Il regarde les graines éparpillées sur le sol d'ardoise et il sent son cou et ses oreilles s'empourprer. C'est en début de soirée qu'elle a dû réapprovisionner les mangeoires et, au lieu de les porter dans l'office pour les y remplir -car c'est ainsi qu'il le fait et qu'il l'a montré à Rose un bon nombre de fois-, elle a transporté le grain, une pelletée après l'autre, à travers la véranda et par la porte, et elle en a renversé en chemin. C'est elle tout craché ! Et, bien sûr, comme elle ne voit jamais le désordre de toute façon, comme elle n'a donc pas vu ces graines semées sur le sol de la véranda et de l'office, elle n'a pas pensé à nettoyer. Ça ne lui est pas venu à l'idée. A grands pas, il fonce dans le couloir jusqu'à l'autre bout de la maison, celui de Rose. Et il allume les lampes d'un coup sec sur son passage. Il frappe avec fermeté à sa porte. Sans colère, parce que même s'il est exaspéré il n'est pas en colère. Il est troublé. Cela, il peut l'admettre. Après toutes ces années, il n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi elle ne peut pas ou ne veut pas se rappeler ce qu'il lui dit de faire, ce qu'il lui demande de faire, ce qu'il veut qu'elle fasse quand elle est chez lui. Quand elle est dans sa vie à lui, merde. Elle agit comme si, pour elle, sa vie à lui n'existait pas. Ou bien, en admettant qu'elle existe, comme si cette vie n'avait pas de sens. Il trouve cela insupportable.
Russel Banks. L'ange sur le toit.
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