Luxueux appartement meublé de dix pièces
La seule interprétation et analyse satisfaisante du style mobilier de la seconde moitié du XIXème siècle se trouve dans un genre spécifique de romans policiers, dont le centre dynamique est l'horreur de l'appartement. L'agencement du mobilier constitue en même temps la topographie des pièges mortels, et l'enfilade des pièces dicte à la victime la trajectoire de sa fuite. Le fait que ce genre de romans policiers débute justement avec Poe -à une époque où de telles habitations n'existaient donc qu'à peine-, n'est pas un indice du contraire. Car les grands poètes, sans exception, ont la prescience du monde qui vient après eux, comme en témoignent les rues parisiennes des poésies de Baudelaire, qui n'apparurent qu'après le XIXème siècle, et aussi les hommes de Dostoïevski. L'intérieur bourgeois, de la décennie 1860 à la décennie 1890, avec ses énormes buffets saturés de sculptures sur bois, ses coins privés de soleil où se tient le palmier, l'encorbellement que protège la balustrade dans un retranchement et ses longs corridors avec la flamme du gaz chantante, est le seul logis convenant au cadavre. "Sur ce canapé, la tante ne peut être qu'assassinée". La luxuriance sans âme du mobilier ne devient confort authentique que devant la dépouille mortelle.
Walter Benjamin. Sens unique.
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