mardi 30 décembre 2014

Tuesday self portrait

-Ecoute, Jake. Si je me chargeais de toutes les dépenses, m'accompagnerais-tu en Amérique du Sud ?
-Pourquoi moi ?
-Tu sais l'espagnol. Et ce serait plus amusant à deux. 
-Non, dis-je. Je me plais ici et l'été je vais en Espagne. 
-Toute ma vie j'ai rêvé d'un voyage comme ça, dit Cohn. (Il s'assit). Je deviendrai vieux avant d'avoir pu le faire. 
-Ne dis pas de bêtises, dis-je. Tu peux aller partout où tu veux. Tu as de l'argent plein tes poches. 
-Je sais. Mais je ne peux pas me mettre en route. 
-Ne t'en fais pas, dis-je. En somme, tous les pays, ça ressemble au cinéma. 
Mais j'avais pitié de lui. Il était salement touché. 
-Je ne peux pas m'habituer à cette idée que ma vie s'écoule si vite et qu'en réalité je ne la vis pas. 
-Personne ne vit complètement sa vie, sauf les toréadors. 
-Les toréadors ne m'intéressent pas. C'est une vie anormale. Je veux aller à la campagne, dans l'Amérique du Sud. Nous pourrions faire un voyage épatant. 
(…)
-Descendons prendre quelque chose. 
-Tu ne travailles pas ?
-Non, dis-je 
Nous descendîmes au café du rez-de-chaussée. J'avais découvert qu'il n'y avait pas de meilleur moyen pour se débarrasser des amis. Après avoir pris un verre, vous n'aviez qu'à dire : "Ah ! maintenant il faut que je remonte. J'ai quelques câbles à envoyer", et le tour était joué. Il est très important d'avoir ainsi d'élégantes échappatoires dans le métier de journaliste où un des principes les plus essentiels de l'éthique consiste à avoir toujours l'air de ne rien faire. Bref, nous descendîmes au bar et nous prîmes un whisky-soda. 
Ernest Hemingway. Le soleil se lève aussi. 

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