Nous pensons toujours à nos propres souvenirs et, cependant, très peu à ceux des autres. Comment y sommes-nous ? Aimerions-nous notre image dans ces souvenirs ou la trouverions-nous trop pâle et triste ? Ce soir, après avoir écrit un moment, je suis sorti faire un tour dans le quartier et j'ai croisé X qui tenait la main de sa fille. X et moi sommes sortis ensemble il y a plus de vingt ans. Elle avait envie de parler. Moi pas tant que ça. Cela me dérangeait d'avoir une conversation émaillée de formalités et éloignée du désir que j'avais eu pour elle, du bon et du mauvais que nous avions vécu ensemble. Elle a dû le sentir parce que son silence -ce qu'elle ne disait pas- paraissait indiquer que c'était moi qui me trompais et que, après tout, être maintenant et ensemble dans la rue, c'était être tous les deux dans un territoire abandonné qui avait été le nôtre. Quand nous avons pris congé, il m'est resté l'envie de la revoir à un autre moment mais la rencontre d'aujourd'hui m'en empêchait. A la maison, je pense aux fragments de sa mémoire que j'ai occupés ces vingt dernières années, je pense à ce que doivent être ces fragments, si toutefois ils existent. (1)(C'est une traduction libre que j'ai faite d'un extrait de El Japón en Los Angeles, le journal que José Carlos Llop a tenu en 1996 et 1997)
Bien que peu coutumières du fait, nous nous étions cependant rapidement habituées à ceux qui prenaient rendez-vous après nous avoir entendues.
Plus rares mais aussi plus surprenants -et à la mémoire stupéfiante- étaient ceux venus par hasard et parfois longtemps après et qui réalisaient -on ne savait pas toujours comment ni pourquoi- au cours de la conversation : mais c'est vous, alors, qui parliez sur France Inter ?!(2)
S'en souvient-elle encore celle -et l'a-t-elle raconté autant de fois que moi ?- qui, me voyant pour la première fois, téléphona à ses amis -Vous ne devinerez jamais qui j'ai en face de moi !!!- avant de m'expliquer avoir dîné la veille chez eux et face à moi et avoir passé une partie de la soirée à m'inventer toutes sortes de vies possibles -sans avoir pensé à celle-là.
(1) Siempre pensamos en nuestros propios recuerdos y sin embargo muy poco en los recuerdos de los demás. ¿ Cómo somos en esos recuerdos ? ¿ Nos gustaría nuestra propia imagen en esos recuerdos o la hallaríamos demasiado pálida y tristona ? Esta tarde, después de escribir un rato, he salido a dar un paseo por el barrio y he encontrado a X, que llevaba de la mano a una hija suya. X y yo fuimos novios hace más de veinte años. Ella tenía ganas de hablar. Yo no tanto. Me molestaba mantener una conversación salpicada de formalidades y alejada del deseo que sentí por ella, de lo bueno y lo malo que pasamos juntos. Algo de esto habrá notado porque su silencio -lo que no decía- parecía indicarme que era yo el equivocado, que al fin y al cabo, por el hecho de estar ahora juntos en la calle, los dos estábamos en un territorio abandonado que había sido nuestro. Cuando nos hemos despedido me he quedado con ganas de verla en otro momento, pero me lo impedía ese mismo encuentro de ahora. Ya en casa, pienso en qué fragmentos de su memoria he debido ocupar en estos últimos veinte años, pienso en cómo deben ser eso fragmentos, si es que existen.
José Carlos Llop. El Japón en Los Angeles.
(2) On est dans les souvenirs des autres mais parfois aussi dans leurs rêves.
Kriss m'avait écrit, en juin 2009 :
Je t'embrasse, j'ai rêvé cette nuit que j'étais a Tokyo et que j'allais te faire la surprise de t'appeler !
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