La croisant dans la rue, je ne décelai sur son visage aucun signe de reconnaissance et je ne m'en étonnai pas car, pendant quelques semaines, arrivant pourtant après moi, elle s'était obstinée, tout en discutant bruyamment avec celle que j'avais cru être une de ses amies avant de me rendre compte qu'une fois dans le bus elles semblaient ne plus se connaître, choisissaient leur siège indépendamment, ouvraient chacune leur livre et ne se saluaient pas en descendant, elle s'était obstinée, disais-je, à se placer juste devant moi comme si je ne les devançais pas dans la file d'attente, comme si je n'existais pas et, à me doubler ainsi, c'était surtout mon dos qu'elle voyait et même ensuite, quand elles eurent logiquement conclu de ma présence régulière que j'étais une habituée moi aussi, quand ce fut derrière moi qu'elles discutèrent, c'était toujours mon dos qu'elle voyait mais, de mon côté, dans cette rue où je la croisai, j'esquissai un sourire dans sa direction, espérant secrètement qu'il mette en branle son trombinoscope mental : elle me sourit je la connais sûrement et c'est vrai j'ai l'impression de l'avoir déjà vue quelque part mais où cela peut-il bien être ? son visage d'étrangère ne m'est pas inconnu mais d'où je la connais ? à moins qu'elle ne m'ait souri seulement parce qu'elle m'a prise pour une autre, quelqu'un de sa connaissance... et je souhaitai qu'elle pense à mon visage avec l'agacement obstiné qu'on met à retrouver un mot qu'on a pourtant sur le bout de la langue, la croisant dans la rue je souhaitai que mon visage l'occupe longtemps.
Et il y a cette autre que je ne connais que souriante et toujours habillée aux couleurs du magasin et de la voir marcher dans la rue, vêtue d'un tee shirt rayé, le visage grave tourné à l'intérieur d'elle-même, de la voir à son insu du haut du bus m'a donné l'impression de la voir nue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire