On devrait sortir manifester -elle a dit. Je l'ai regardée sans comprendre et elle s'est expliquée : Il y a des manifestations devant les sièges du PP. Le PP a accusé l'ETA bien qu'il sache que ce n'était pas eux. Les gens étaient furieux.-Tu étais furieuse ?-Arturo m'a envoyé un message -elle a dit, ne faisant aucun cas de ma question-. Il dit qu'il y a une grande concentration devant le siège central. C'est ici, à côté. -Puis, en anglais- : Ceci est quelque chose d'historique.-Si je ne m'étais pas réveillé -je lui ai demandé avec un accent étranger dans la voix, peut-être fâché- tu m'aurais réveillé ou tu y serais allée sans moi, ou simplement tu n'y serais pas allée ?-Je ne sais pas. Je t'ai réveillé.Nous sommes sortis de l'appartement, avons longé quelques pâtés de maison et, avant de voir les gens, on les a entendus; ils criaient à propos de la vérité, des mensonges et du fascisme. La police anti-émeutes s'interposait entre la foule et le siège du PP. Ils étaient jeunes, ils étaient furieux et on s'est joints à eux. Teresa, à ma surprise, l'a fait avec un naturel élégant, elle a fait siennes les consignes, bien que je n'ai pas réussi à distinguer sa voix des autres et elle a levé le poing avec toute la foule sans que rien de tout cela ne paraisse affecté ou stupide. Les gens frappaient sur des tambours, des marmites et des louches et je me suis enfoncé dans le groupe à la suite de Teresa. A la fin, je n'ai plus pu avancer davantage et elle s'est perdue en avant.*
*Saliendo de la estación de Atocha est un roman américain de Ben
Lerner que je lis dans sa version espagnole grâce à la traduction de
Cruz Rodríguez Juiz. Il existe en français, traduit cette fois par
Jakuta Alikavazovic et publié aux éditions de l'olivier.
En ce temps-là, j'habitais à Lille et, souvent, je rendais visite aux animaux du zoo. Seule dans les allées aux premières heures de la matinée des jours de semaine, après que je leur avais gratté le dos qu'ils collaient dans ce but à la grille ou qu'ils m'avaient léché les doigts, je me sentais aussi joyeuse que les lémuriens.
Le matin du 11 mars 2004, j'étais allée au zoo et, en rentrant, j'étais passée par le marché.
J'avais allumé la radio pendant que j'entassais les fruits dans la corbeille, empilais les fromages dans le frigo.
En ce temps-là, j'écoutais la radio.
En ce temps-là, je mangeais du fromage.
Ou bien, plus tard, au moment de cuisiner, pendant que je coupais une tomate, que j'éminçais une carotte, un oignon.
En ce temps-là, je mangeais des oignons.
Pendant que je coupais le poulet en dés.
En ce temps-là, du poulet, oui, aussi.
Ou était-ce à la fin de l'après-midi, à la fin de cet après-midi-là, dont je m'en voulais de n'avoir rien fait de mémorable.
En ce temps-là, je m'en voulais souvent, de ça.
Ou au début de la soirée, quand il était déjà temps de se demander qu'est-ce qu'on mange ?, de ne pas avoir tellement envie d'y répondre et de déballer les fromages en écoutant vaguement les informations.
Le 11 mars 2004, tôt ou tard, j'ai allumé la radio et je me suis dit quelle horreur !
En ce temps-là et maintenant et tout le temps, on me dit des corps, des nombres de morts, je reste pétrifiée d'effroi, je ne sais penser que ça quelle horreur !.
L'après-midi du 8 septembre 2014, pour la première fois, j'ai vu Guernica. La lumière était douce à la sortie du musée de la Reine Sofia, la lumière éclairait doucement la gare d'Atocha.
Le 8 septembre 2014, je ne me souvenais plus : du nom de la gare, du nombre de morts, de blessés, de la date de l'attentat.
Je me suis dit quelle horreur !, quelle horreur d'avoir tant de fois eu l'occasion de penser quelle horreur !, de rester pétrifiée d'effroi pour tant d'autres morts, tant d'autres blessés tant de fois en dix ans que je ne me souviens pas de toutes.
Je me suis dit quelle horreur !, quelle horreur d'avoir tant de fois eu l'occasion de penser quelle horreur !, de rester pétrifiée d'effroi pour tant d'autres morts, tant d'autres blessés tant de fois en dix ans que je ne me souviens pas de toutes.
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