mercredi 14 octobre 2015

L'identification (6 : les routines bienheureuses)

Après le Prado, j'avais l'habitude d'aller jusqu'à un petit café qui s'appelait Le Coin, où je mangeais un sandwich au chorizo et où j'avais coutume d'être le seul client, à moins qu'il y ait des touristes, puisqu'il n'était pas encore l'heure du déjeuner des espagnols. Ensuite, je marchais un peu jusqu'au Retiro, le plus grand parc de la ville, je cherchais un banc, sortais mes livres, mon dictionnaire de poche et mon Lorca et je fumais un joint. 
Si le soleil brillait et que je tombais juste dans la proportion de tabac et de haschich, s'il y avait des gens autour mais loin, que je pouvais entendre parler sans savoir dans quelle langue, une vague d'euphorie m'envahissait. Il restait des heures et des heures de lumière, pour les espagnols, ce n'était même pas le soir, il restait des mois et des mois de ma bourse, elle avait à peine commencé mais elle ne se prolongerait pas trop… A telle date, je retournerais à ma vie, un peu plus intéressant grâce à mon séjour à l'étranger, probablement plus mince mais, pour les autres, inchangé. Je n'avais pas besoin de me forger une vie à Madrid, au-delà des routines les plus simples, je n'avais pas à me préoccuper de me créer une communauté. J'avais le jour infini, des mois et des mois de jours infinis et, malgré tout, la date de retour délimitait cette sensation d'infini et l'empêchait d'être une menace.* 

*Saliendo de la estación de Atocha est un roman américain de Ben Lerner que je lis dans sa version espagnole grâce à la traduction de Cruz Rodríguez Juiz. Il existe en français, traduit cette fois par Jakuta Alikavazovic et publié aux éditions de l'olivier

Un jour d'avril 2013, je partis à Lisbonne pour y habiter jusqu'à la fin du mois d'août. 
Quatre mois comme une quarantaine, comme une parenthèse à l'intérieur de ma vie. 
(on disait aussi : l'enterrement de ma vie de jeune fille)
Une fois louée ma chambre en ville, dans une rue que les touristes ne fréquentaient pas 
,
je mis peu de jours à établir mon itinéraire.  
D'abord la pâtisserie en bas de chez moi où mon café était prêt avant que je m'assoie 
.
La bibliothèque, ensuite 
.
Le parc pour y lire, pour y dormir
.
Et puis, parfois, j'allais au Tage. 

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