mardi 26 août 2014

Tuesday self portrait

                                 
Au fond, ce que tu reproches aux romans c'est de te mener par le bout du nez, ou plutôt de produire un effet sur le lecteur qui va du dehors vers le dedans, au contraire de la poésie. Mais alors pourquoi la part de fabrication, de truc, chez Picasso ou chez Alban Berg, ne te gêne-t-elle pas ?
-C'est que je ne me rends pas compte. Si j'étais peintre ou musicien, je crois que je réagirais avec la même violence. Mais ce n'est pas cela uniquement, ce qui me désole c'est la pauvreté des moyens littéraires, leur répétition à l'infini. Vous me direz que dans les arts, il n'y a pas de progrès, eh bien je le regrette. Quand tu compares un même thème traité par un auteur ancien et par un auteur moderne, tu te rends compte qu'il n'y a pour ainsi dire pas de différence, du moins pour la partie rhétorique. Ce que nous pouvons dire tout au plus c'est que nous sommes de nos jours, plus pervers, mieux informés et que nous avons un répertoire beaucoup plus ample; mais les béquilles sont toujours les mêmes, les femmes pâlissent et rougissent (ce qui n'arrive à peu près jamais dans la réalité; moi, parfois, je deviens un peu verte et toi, rouge vif) et les hommes agissent, pensent et répondent selon une espèce de code universel qui peut aussi bien s'appliquer à un roman hindou qu'à un best-seller nord-américain. 
Julio Cortázar. Les gagnants. 


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