Au téléphone, l'enfant a raconté les parties de pêche et s'est amusé du village désert : Les gens ne se connaissent pas mais ils se disent bonjour quand même tellement il n'y a personne !
J'ai pensé à avant, à Paris au mois d'août : les stationnements gratuits, les soirées longues à fendre l'air chaud, les nappes de pollution qui rendent l'ascension de Montmartre inutile, les sorbets en bord de Seine.
C'est à croire que tous ceux qui sont partis d'ailleurs se trouvent ici, maintenant.
Sur la terrasse du studio, les couchers de soleil font office de papier peint. Arrivent jusqu'à moi l'excitation chlorée et enfantine des locations voisines ou, canine, celle des gardiens permanents, le bourdonnement des scooters des mers, les bribes de musique par les fenêtres ouvertes des voitures pressées…
Il m'arrive de faire de la figuration sur un rocher.
Mais, la plupart du temps, je monte un livre, je monte un thé, une petite assiette de fruits, un éventail.
Je quitterai mes lieux solitaires et perchés quand l'île sera, à nouveau, déserte mais, en attendant, je voyage immobile.
"Et puis, progressivement, à mesure que juillet cédait le pas à août, la ville commença à se vider. Des locaux commencèrent à fermer; où avant étaient exposées les marchandises, il restait seulement un volet métallique avec des graffitis et un papier expliquant que la boutique était fermée pour les vacances. Chaque jour, une autre boutique, un autre restaurant, un autre stand de marché fermait. Chaque jour d'autres amis partaient en vacances. J'ai passé des soirées entières à dire au-revoir, restant prendre un café au Calisto avant qu'ils quittent la ville, faisant bonne figure alors que je n'avais aucun voyage prévu ("Quelqu'un doit rester au poste de commandement", disais-je). Toutes mes connaissances partirent excepté Nick. Chaque jour il faisait plus chaud et la ville se retrouvait plus vide, plus silencieuse. Les rues succombèrent à une espèce d'éclipse : en pleine lumière du jour, elles avaient le même aspect que de nuit, avec tous les volets fermés. La "stupeur de la mi-journée" commença à durer tout le jour, toute la semaine. C'était août, "le mois des pendules arrêtées" et moi aussi, j'étais arrêté, bloqué.(…)La chaleur était africaine, calme, morte. Comme le sol déshydraté après des années de sécheresse, toute la vie du ciel s'était desséchée. Il n'y avait pas de nuages, et il était probable qu'aucun ne parviendrait à s'approcher à moins de cent kilomètres. Le soleil ne se calmait pas. Je me languissais de ces moments -deux ou trois par jour- où une légère brise se glissait dans l'appartement et m'offrait un répit. Pour le reste, la seule manière de bouger était sortir à moto, traverser la ville assommée par le soleil avec l'espoir de rencontrer Monica. Je suis monté au Janiculo contempler la cité à mes pieds, ses toits cuits par le soleil, la sécheresse comme à Jérusalem. Il régnait le silence, là-haut. Les grillons avaient fait leurs valises et étaient partis en vacances. Les jours passaient sans qu'il y paraisse. Je le dis d'autant plus que, finalement, Ferragosto arriva, le quinze août, et le peu qui était resté ouvert ferma. Ce fut le contraire d'un tremblement de terre. Rien ne bougeait et il n'y avait rien à faire. Absolument rien. Tout s'arrêta. Y compris le temps. Il n'y avait pas de circulation et il n'y avait pas de magasins et il n'y avait personne et il n'y avait pas de temps. Nous étions seuls, moi et le soleil colossal qui ne semblait disposé à aller nulle part. Je ne pouvais rien acheter et ça me faisait sentir des envies terribles : d'amis, de cerises, de pizzas, de toutes les choses dont je n'avais pas su faire provision avant le soleil et l'immobilité. Tous étaient partis. Y compris Nick. Monica n'apparaissait nulle part. Personne n'apparaissait nulle part. Sauf moi. Il y avait eu quelqu'un pour me voir mais, à présent, j'étais le seul pour voir."
Le livre de Geoff Dyer, Yoga for People Who Can't Be Bothered to Do It, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Yoga para los que pasan del yoga.
Vocabulaire noté :
-quedarse boquiabierto : rester bouche bée
-entre comillas : entre guillemets
-el papel : le rôle
-la ociosidad : l'oisiveté
-un terremoto : un tremblement de terre
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