Il existe aussi des poupées capables d'articuler le langage des vivants. En 1992, je me rendis à Londres pour connaître ce genre de poupées. Pas seulement les très populaires figures de rockers en cire capables de chanter et de parler, mais aussi quelques automates moins connus ayant la forme d'un devin ou d'un médecin et parlant notre langue. Je trouvais sur une place de marché un automate-médecin. Quand je m'assis en face de lui, il me dit d'une voix mécanique de poser les mains sur la plaque de verre. Le plateau de verre à travers laquelle on voyait sa mécanique complexe et fascinante. Il lut les lignes de mes mains, c'est à dire qu'elles furent déchiffrées comme des lettres. Le médecin fit un signe d'approbation et, d'un geste sûr, prit un morceau de papier. Il rédigea une ordonnance et me la donna. Malheureusement, son écriture était illisible. Une ligne rageusement ondulée courait de gauche à droite. C'est à cela que ressemblait une traduction écrite des lignes de ma main. Je fis comme si je pouvais lire l'écriture, remerciai l'automate-médecin et quittai la place du marché.Yoko Tawada. Narrateurs sans âmes.
Moi qui ai tant jeté tant de papiers toutes ces dernières années, je m'étonne d'encore en posséder, d'encore avoir des surprises en ouvrant une boîte, d'encore y trouver l'ordonnance rédigée par l'automate-médecin de Londres. Oui, celui-là même qu'a vu Yoko Tawada et qu'elle ait relaté sa consultation me dispense de le faire, je n'en dirais pas davantage.
A présent encore, j'aimerais pouvoir déchiffrer dans le griffonnage de l'automate un indice, le début d'un remède. Comme lorsqu'à Tokyo, les soirs d'épuisement, j'avais envie de m'approcher d'une des petites tables illuminées et d'abandonner les lignes de mes mains à l'un des devins, lui abandonner tout mon destin, abandonner ma vie.
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