jeudi 18 février 2016

Partie de ping pong avec Kim Jong-un

C'est un jour de bonne fortune que j'empruntai, sans rien connaître de lui, un livre de Ricardo Piglia
Ce n'est qu'après avoir fini de le lire que, non seulement je m'aperçus que j'avais déjà cité son nom mais aussi que, en me documentant sur lui, je lus l'article que David Pérez Vega lui avait consacré sur son blog de critiques littéraires
Bien que je partage les préventions de Javier Marías (1) qui sont aussi celles de Margaret Atwood (2), il me plait, parfois, de rencontrer des auteurs et j'en compte même parmi mes amis.
Une autre bonne fortune me fit découvrir David très peu de temps avant la présentation de son livre à Palma. Ce en quoi la rencontre de cet auteur eut d'inédit pour moi, c'est qu'elle eut lieu en espagnol. 
Plus tard, quand je lus Los insignesje fus bien obligée de reconnaître mes points communs avec le dirigeant de la Corée du nord. 
En effet, dans le roman de David, c'est en effectuant une recherche sur Garcia Lorca que Kim Jong-un découvre le blog littéraire écrit par Ernesto Sánchez, un poète espagnol, avec qui il entre en contact, à la plus grande surprise de ce dernier. 
"Au début, j'ai cru, comme tu le comprendras, Kim Jong-un, que tout ceci était une blague. Ça ne se pouvait tout simplement pas que m'ait écrit un mail le nouveau président de la Corée du nord -quasiment l'ultime représentant du rêve d'égalité entre les hommes, le fléau du capitalisme sauvage- et qu'il s'exprime dans un espagnol plus que correct."(3)
Ce dialogue souvent désopilant permet non seulement à David Pérez Vega de faire une critique très acerbe du milieu de la poésie espagnole mais également à son personnage Ernesto Sánchez de donner quelques leçons à Kim Jong-un : 
"Tomber d'un âne… Tu ne connais pas cette expression, Kim Jong-un ? Ah oui, excuse-moi, c'est que, parfois, je vais un peu vite et comme je vois que tu parles très bien et que tu sembles tout comprendre, je ne me rends pas compte que je devrais parler plus lentement et soigner mes expressions. "Tomber d'un âne" signifie dire du mal, critiquer durement…"(4)


"Tu ne dédierais aucun vers à ce fien ? Comment ? Ah ! chien ! Quand tu te fâches, ta prononciation empire… Bon, allez, ne t'énerve pas, s'il te plait, ce n'était pas mon intention… Bois un peu de ton verre de jus et, pendant que tu te calmes, je continue à te raconter."(5)

Si, lors de notre deuxième rencontre (6), David ne manifesta aucun signe d'impatience face à mon peu de maîtrise de la syntaxe espagnole et ma piètre prononciation, je ne le dois qu'à sa bonne éducation car il aurait légitimement pu se fatiguer rapidement de m'écouter parler encore plus mal que n'importe quel enfant de son pays. 
Avant de le quitter, j'aurais voulu lui dire que j'étais en train de lire, sans tant de difficultés et avec grand plaisir, un autre livre de Ricardo Piglia. Mais je pensai qu'il était raisonnable d'espérer avoir gagné en assurance dans sa langue si, un autre jour, j'avais la chance de le revoir plutôt que d'en être réduite à lui confesser en bredouillant mon identification totale avec un des personnages cités dans le livre. 

"Quand j'étais étudiant et que je vivais à La Plata, je gagnais ma vie en enseignant l'espagnol à des gens de droite tchèques, polonais et croates que l'avancée de l'histoire avait expulsés de leurs territoires. 
Le Congrès pour la Liberté de la Culture, une organisation de soutien aux anticommunistes de l'Europe de l'est, les protégeait et faisait ce qu'il pouvait pour les aider. A La Plata, ils avaient passé un accord avec l'université et embauché des étudiants en littérature pour leur enseigner un peu de grammaire espagnole. Je connus beaucoup de cas pathétiques, pendant ces années, mais aucune histoire aussi triste que celle de Lazlo Malamüd. Il avait été un critique célèbre et professeur de littérature à l'université de Budapest et c'était le plus grand expert de l'Europe centrale de l'oeuvre de José Hernandez. 
Il lisait correctement l'espagnol mais il ne pouvait pas le parler. Il connaissait le Martín Ferrio par coeur et cela constituait son vocabulaire de base. Il était venu là avec l'espoir d'obtenir un poste à l'université et, pour cela, il devait seulement être capable d'enseigner en espagnol. On lui avait demandé de prononcer une conférence à la Faculté des Humanités où était Hector Azeves et de cette conférence dépendait son avenir. La date approchait et il était paralysé de terreur. 
L'université me payait dix pesos par mois et je devais apporter une espèce de liste avec la signature de Malamüd qui garantissait sa présence. Je le voyais trois fois par semaine. Il parlait avec moi une langue imaginaire, pleine de r gutturaux et d'interjections gauchistes. Comme il pouvait, il essayait de m'expliquer le désespoir que cela lui provoquait de se voir condamné à s'exprimer comme un enfant de trois ans. L'imminence de la conférence le plongeait dans une telle panique qu'il ne parvenait pas à avancer plus loin que les verbes de la première conjugaison."(7)

