mardi 9 décembre 2014

Tuesday self portrait

Etant donné toutes les expériences douloureuses que beaucoup d'entre nous ont éprouvées en nourrissant et en soignant leur corps, il serait bon, à mon avis, d'en traduire quelques-unes des règles pratiques à l'usage de l'esprit. 
D'abord, on doit essayer d'atteindre ce qui est le plus approprié à notre esprit. Rapidement, nous apprenons ce qui va -et ce qui ne va pas- pour le corps, et nous éprouvons très peu de difficultés à refuser un morceau de ce pudding ou de cette tarte fort alléchant, mais lié dans notre souvenir à une ahurissante indigestion, et dont le nom seul évoque inévitablement la rhubarbe et la magnésie. Par contre, il nous faut recevoir de nombreuses leçons pour enfin être convaincus de la lourdeur de certaines de nos lectures favorites, et encore et toujours nous nous régalons d'un roman malsain, certains d'en sortis las, découragés, désabusés -véritable cauchemar mental. De plus, nous devrions faire attention à nous nourrir de façon saine en juste quantité. La gloutonnerie mentale, c'est-à-dire la surlecture, est une dangereuse inclination, qui affaiblit les fonctions digestives, et en certains cas va jusqu'à la perte de l'appétit : on sait que le pain est un aliment sain et complet, mais qui voudrait tenter l'expérience de manger deux ou trois pains à la suite ?
J'ai entendu une fois un médecin dire à son patient -dont le seul problème était une certaine goinfrerie et un évident manque d'exercice, que le premier symptôme de l'hypernutrition se concrétisait par une accumulation de tissu adipeux", et nul doute que cette belle et longue phrase ait consolé le pauvre bonhomme sous son incessant entassement de gras. 
Je me demande s'il se trouve quelque chose comme un ESPRIT GRAS ? J'ai la forte impression d'en avoir rencontré un ou deux : des esprits qui ne pouvaient soutenir le rythme de la conversation la moins galopante; qui n'arrivaient pas à franchir un obstacle logique, même si ce saut devait leur sauver la vie; toujours figés dans un raisonnement étroit, en somme, qui n'étaient bons à rien, sauf à se dandiner péniblement dans le monde. 
Lewis Carroll. La fourchette et l'esprit

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