Il y a une langue qu'on ne trouve pas, qu'on ne cherche pas non plus, mais qu'on respire en arrivant au monde, qu'on mange et qu'on boit. Cet aliment pour bébé passe comme une lettre à la poste : on ouvre le bec et on avale, sans y penser. Est-ce que pour autant la langue maternelle vous procure une place, et même "votre" place ?
Elle vous procure une place dans une communauté, ou du moins dans un ensemble d'être humains qui auront été allaités au même sein. Vous avez beau vous exclamer que vous n'avez rien en commun avec tous ces gens, vous leur êtes attaché par un lien autrement plus fort que le sang. Avoir la même langue signifie habiter le même monde, être prisonnier du même territoire puisque les langues du monde, si on voulait les superposer, ne se recouperaient que partiellement, et que parler sa langue, ce n'est pas seulement avoir d'autres mots qu'un étranger pour désigner les mêmes chose, mais c'est aussi et surtout avoir autre chose à désigner. La place que la langue maternelle vous assigne est donc bien circonscrite. En vous l'apprenant, on vous enferme dedans -désormais, vous verrez le monde à travers elle, elle fait partie de vous, elle vous est une deuxième peau. Essayez toujours de vous en défaire ! Autant vouloir vous arracher une jambe.
Anne Weber. Trouver sa langue, trouver sa place in Assises du roman 2008.
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