Il y a des moments où il faut se précipiter à la poursuite de l'espérance. L'air dans lequel on vivait, on le sent soudain qui se solidifie autour de vous comme du ciment. Ce qui vivait autour de vous n'est plus qu'une peinture sur la pierre qui vous emmaillote. Un jour on perd une fleur de sauge, l'autre jour on perd un arbre, puis un lambeau de forêt, puis un fleuve tout entier avec ses roseaux et ses poissons : ce qui était là devant vous, dressé en profondeur avec ses volumes et toutes les délicieuses avenues qui y sont entrecroisées de tous les côtés, on se précipite, saisi d'angoisse, et en effet, on le touche, peint, plat, plâtreux, mort. Comme si, brusquement, on était dans un canton de l'existence où il ne reste plus que des symboles, on habite des fresques de la vie. Elles vous entourent des quatre côtés avec des murs. La perspective et la couleur jouent cruellement avec vos désirs. Dans l'alanguissement du ciel le plus océanique votre main ne trouve pas d'issue. C'est alors qu'il faut mourir, c'est plus logique. Il est impossible de rester en désaccord. L'accord est la seule joie du monde; et de ce côté il est encore là, et soumis à votre volonté; ou bien, c'est alors qu'il faut s'arracher et non pas fuir mais poursuivre. C'est l'effort le plus barbare du monde mais le plus beau. Quand il faut faire le premier pas, avec les gestes tous entravés de bandelettes de pierre, avec une âme, un coeur et un foie de goudron, et la cire qui vous cachette les narines et votre ventre est mou comme un épi malade et on vous a retiré les entrailles avec un crochet de fer. Et faire le premier pas; et puis les autres pas !
Jean Giono. Vie de Mademoiselle Amandine in Rondeur des jours.
mardi 1 septembre 2015
Tuesday self portrait
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire