Au lieu de pensées que l'on rumine sans fin, mieux vaudrait avoir dans la tête les choses elles-mêmes, bien tangibles. Les gens que l'on veut avoir ou dont on veut se débarrasser, les objets que l'on a gardés ou perdus. Il y aurait un ordre : au milieu de la tête, il y a Paul et non ma façon de me raccrocher à lui pour m'en détacher dans un amour égal. Le long des tempes courent les trottoirs, aussi loin qu'ils le veulent, et près des joues, il y a peut-être les boutiques et leurs vitrines et non mes destinations arbitraires en ville (...) Dans ma nuque, il y a le pont au-dessus du fleuve et mon premier mari avec la valise, mais pas l'incitation à sauter. Et près du cervelet, d'où est censé provenir l'équilibre, il y a une table sur laquelle se repose une mouche qui, au lieu de dîner, n'a pas faim. Toutes choses solides qui ont seulement besoin de la place qu'elles occupent dans la tête. Des plans et des arêtes faciles à distinguer et que l'on peut classer pour soi-même parmi les appuis ou les ennuis. Et dans les interstices, il reste de la place pour le bonheur.
Herta Müller. La convocation.
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