mercredi 19 août 2015

Erreur de la météo en notre faveur

J'ai nagé sous un ciel
mais, sur la foi du bulletin météo qui m'avait promis une matinée en terrasse
je n'ai accordé que peu d'attention aux gouttes qui ont parsemé ma serviette 
jusqu'à 

l
a

p
l
u
i
e

qui fait pédaler plus fort 
qui brouille la vue. 
Je connais les tendances Comtesse de Ségur de l'île, 
le gris ne dure que le temps d'une tasse de thé.
Au studio
je suis entrée dans la 
Maison des feuilles
en attendant sans inquiétude le retour du ciel


"C'est drôle", nous dit au début Navidson. "J'ai juste envie de garder une trace, de montrer comment Karen et moi on a emménagé avec les enfants dans une petite maison à la campagne. Comment les choses se sont passées. Ni fusillades, ni famines, ni mouches. Rien que du dentifrice, du jardinage, et des histoires ordinaires. Et c'est sur cette base que j'ai obtenu une bourse de la fondation Guggenheim et du NEA Media Arts. Peut-être à cause de mon passé ils s'attendent à quelque chose de différent, mais je me suis juste dit que ce serait sympa de voir comment des gens prennent possession d'un lieu nouveau. Comment ils s'installent, voire s'y enracinent, se comportent entre eux et pourquoi pas apprennent à un peu mieux se connaître. Personnellement, j'ai juste envie de créer un petit avant-poste confortable pour ma famille et moi. Un endroit où boire de la citronnade sous le porche en regardant se lever le soleil."
Or, c'est presque littéralement la façon dont débute le Navidson Record, avec Will Navidson qui se détend sous le porche de sa petite maison de style colonial, en dégustant un verre de citron pressé, tandis que le soleil teinte d'or les premières minutes du jour. En dépit de l'allégation de Rosen, rien chez Navidson ne semble particulièrement retors ou contrefait. Et il n'a pas l'air non plus de jouer la comédie. En fait, c'est un homme d'une amabilité désarmante, mince, séduisant, approchant tranquillement la quarantaine, bien décidé à se poser pour explorer le côté paisible de la vie. 
Du moins y réussit-il au début, avec une série de plans superbes montrant la campagne de Virginie, le paysage rural, les collines violettes issues de la nuit, avant de quitter cette vision fondatrice pour se concentrer davantage sur l'emménagement dans la maison, les tapis d'Orient d'un bleu pâle qu'on déroule, les meubles qu'on change sans cesse de place, les cartons qu'on déballe, les ampoules électriques qu'on change, et les photos qu'on accroche, y compris une de celles qui lui ont valu des récompenses. De cette façon, Navidson nous montre non seulement comment chaque pièce est investie, mais également comment chacun y apporte sa propre touche personnelle. 
A un moment, Navidson marque une pause pour interroger ses deux enfants. Ces plans sont eux aussi d'une composition parfaite. Son fils et sa fille baignent dans la lumière du soleil. Leurs visages chaudement éclairés se détachent sur un décor apaisant, pelouse verte et arbres.
Daisy, alors âgée de cinq ans, apprécie leur nouvelle maison. "C'est joli ici", dit-elle avec un petit rire timide, ce qui ne l'empêche pas de souligner l'absence de grands magasins comme "Bloomydales".
Chad, qui a trois ans de plus que Daisy, se montre un peu plus réservé, voire grave. Sa réaction a trop souvent été mal interprétée par ceux qui connaissent la fin du film. Or il est important de se rappeler qu'à cette époque Chad ignorait tout de ce que l'avenir leur réservait. Il exprime simplement des inquiétudes naturelles chez un garçon de son âge qui vient d'être déraciné de son habitat citadin pour être transplanté dans un environnement radicalement différent.
Et d'expliquer à son père que c'est le bruit de la circulation qui lui manque le plus. Il semble que le vacarme des camions et des taxis faisait pour lui, le soir, office de berceuse. Il a désormais du mal à s'endormir dans le silence.
"Et le bruit des criquets ?" demande Navidson.
Chad secoue la tête.
"Ça te fait peur ?"
Chad acquiesce.
"Pourquoi ? lui demande son père.
-On dirait que quelque chose attend.
-Quoi ?"
Chad hausse les épaules.
"J'en sais rien, papa. J'aime bien le bruit des voitures, c'est tout."
 Mark Z. Danielewski. La Maison des feuilles.  

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