mardi 24 mars 2015

Tuesday self portrait

Tant et si bien qu'un beau jour, pris d'une ardeur furieuse, celui-ci résolut de fabriquer une machine à composer des vers. Pour ce faire, Trurl commença par recueillir huit cent vingt tonnes de littérature cybernétique, ainsi que douze mille tonnes de poésie, et se mit résolument à l'étude. Lorsqu'il ne parvenait plus à digérer la cybernétique, il passait immédiatement à la poésie lyrique, et vice versa. Au bout d'un certain temps, il comprit que la construction de la machine proprement dite ne serait qu'une bagatelle en comparaison de sa programmation. En effet, le programme qui se trouve incorporé dans la cervelle du premier poète venu est l'oeuvre de la civilisation dans laquelle il a vu le jour. Cette civilisation elle-même a été engendrée par celle qui l'a précédée, laquelle à son tour est le fruit d'une civilisation antérieure, et ainsi de suite jusqu'au commencement de l'univers; en ce temps-là, les informations se rapportant au futur poète gravitaient encore de façon chaotique à l'intérieur du noyau de la nébuleuse primitive. Ainsi donc, afin de programmer la machine, il fallait pouvoir répéter au préalable, sinon l'évolution du cosmos tout entier, du moins une bonne partie de celle-ci. Tout autre que Trurl eût reculé devant pareille tâche, mais notre vaillant constructeur ne songea point un instant à capituler. Il commença par confectionner une machine à simuler le chaos, et l'esprit électrique planait en son sein au-dessus des eaux électriques -puis il ajouta le paramètre de la lumière et celui des nébuleuses primitives, s'approchant ainsi peu à peu de la première période glaciaire. Or tout cela fut possible grâce au fait que la machine parvenait à simuler en cinq milliardièmes de seconde cent septuplions d'événements différents en quatre cents octillions de lieux à la fois. Et si, par hasard, l'un d'entre vous estime que Trurl s'est trompé quelque part, qu'il refasse donc lui-même tout le calcul. 
Stanistas Lem. La cybériade.

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