-Pouvons-nous voir notre vie comme un rêve dont il faudrait se réveiller ?
-Je dirais plutôt que de ce rêve inconscient qu'a l'habitude d'être notre vie, il faut faire un rêve lucide. Il y eut un temps où, avant de dormir, j'avais l'habitude de passer en revue tous les événements du jour. Je visualisais le film de ma journée, d'abord du début à la fin et, ensuite, à l'inverse, selon le conseil d'un vieux livre de magie. Cette pratique de la "marche arrière" avait l'effet de me permettre de me situer à une certaine distance des événements du jour. Après avoir analysé, jugé et pris parti au premier examen, je repassais le jour en sens inverse et, alors, je m'en trouvais distancié. La réalité ainsi perçue avait les mêmes caractéristiques qu'un rêve lucide. Alors je me suis rendu compte que, comme tout le monde, en grande partie, je rêvais ma vie ! Passer en revue la journée la nuit équivalait à me souvenir de mes rêves le matin.
Le seul fait de me souvenir d'un rêve est déjà comme l'organiser. Je ne vois pas le rêve complet mais ce que j'en ai sélectionné. De même, en repassant les dernières vingt-quatre heures, je n'ai pas accès à toutes les actions du jour, mais à celles que j'en ai retenu. Cette sélection constitue déjà une interprétation sur laquelle je fonde mes jugements et mes appréciations. Cela nous rend plus conscients, nous pouvons commencer à distinguer notre perception subjective du jour de ce qui constitue sa réalité objective. Quand nous avons cessé de les confondre, nous sommes capables d'assister comme des spectateurs au déroulement de la journée, sans nous laisser influencer par des jugements ou des appréciations.
Depuis cette position de témoin, on peut interpréter sa vie comme on interprète un rêve.
Alejandro Jodorowsky. Psicomagia. Conversations avec Gilles Farcet.
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