samedi 21 mai 2016

"Sans syntaxe, pas d'émotion durable"*

La lecture est la seule manière valable d'apprentissage pour écrire parce qu'elle met en contact l'apprenti avec les textes qui contiennent toutes les connaissances dont il a besoin. Lisant ces textes, l'individu peut apprendre la grammaire, les mécanismes de cohésion et les règles de cohérence textuelles nécessaires pour écrire. Mais, s'il est certain que tous les écrivains ont l'habitude d'être de bons lecteurs, tous les lecteurs ne sont pas forcément de bons écrivains. Cela conduit Franck Smith a affirmer qu'il faut lire d'une manière spécifique pour apprendre à écrire : nous devons lire comme un écrivain
Traduction libre d'un extrait de Describir el escribir (décrire l'écrire) de Daniel Cassany. 
Sur les étagères, 
sur les tranches des livres, 
le nom des auteurs
comme autant de professeurs 
particuliers. 


J'ai réfléchi aujourd'hui -lors d'une pause dans mes sensations- au genre de prose qui est la mienne. En somme, comment est-ce que j'écris ? J'ai vu, comme bien d'autres, ma volonté pervertie par le désir de posséder un système et une norme. Certes, j'ai écrit bien avant d'avoir l'un ou l'autre; mais, en cela non plus, je ne diffère guère des autres. 
M'analysant cet après-midi, je m'aperçois que mon système stylistique repose sur deux principes, et tout aussitôt, suivant la bonne règle de nos bons classiques, j'érige ces deux principes en règles fondamentales de tout art d'écrire : dire ce que l'on éprouve exactement comme on l'éprouve -clairement si c'est clair; obscurément si c'est obscur; confusément si c'est confus; et bien comprendre que la grammaire n'est jamais q'un outil, et non pas une loi. 
Supposons que je voie devant moi une jeune fille à l'allure masculine. Un être humain ordinaire dira simplement : "Cette jeune fille a l'air d'un garçon." Un autre être humain, tout aussi ordinaire, mais déjà plus conscient du fait que parler, c'est dire, dira d'elle : "Cette jeune fille est un garçon." Un autre encore, tout aussi conscient des devoirs de l'expression, mais poussé davantage encore par l'amour de la concision, ce luxe de la pensée, dira d'elle : "Ce garçon." Quant à moi, je dirai : "Cette garçon", violant la règle de grammaire la plus élémentaire, qui exige que s'accordent en genre et en nombre le substantif et l'adjectif. Et j'aurai fort bien dit; j'aurai parlé dans l'absolu, photographiquement, loin de la platitude, de la norme, du quotidien. Ainsi n'aurai-je pas parlé : j'aurai dit.  
*Fernando Pessoa. Le livre de l'intranquillité

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