samedi 1 août 2015

Un été ardent

Je ne transporte jusqu'à la mer que des pages légères, que je tourne pendant les quarante-cinq minutes que j'octroie au soleil pour sécher mon maillot. 
Mon livre de l'été ne quitte pas la chambre où je passe les après-midis ventilés 
mais rejoint
lui 
le carrelage frais quand je suis rejointe
 moi 
sur le lit blanc.
Par une sorte de coïncidence lyrique Marina et Mlle Larivière prenaient le thé dans la véranda vitrée de style russe, qui ne servait que fort rarement. 
(…) Van but un verre de lait et se sentit soudain envahi par une vague d'épuisement si délicieuse qu'il décida de se mettre au lit sans attendre. 
"Tant pis", fit Ada en s'emparant avidement d'une épaisse tranche de fruit-cake.  
"Hamac ?" s'enquit-elle encore. Mais Van, qui ne tenait plus sur ses jambes, secoua la tête et se retira après avoir baisé la mélancolique main de Marina. 
"Tant pis", répéta Ada, et avec un invincible appétit elle entreprit aussitôt d'enduire largement de beurre la surface couleur jaune d'oeuf du gâteau et ses riches incrustations de raisins, de cerises, d'angélique et de cédrat. 
Mlle Larivière observait la manoeuvre avec stupeur et dégoût. 
"Je rêve, dit-elle. Il n'est pas possible qu'on mette du beurre par-dessus toute cette pâte britannique, masse indigeste et immonde ? 
-Et ce n'est que la première tranche", dit Ada. 
"Une pincée de cannelle dans ton lait caillé ?" demanda Marina. 
"Imaginez, Belle (à l'adresse de Mlle Larivière), qu'elle appelait cela de la neige au sable quand elle n'était encore qu'un bébé. 
-Elle n'a jamais été un bébé, dit Belle d'un ton péremptoire. Elle était de force à briser les reins de son poney avant même d'avoir appris à marcher. 
-Je me demande combien de kilomètres vous avez pu faire aujourd'hui, dit Marina; notre athlète est complètement épuisé. 
-Sept, seulement", répondit Ada avec un sourire tout en continuant de mâcher. 
Vladimir Nabokov. Ada ou l'ardeur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire