Je ne sais pas pourquoi la mémoire des rêves est si différente de nos sens éveillés car je ne puis croire à ces explications justicières selon lesquelles affleurent dans les premiers, sous des déguisements divers, ce que les seconds rejettent. Il y a dans cette croyance un élément qui me paraît religieux à l'excès, une vague idée de réparation dans laquelle je ne peux faire moins que de retrouver la trace de choses telles que la hantise du mal, les oreilles qui ne veulent pas entendre, l'oppression des justes, la lutte des contraires, la vérité qui attend son heure et la notion qu'il existe une part de nous qui est en contact plus direct avec les divinités que ne l'est notre discernement. C'est pour cela que j'incline plutôt à croire que les ajournements obstinés du temps dans les rêves sont chose civilisée, des pauses conventionnelles de caractère dramatique, narratif ou rythmique comme la fin d'un chapitre, ou les entractes, comme la cigarette qu'on fume après déjeuner, les minutes qu'on passe à feuilleter le journal avant de se mettre au travail, le temps d'arrêt qui précède la lecture d'une lettre redoutée ou le dernier regard à la glace avant de sortir le soir. A moins qu'ils ne soient dus à l'incertitude car la vérité rêvée et le raisonnement rêvé n'arrivent pas toujours aussi résolument qu'ils en ont la réputation.
Javier Marias. L'homme sentimental.
J'entre dans un lavomatic avec un gros sac de linge à laver.
Je vois Otto, en train de dormir, recouvert partiellement d'une couverture sous laquelle il y a, manifestement, une personne allongée.
Il s'agit d'un homme bien qu'il ressemble suffisamment à une femme pour que j'hésite un peu, quant à son sexe.
Il s'extirpe de la couverture et, quand je le vois, je décide de ne pas laver la totalité de mon linge pour ne pas avoir à subir sa présence trop longtemps.
Il me fait des compliments maladroits : il me dit qu'il n'a pas vu depuis longtemps une personne aussi "mimi" que moi.
Il me demande aussi si je n'aurais pas vu des bouteilles de vin, me désignant l'endroit où elles étaient et où je ne vois qu'une provision de lait et de farine.
Pour me donner plus d'assurance que je n'en éprouve en réalité, je flatte Otto qui saute joyeusement autour de moi, de manière à montrer à l'homme que je le connais et qu'il pourrait me protéger en cas d'agression.
Je dis Je pourrais être mariée depuis vingt ans et avoir trois enfants.
Il me répond Sauf que ce n'est pas vrai.
Rêve du 24 décembre 2013