Je me souviens encore de l'après-midi où notre professeur d'espagnol s'est tournée vers le tableau et a écrit les mots épreuve, vendredi, prochain, Madame, Bovary, Gustave, Flaubert, français. A chaque mot s'alourdissait le silence et, à la fin, on entendait seulement le triste crissement de la craie. Jusqu'alors nous avions déjà lu de longs romans, presque aussi longs que Madame Bovary, mais, cette fois, le délai était impossible : nous avions à peine une semaine pour affronter un roman de quatre cents pages.
(…) Madame Bovary était un des rares romans qu'il y avait chez moi, c'est ainsi que, la nuit même, j'ai commencé à le lire, suivant la méthode d'urgence que m'avait enseignée mon père : lire les deux premières pages puis les deux dernières et seulement alors, seulement après avoir découvert le début et la fin du roman, continuer à lire. Si tu n'arrives pas à finir, au moins tu sais qui est l'assassin, disait mon père, qui, apparemment, lisait seulement des livres dans lesquels il y avait un assassin.
La vérité, c'est que je n'ai pas beaucoup avancé dans la lecture. J'aimais lire mais la prose de Flaubert me faisait simplement piquer du nez. Par chance, j'ai trouvé, la veille de l'épreuve, une copie du film dans un vidéo club de Maipú. Ma mère a tenté de s'opposer à ce que je le voie parce qu'elle pensait qu'il n'était pas adapté à mon âge et moi aussi, je le pensais ou, plutôt, je l'espérais car Madame Bovary me paraissait un porno, tout le français me paraissait porno. Le film était, dans ce sens, décevant mais je l'ai vu deux fois et j'ai rempli les feuilles de l'interrogation recto verso. Cependant, je n'ai pas eu la moyenne, de manière que, pendant pas mal de temps, j'ai associé Madame Bovary à cet échec et au nom du metteur en scène du film que la professeur avait écrit entre des points d'exclamation à côté de ma mauvaise note : Vincente Minnelli !
Jamais je n'ai eu à nouveau confiance dans les versions cinématographiques et, depuis lors, je crois que le cinéma ment alors que la littérature non (mais, bien sûr, je ne saurais comment le prouver). J'ai lu le roman de Flaubert longtemps après et j'ai l'habitude de le relire plus ou moins à l'époque de la grippe de l'année. Mon changement de goût n'est pas mystérieux puisqu'il se passe des choses semblables dans la vie de tous les lecteurs. Mais c'est un miracle que nous ayons survécu à ces professeurs, qui auront fait tout leur possible pour nous démontrer que lire était la chose la plus ennuyeuse du monde.
Traduction libre de Lectures obligatoires in No leer (Ne pas lire) de Alejandro Zambra.
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