Un jour, alors que j'avais sept ou huit ans, un cousin plus âgé me déclara que les bébés ne venaient pas des fleurs mais des gens. Je n'avais pas suscité cette information, mais comme ma mère m'avait dit que ce n'était "pas bien" d'être curieuse en ce domaine, j'eus un vague sentiment de contamination, et j'allai aussitôt avouer mon offense involontaire. Je reçus une sévère réprimande, qui me laissa un sens aigu de quelque chose de "pas bien" et m'empêcha efficacement de mener plus loin mes investigations. Et ce fut littéralement tout ce que je sus des processus de la génération jusqu'à plusieurs semaines après mon mariage -l'explication que je m'étais forgée entre-temps étant que les gens mariés avaient des enfants parce que Dieu avait vu le pasteur les unir à travers le toit de l'église !Puisque j'aborde ce sujet, j'ajouterai que, quelques jours avant mon mariage, je fus envahie d'une telle crainte de ce sombre mystère que, rassemblant tout mon courage, j'allai voir ma mère pour l'implorer, le coeur battant jusqu'à m'étouffer, de me dire "ce que signifiait être mariée". Son beau visage prit aussitôt cet air glacial de désapprobation que je redoutais le plus. "Je n'ai jamais entendu une question aussi ridicule !" déclara-t-elle avec impatience. Et je sentis à quel point elle avait dû me trouver vulgaire.La froideur de son expression alla jusqu'au dégoût. Elle se tut pendant un terrible moment; puis elle reprit avec effort :"Tu as vu suffisamment de tableaux et de statues dans ta vie. N'as-tu donc pas remarqué que les hommes sont… faits autrement que les femmes ?-Oui, bredouillai-je d'une voix blanche.-Et alors ?"Je ne répondis rien, par simple incapacité à la suivre, et elle lança sèchement : "Pour l'amour du ciel, ne me pose plus de questions idiotes. Tu ne peux pas être aussi stupide que tu feins de l'être !"Cet épouvantable moment était terminé, et pour seul résultat je fus accusée de stupidité pour ignorer ce sur quoi on m'avait formellement interdit d'exposer des questions, à quoi on m'avait même interdit de penser ! … Je note cette brève conversation parce que la formation dont elle était la conclusion admirable et logique fit plus que tout pour falsifier et désorienter ma vie entière… Mais, au fond, elle ne fit ni l'un ni l'autre, elle n'a fait que renforcer le fait inévitable qu'on est ce qu'on est, et que l'éducation peut retarder, mais ne peut pas entraver, une évolution personnelle. Cependant, que de tragédies peuvent germer dans ce retard !…Edith Wharton. Les chemins parcourus.
mardi 30 juin 2015
Tuesday self portrait
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