lundi 18 mai 2015

La surdité (fragments d'insularité)

Nous traversons les Pyrénées en direction de Aragón et, ensuite, jusqu'à Barcelone et l'île. Sur la route, nous effectuons des arrêts pour nous reposer dans la maison d'amis en Normandie, dans le Poitou et le Bordelais. Ensuite nous attend le tumulte de Barcelone et le tumulte non moins dense du bateau rapide. Le bateau lent réalise la traversée de nuit et met plus de neuf heures, le rapide le fait en quatre heures, de jour mais c'est une souffrance. Les espagnols sont addicts au bruit et y sont insensibles. Sur ce bateau, il y a un salon flottant dont les fauteuils sont tous disposés du même côté et aussitôt que la machine s'élève au-dessus de l'eau, toutes les télévisions s'allument à l'unisson mais pas de manière normale : le volume à fond. La plupart des fois, il s'agit de programmes infantiles, pour que les enfants apprennent à compter avant de savoir lire. Cris perçants, hurlements, on ne lésine pas sur la violence. Animaux dépecés, personnes aplaties, sang coulant sur l'écran, un pandémonium d'une durée de quatre heures où la civilisation humaine a été abolie. Si on regarde les gens, on se rend compte que, en réalité, quasiment personne ne regarde la télévision. C'est comme s'ils portaient des bouchons mentaux contre le bruit et, contemplant la mer en mouvement, ils dorment et parlent, sourds au bruit électronique. Demander que soit baissé le volume ne sert à rien; signaler que presque personne n'écoute non plus. "Il y a des gens qui aiment ça" est la réponse. Monter sur le pont est interdit. Dans le seul lieu à l'écart, le bar, résonnent les basses et les rythmes d'une musique pop pour que les passagers se sentent comme à la maison. 
Traduction libre de Lluvia roja de Cees Nooteboom
Quand j'appris
qu'ils ne modèrent pas le bruit
pour ménager les nourrissons endormis
je compris
que ce qui me différencie
des gens d'ici
plus que la nationalité, c'est l'ouïe

En Espagne, il est obligatoire de parler fort.
Si tu es dans un bar, que tu y parles normalement et que la police te découvre, tu as une amende.* 
*Traduction libre de El cuaderno secreto de Hans de Javier Salinas.
En España es obligatorio hablar alto.
Si estás en un bar y estás hablando normal y te descubre la policía te pone una multa.

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