samedi 12 mars 2016

La vie des pages (23)

La langue, quand elle est majorquine et, donc, m'est étrangère, me fait parfois l'effet d'une cloison 
(mais parfois, non :
Je n'ai pas la confirmation que la surdité soit une condition généralisée à Majorque mais pour le visiteur de l'extérieur, le niveau de bruit domestique pourrait le faire croire. Une conversation aimable entre deux femmes dans une boutique ou d'un groupe d'hommes jouant à truc au café peut atteindre un volume suffisant pour communiquer de part et d'autre d'une autoroute. Beaucoup de non-Majorquins ne se risquent pas à entrer dans un établissement où une conversation est en cours, de peur de se trouver mêlé à une bagarre.

Traduction libre d'un extrait de Un hogar en Mallorca (un foyer à Majorque) de Tomás Graves.
) entre son locuteur et moi. 
C'est pourquoi je pus faire totalement abstraction du bibliothécaire qui, non loin de moi, passait des coups de téléphone. A peine remarquai-je qu'elles semblaient nombreuses, les personnes auxquelles il avait à rappeler qu'elles avaient des livres à rendre. 
Quand, soudain, ma lecture me donna une surprenante impression d'ubiquité. 
Mettant en ordre sur mon bureau les papiers trouvés sur les états d'absence, je pensais à l'éloignement du monde et à ses conséquences quand un appel téléphonique me sortit de l'abstraction; je décrochai l'appareil et une voix indifférente et autoritaire m'ordonna de rendre le plus tôt possible, sous la menace d'un châtiment abominable, les livres que j'avais empruntés à la bibliothèque : bien que j'aie dépassé le délai de près de deux ans sans que personne ne me réclame les livres, je devais les rendre immédiatement. Je ne pus répondre à cette impertinente qui m'avait arraché à mon imagination et avait coupé le cours des idées que le texte de Rousseau avait éveillé en moi. Maudit soit le téléphone, la bibliothécaire qui accomplissait son devoir, cette voix autoritaire, maladroite et sans contemplation. 

Traduction libre d'un extrait* de Libro de ausencias (Livre d'absences) de Antoni Marí. 

*
Ordenando en mi despacho los papeles encontrados sobre los estados de ausencia, pensaba en el extrañamiento del mundo y sus consecuencias cuando una llamada de teléfono me sacó de la abstracción; cogí el aparato y una voz indiferente y autoritaria me conminó a devolver lo antes posible, bajo la amenaza de un castigo ominoso, los libros que tenía en préstamo de la biblioteca : había superado casi dos años el plazo y aunque nadie reclamaba los libros tendría que devolverlos inmediatamente. No pude contestar a aquella impertinente que me había arrancado de mi fantasía y cortado el curso de ideas que el texto de Rousseau había despertado en mí. Maldije el teléfono, a la bibliotecaria, que cumplía con su deber, y a aquella voz autoritaria, torpe y sin contemplaciones.

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