eu des feuilletons : les années, la Yamanote, un amour débutant, une identification, des lettres de Julio Cortázar, un voyage autour de ma chambre, un autre voyage autour de ma chambre, une semaine en caravane, des vies imaginées, des conseils pour réussir ses photos, une analyse scientifique de ma mémoire. Il y a eu ma passion pour les oeufs, celle pour le thé. Il y a eu d'autres rêves, d'autres enquêtes, des traités d'insularité, d'autres pages lues, d'autres self portraits, des déclarations d'amour dominicales, des poèmes en espagnol, des chiens, un chat, une maison avec vue, beaucoup de folie ... sur l'île.
Je suis assis ici, dans un fauteuil de velours contre une fenêtre qui donne sur les toits de Buenos Aires, lisant Henry James, en même temps que les pensées les plus diverses passent devant moi, comme si je les voyais, comme si ma tête était connectée à une chaîne personnelle de télévision. Notre propre chaîne qui fonctionne parallèlement à notre lecture, comme cela arrive parfois avec des amis à qui je rend visite chez eux et que je trouve en train de lire avec la télévision allumée, parfois sans le son, seulement avec les images pendant qu'ils écoutent de la musique.Traduction libre d'un extrait* de Los diarios de Emilio Renzi de Ricardo Piglia.
*Estoy aquí sentado en un sillón de felpa contra una ventana que da a las azoteas de Buenos Aires, leyendo a Henry James, al mismo tiempo los pensamientos más variados cruzan frente a mí, como si los viera, como si mi cabeza estuviera conectada a un canal personal de televisión. El canal propio que funciona paralelamente a la lectura, como sucede a veces con algunos amigos a los que visito en su casa y los encuentro leyendo pero con el televisor prendido a veces sin sonido, sólo con imágenes, mientras en un combinado escuchan música.
Un rêve. Je suis au milieu de la foule dans une rue d'une ville inconnue et je parle une autre langue, une langue que personne ne comprend.Traduction libre d'un extrait* de Los diarios de Emilio Renzi de Ricardo Piglia.
*Un sueño. Estoy en medio de una multitud en una calle de una ciudad desconocida y hablo otro idioma, un idioma que nadie entiende.
Rien. Je ne sais rien de Sophie B. Je ne sais rien ou presque, à part qu'elle est morte mais la vie de quelqu'un peut-elle se réduire à sa mort ? Je sais de Sophie B. qu'elle est née dans le dernier tiers du XXème siècle, qu'elle y est morte aussi, une vingtaine d'années plus tard. À peine. À peine une vingtaine, je veux dire. Voilà : encore maintenant, je pense à Sophie B. Oh, pas souvent. Pas même régulièrement. Plus souvent avant que maintenant : quand il m'arrivait de frôler la mort, de me dire que j'aurais pu mourir, je me disais ça que, franchement j'aurais pu mourir aujourd'hui ! Ce n'était pas moi qui frôlais la mort mais plutôt la mort qui avait alors, souvent, des allures de taxis. Y en a-t-il encore beaucoup, des comme moi ?, je ne dis pas ses proches, hein !, non je veux dire des vraiment comme moi. Qui n'étaient pas davantage que je l'étais intimes de Sophie B. mais qui comme moi, s'en souviennent encore. Ce que je sais de Sophie B. c'est qu'elle est morte et qu'elle parlait trop. Sophie B. parlait, le savait, parlait trop, ne pouvait s'en empêcher. À la mort de Sophie B., j'étais plus jeune qu'elle. À peine. À peine plus jeune, je veux dire. Alors, forcément, je ne le suis pas restée longtemps, plus jeune. J'ai vite été plus âgée que Sophie B. et quand je pensais à elle, je me demandais à quoi bon ? J'avais l'âge où l'on croit encore qu'il peut y avoir une réponse à ce genre de questions, à quoi bon ? C'est vrai, non ? : il y a un âge où l'on pense qu'il y a un sens. Et un âge où l'on pense que, s'il n'y en a pas de sens, au moins y a-t-il la chance. La chance d'atteindre l'âge de l'indulgence, l'âge où l'on peut s'aimer bien. Car Sophie B. parlait, le savait, parlait trop, ne pouvait s'en empêcher et pas davantage elle ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Sophie B. s'en voulait trop pour s'aimer. Elle parlait trop, elle le savait mais nous en demander pardon, c'était encore parler et nous horripiler davantage. Car Sophie B. finissait, c'est vrai, par nous horripiler. Elle parlait, elle s'en voulait, nous n'aurions jamais pu lui en vouloir autant qu'elle s'en voulait. Si je ne sais rien de Sophie B. si ce n'est qu'elle est morte, c'est parce qu'elle parlait, elle parlait trop pour qu'on l'écoute. C'est pour cela que je ne sais rien de plus de Sophie B. que si elle avait été l'être le plus secret que j'aie jamais rencontré. Sophie B. parlait mais je n'ai rien retenu de tout ce que je l'ai entendue dire. Ce que je sais, c'est qu'elle était joyeuse et qu'elle aimait chanter, presque autant que parler et peut-être chantait-elle quand elle pédalait car je ne l'imagine tout de même pas parler, Sophie B., en faisant du vélo. Ce que je sais c'est qu'elle faisait du vélo et qu'il n'y pas eu de temps de latence, pas de suspens, pas de comas mais du silence. Quand le camion l'a heurtée, elle si légère et à vélo, même si elle était en train de chanter, Sophie B. s'est tue, Sophie B. est morte.