Cela n'a pas été un exemple d'amour au premier regard : la première fois que j'ai vu Stalker, cela m'a laissé un peu ennuyé et indifférent. Cela ne m'a pas submergé (pour le dire un peu stupidement : je n'aurais jamais pensé que, trente ans plus tard, je finirais pas écrire un livre dessus) mais c'est une expérience qui ne m'est pas sortie de la tête. Quelque chose m'est resté, à l'intérieur. A cette époque, je vivais à Putney et un jour, ma copine d'alors et moi nous promenions à Richmond Park. C'était l'automne et un oiseau survola la pente jusqu'à un groupe d'arbres, il battit des ailes et vola d'une manière qui m'a rappelé comment était entré en volant le deuxième oiseau, dans la vaste chambre de sable. Immédiatement, j'ai eu envie de retourner voir le film et, depuis lors, le désir de le revoir -encore et encore- ne m'a jamais quitté.J'ai eu envie de le voir immédiatement mais cela n'était pas possible. J'ai dû attendre qu'il repasse au cinéma. Evidemment, c'est très pratique de pouvoir voir Stalker -ou au moins le consulter- à la maison, en DVD, chaque fois qu'on en ressent la nécessité. Mais cela me plait que mes visites dans la Zone restent à la merci de l'affiche des cinémas ou des programmes des festivals. A Londres ou dans n'importe quelle ville où j'ai habité, je consultais toujours le Time Out, le Pariscope ou le Village Voice avec l'espoir que Stalker passerait. Si c'était le cas quelque part, le voir se changeait en priorité, en événement qui conditionnait le reste de la semaine. Ainsi, la Zone demeurait spéciale, éloignée du quotidien (dont, en même temps, elle continuait à faire partie). Y arriver était toujours une petite expédition, un pèlerinage cinématographique.*
*Le livre de Geoff Dyer, Zona : a book about a film about a journey to a room, un livre à propos du film Stalker de Tarkovski, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Zona. Un libro sobre una película sobre un viaje a una habitación. C'est de l'espagnol que je fais une traduction libre.
Il y a ce qu'on aimerait ne jamais oublier.
Il y a ce qu'on aimerait oublier à jamais.
Il y a ce qu'on regrette d'avoir oublié.
Il y a ce qu'on avait oublié avoir oublié.
Ni madeleine ni thé, ce soir-là au studio mais un DVD emprunté de manière anodine, nonchalamment introduit dans le lecteur, un des courts (1) choisi au hasard dans le menu.
Et, alors que je ne m'y attends nullement :
un choc exactement de la même nature, une impression extrêmement forte que je reconnais pour l'avoir vécue à l'identique il y a 27 ans devant un film du même metteur en scène, la joie intense d'un moment poétique dont je sais qu'il est en train de s'imprimer dans ma vie, de s'imbriquer dans mon puzzle personnel.
Et, dans le même temps :
la stupéfaction d'avoir oublié (mais -depuis- quand ?) non pas le film qui m'avait procuré ce bouleversement (2) mais d'avoir oublié qu'il avait autant marqué mes années de formation, d'oublier de le compter dans mes grands films. (3)
(1)
J'ai rendu le DVD, au terme de la durée de mon emprunt. Pour écrire ce billet, j'ai cherché une copie de H is for house sur internet et, habituée à y trouver les choses les plus improbables, j'ai dû m'apercevoir que, cette fois, ce n'était pas si facile : Cette vidéo n'existe pas, disent la plupart des liens.
(2)
Je n'ai jamais revu Drowning by numbers. Il est bien trop tard à présent, il rejoint les chaussons aux pommes, le ragoût de mouton, les livres de Julien Gracq… dans la catégorie de ce dont je préfère garder un bon souvenir plutôt que de me confronter à la réalité peut-être décevante.
"J'imagine que, pour n'importe qui, il est
rare de voir ses grands films -ceux qu'il ou elle considère comme grands
films- passé trente ans. Après quarante ans, c'est extrêmement
improbable. Après cinquante, impossible."
Addendum : quelques jours après avoir vu les films de Greenaway et pendant la rédaction de ce billet, une lecture qui fait écho.
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