mercredi 26 novembre 2014

Les jours avant les souvenirs

-Qu'est-ce que tu vas faire ? dis-je.
-Je me suis dit que je pourrais peut-être essayer de lui lire quelque chose, me répondit Seymour en prenant un livre.
-Mais elle n'a que dix mois, voyons ! objectai-je.
-Je le sais bien, répondit Seymour. Les bébés ont des oreilles, tu sais, ils ont des oreilles pour entendre.
J.D. Salinger. Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers.

il y avait, ce soir-là à Barcares, un cours de coucher de soleil et même si le jeune élève savait à peine marcher et regardait davantage ses pieds que la direction que désignait le doigt de son père, au moins il l'aura fait, ai-je pensé et tout aussitôt : où vont les choses en nous quand on ne s'en souvient pas ?
(
Plus tôt c'était :
d'où vient 
qu'on aime qu'on n'aime pas
fréquenter les bibliothèques
résoudre des équations
rester chez soi
)
Quand commençons-nous à être : nous ? à être : quelqu'un ?
Dès avant les souvenirs ? 
Quand ils adviennent ? 
Ou quand nous sommes capables de nous les remémorer, les inventer ?*

*
Pour vivre, nous avons à nous raconter, nous sommes un produit de notre imagination. Notre mémoire, en réalité, est une invention, un conte que nous allons réécrire chaque jour (ce que je me rappelle maintenant de mon enfance n'est pas ce que je m'en rappelais il y a vingt ans). Ce que je veux dire, c'est que notre identité aussi est une fiction puisqu'elle repose sur la mémoire. Et sans cette imagination qui complète et reconstruit notre passé et qui octroie au chaos de la vie une apparence de sens, l'existence serait affolante et insupportable, pur bruit et fureur. 
Traduction libre de La ridícula idea de no volver a verte de Rosa Montero. 

Para vivir tenemos que narrarnos, somos un producto de nuestra imaginación. Nuestra memoria en realidad se un invento, un cuento que vamos reescribiendo cada día (lo que recuerdo hoy de mi infancia no es lo que recordaba hace veinte años); lo que quiere decir que nuestra identidad también es ficciones, puesto que se basa en la memoria. Y sin esa imaginación que completa y reconstruye nuestro pasado y que le otorga al caos de la vida una aparencial de sentido, la existencia sería enloquecedora e insoportable, puro ruido y furia. 

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