J'ai traduit librement tous les extraits cités. 
De Lección pasada de moda. Letras de lengua de Javier Marías, de Los insignes de David Pérez Vega ainsi que de La ciudad ausente de Ricardo Piglia. 
 (1)
"A l'heure d'étudier la littérature, je crois que ce dont il y a à parler est le texte et rien de plus que le texte. Qu'on ait, ensuite, une information sur qui l'a écrit et que cela puisse nous aider à mieux comprendre le texte, c'est bien mais que cette information externe au texte soit ce qui motive à l'étudier, cela me parait de la folie et, cependant, cela se passe de plus en plus. Ceci, c'est de la sociologie, pas de la littérature. A la fin, ce qu'on étudie, ce sont les textes : on n'étudie pas les biographies. Que je sache, il n'existe pas encore de licence en biographie littéraire.
Il y a des lecteurs qui m'écrivent qu'un ou plusieurs de mes livres leur ont plu et que c'est pourquoi ils aimeraient beaucoup me connaître. J'ai du mal à voir la relation entre ces deux choses. Si quelqu'un a beaucoup aimé un livre, je ne vois pas ce que peut lui apporter le désir de connaitre la personne qui l'a écrit. Parfois, s'il me semble que la personne est très aimable et qu'elle mérite une réponse, je lui réponds quelque chose comme : que je sois ici en chair et en os est un accident passager qui sera résolu. Aujourd'hui, il n'arrive à personne de dire, en lisant Madame Bovary ou Bouvard et Pécuchet, qu'il aimerait connaître Flaubert parce que Flaubert n'est pas ici en chair et en os et que cela n'importe à personne qu'il le soit ou pas. L'écrivain est l'encre et le papier : qu'il soit de chair et d'os pendant un moment est un pur accident et temporaire, en plus."

(2) 

"Que tu aimes le pâté ne signifie pas que tu veuilles connaître le canard"

(3)
"Al principio creí, como comprenderás, Kim Jong-un, que todo esto era una broma. No podía ser, simplemente, que me estuviese escribiendo un email el nuevo presidente de Corea del Norte -el casi último representante del sueño de igualdad entre los hombres, el azote del capitalismo salvaje-, y que se expresara en un español más que correcto."

(4)
"Caer de un burro… ¿no conoces la expresión, Kim Jong-un? Sí, disculpa, es que en ocasiones me acelero y como veo que hablas muy bien y que pareces entenderlo todo, no me doy cuenta de que debería hablar más despacio y cuidar mis expresiones. "Poner a caer de un burro" significa poner a parir, criticar duramente…"

(5)
"¿Ni un verso dedicarías a ese pego? ¿Cómo? ¡Ah, perro! Cuando te enfadas pronuncias peor la erre doble… Bueno, venga, no te sulfures, por favor, que no era mi intención… Bebe un poco del vaso de zumo y mientras te calmas te sigo contando."

(6)
En compagnie de sa charmante fiancée, lors d'un dîner madrilène que je vécus comme un bon moment pendant qu'à eux deux, il dut paraître très laborieux. 

(7)
Cuando era estudiante y vivía en La Plata, me ganaba la vida enseñando español a los derechistas checos, polacos y croatas a los que el avance de la historia estaba expulsando de sus territorios. (…) El Congreso por la Libertad de la Cultura, une organización de apoyo a los anticomunistas de Europa del Este, los protegía y hacía lo que podía por ayudarlos. En La Plata habían hecho un acuerdo con la universidad y contrataban a estudiantes de literatura para enseñarles un poco de gramática española. Conocí muchos casos patéticos en esos años, pero ninguna historia tan triste como la de Lazlo Malamüd. Había sido un crítico famoso y profesor de literatura en la Universidad de Budapest y era el mayor experto centroeuropeo en la obra de José Hernandez. 
(…) Leía correctamente el español, pero no podía hablarlo. Se sabía el Martín Ferrio de memoria y ése era su vocabulario básico. Había venido acá con la ilusíon de conseguir un cargo en la universidad y para obtenerlo sólo tenía que ser capaz de enseñar en español. Le habían pedido que dictara una conferencia en la Facultad de Humanidades, donde estaba Héctor Azeves, y de esa conferencia dependía su futuro. La fecha se acercaba y estaba paralizado de terror. 
(…) La universidad me pagaba diez pesos por mes y yo tenía que llevar una especie de planilla con la firma de Malamüd garantizando la asistencia. Lo veía tres veces por semana. Hablaba conmigo en un idioma imaginario, lleno de erres guturales y de interjecciones gauchescas. A media lengua trataba de explicarme la desesperación que le producía verse condenado a expresarse como un chico de tres años. La inminencia de la conferencia lo tenía sumido en tal pánico, que no lograba avanzar más allá de los verbos de la primera conjugación. 

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